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31/08/2016

Raymond Queneau, Fendre les flots

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La sirène éliminable

 

Je ne sais qui chantonne à l’ombre du balcon

c’est un chant de sirène ou bien de vieux croûton

il faudra que j’y aille afin de voir si je

me suis trompé ou bien si j’ai mis dans le mille

 

si c’est un vieux croûton je le pousse du pied

doucement dans le ruisseau pour qu’il vogue et qu’il

aille vers la mer où il sera libéré

des balais éboueux des tracas de la ville

 

si c’est une sirène alors serai surpris

je lui dirai madame un tel chant m’exaspère

vous avez une voix qui ne me charme guère

 

elle me répond : monsieur j’ai eu un prix

au conservatoire autrefois dans ma jeunesse

donnez au moins l’aumône au titre de noblesse

 

Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard,

1969, p. 98.

 

11/02/2016

Giorgio de Chirico, Mélancolie

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             Mélancolie

 

Lourde d’amour et de chagrin

mon âme se traîne

comme une chatte blessée

— Beauté des longues cheminées rouges

Fumée solide.

Un train siffle. Le mur

Deux artichauts de fer me regardent.

 

J’avais un but. Le pavillon ne claque plus

 — Bonheur, bonheur, je te cherche —

Un petit vieillard si doux chantait doucement

une chanson d’amour.

Le chant se perdit dans le bruit

de la foule et des machines

Et mes chants et mes larmes se perdent aussi

dans les cercles horribles

ô éternité.

 

Giorgio de Chirico, Poèmes, Solin, 1981, p. 25.

                                                                  

 

13/01/2016

Philippe Beck, Dans de la nature

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61.

À Anne Morin

 

Que peut bien le :

« Qui suis-je pour demander

du paradis ici ? »

dans de la nature ?

La question a voyagé

et a de la sève isolée.

Question usée est un tesson

dans de l’usure.

Si elle est plaine criante

enrouée,

alors « Qui suis-je pour... ? »

est l’énergie satirique

qui aère les morceaux de bravoure,

les « Par ici ! » archaïques

dont je canalise les rivières

en pleine cité. Comme celui

qui empoignait grammaticalement

un frêle et gracile pipeau

et marchait sur du pétrole enterré.

« Qui suis-je pour... ? »

est roucoulement de tourterelle,

bête interdite et chantant ardemment.

Les tourterelles font et refont des Oh !

« Oh ! » est l’étiquette sur la Dame qui chante.

 

Philippe Beck, Dans de la nature, Flammarion,

2003, p. 73.

15/11/2015

Armand Gatti (né en 1924), La mer du troisième jour

 

                     armand gatti,la mer du troisième jour,illustrations  d’emmanuelle amann,baleine,poisson,chant,fruit

Le chant de la baleine solitaire

                                         multiplie les baleines

Chaque baleine

                      blanche, bleue ou grise,

est un chant.

Chaque vague est le recommencement

de la mer phosphorescente.

                  

Seul pour sauter de l’un à l’autre

                                         le poisson volant

                                         chant multiplicateur

Fruit jetant sa pulpe et se retrouvant noyau

mais dont le rayon

                             la falaise

                                          les ammonites

seront désormais la terre nourricière.

 

Armand Gatti, La mer du troisième jour, illustrations

d’Emmanuelle Amann, Æncrages & Co, 2015, np.

23/10/2015

Jacques Demarcq, Les Zozios

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Photo Michel Durigneux

 

                  l’alouette des champs

 

(tu peux peu preux taré de près tout utudier !

au riche prix d’rythme et bruit m’éclipse et tout est dit

j’brise bing en mythe le vieux dieu creux du truc lyrique

qui vous dégougueuline en guiliguids sa vie

vile virilité tiède idée du viridique

(qu’une aile vienne à la stropheest-ce trop l’estropépier)

je dessille la niaise cécité du sugnifie

te ruine en rimes l’émue mimique du communique

« dreu-lui, dyidyidu ; tieu huittchip : tiuti-tuitutt »

l’douillet duvet du discours du discouru je déguenille

portées nues peau et tripe en poétrie je trille

trille le grimpe de l’ivresse et plus diverse y fuis

plus dissolu mon dividu s’insolitude

...jusqu’à s’ouvrir au vide et chute en chuchutuis...

Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 175.

 

 

 

 

 

10/07/2015

Paul Klee, Journal

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Nous étions attablés dans notre charmante petite trattoria (...) lorsqu’y entrèrent, comme à l’accoutumée, des musici qui se mirent à accorder mandolines et guitares. Le premier morceau résonnait normalement, un tantinet désaccordé, mais plein de sentiment. Vers la fin, la fillette qui était entrée avec eux, inaperçue, se fit remarquer par des gestes d’abord incertains et, aux derniers accords, se produisit avec désinvolture. On savait bien à quoi l’on assistait : une scène (et quelle scène !). J’ai vu mainte exhibition artistique, mais rien d’aussi original. La créature a une taille assez racée, pour le reste elle n’est pas précisément belle et sa voix n’est pas non plus parfaite. Mais on pouvait apprendre ici à discerner la beauté dans la seule vérité de l’expression. On devinait que la fillette anticipait avec talent ce que peut-être elle vivrait plus tard, les sentiments les plus forts n’étant autre chose que des sentiments primitifs. L’avenir ne saurait devenir : il ne fait que sommeiller dans la nature humaine et n’attend que l’éveil. C’est pourquoi même l’enfant connaît l’Eros dont nous pûmes entendre ici la gamme entière, depuis le petit couplet jusqu’à la scène pathétique et finalement tragique.

 

Paul Klee,  Journal, traduction Pierre Klossowski, Grasset, 1959, p. 77.

09/07/2015

Philippe Beck, Dans de la nature

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61

 

À Anne Morin

 

Que peut bien le :

« Qui suis-je pour demander

du paradis ici ? »

dans de la nature ?

La question a voyagé

et a de la sève isolée.

Question usée est un tesson

dans de l’usure.

Si elle est plaine criante

enrouée,

alors « Qui suis-je pour... ? »

est l’énergie satirique

qui aère les morceaux de bravoure,

les « Par ici ! » archaïques

dont je canalise les rivières

en pleine cité. Comme celui

qui empoignait grammaticalement

un frêle et gracile pipeau

et marchait sur du pétrole enterré.

« Qui suis-je pour... ? »

est roucoulement de tourterelle,

bête interdite chantant ardemment.

Les tourterelles font et refont des Oh !

« Oh » est l’étiquette de la Dame qui chante.

 

Philippe Beck, Dans de la nature, Poésie / Flammarion,

2003, p. 73.

02/07/2015

Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée

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II

 

Et presque jeune fille alors et de surgir

de ce bonheur uni du chant et de la lyre

et tous ses voiles de printemps de resplendir,

si claire, et de se faire un lit dans mon oreille.

 

Et de dormir en moi. Et tout fut son sommeil.

Les arbres que j’ai pu quelque jour admirer,

ce lointain, ce touchable, et, touchés, les herbages,

et chaque étonnement m’atteignant en personne.

 

Elle dormait le monde. À quel point accomplie

tu la fis, dieu chanteur, qu’elle n’ait pas souhaité

être éveillée avant ? Vois, naquit et dormit.

 

Où est sa mort ? Ô ce motif, le créeras-tu

avant que ton chant ne se dévore ? — Où va-t-elle

sombrer hors de moi ?... Une jeune fille presque...

 

Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée, traduction

Maurice Regnaut, dans Œuvres poétiques et théâtrales,

sous la direction de Gerald Stiec, Gallimard  Pléiade,

1997, p. 16.

05/03/2015

Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet

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                                  Tragédie

 

Avec la rumeur des yeux des poupées agités par le vent si fort qu’il les faisait s’ouvrir et se fermer un peu. J’étais dans le petit jardin triangulaire et je prenais le thé avec mes poupées et la mort. Et qui est cette dame vêtue de bleu au visage bleu au nez bleu aux lèvres bleues aux ongles bleus et aux seins bleus aux mamelons dorés ? C’est mon professeur de chant. Et qui est cette dame en velours rouge qui a une tête de pied, émet des particules de sons, appuie ses doigts sur des rectangles de nacre blancs qui descendent et on entend des sons ? C’est mon professeur de piano et je suis sûre que sous ses velours rouges elle n’a rien, elle est nue avec sa tête de pied et c’est ainsi qu’elle doit se promener le dimanche en serrant la selle avec les jambes toujours plus serrées comme des pinces jusqu’à ce que le tricycle s’introduise en elle et qu’on ne le voit jamais plus.

 

Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet, Ypsilon, 2012, p. 43.

11/10/2014

Alain Veinstein, Voix seule

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                     Aujourd'hui

 

Encore une approche manquée...

 

Trop de mots, décidément,

trop de mots tonitruants.

 

La terre, jusqu'à nouvel ordre,

n'a rien d'un théâtre

où se déploie le merveilleux.

Seul le froid s'invite dans l'air,

s'infiltre, se resserre,

épaissit le silence.

Il m'accompagne depuis l'enfance

ce silence glacé

dans le calme accablant

du noir.

 

                        Aujourd'hui

 

Voix

en grandes capitales rouges,

 

oubliée et remontée

de l'épaisseur de la nuit,

restée à l'abri de la mort.

 

Dans le recoin où je vis,

je la rejoue de mémoire,

elle résiste,

ne se laisse pas faire,

 

chante, oui,

de ne pas chanter.

 

À chaque instant

je suis sur le point de la perdre,

 

à chaque instant

tout peut être perdu.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 139, 175.

06/09/2014

James Joyce, Poèmes, Chamber Music, traduction Jacques Borel

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Viens légère ou légère pars :

   Bien que ton cœur te fasse voir

Chagrins, vallons, soleils noyés,

   Que ton rire, Oréade, danse

Jusqu’à ce que l’air des sommets

Rebrousse avec irrévérence

Ta chevelure déployée

 

Sois légère et toujours ailée :

   Les nues qui voilent les vallées

Quand monte l’étoile du soir

   Sont les plus humbles des suivants :

Rire et amour se fassent chant

Si le cœur renonce à l’espoir.

 

 

Lightly come or lightly go :

   Though thy heart presage thee woe,

Vales and many a wasted sun,

   Oread, let thy laughter run,

Till the irreverent mountain air

 Ripple all thy flying hair.

 

Lightly, lightly — ever so :

   Clouds that wrap the vales below

At the hour of evenstar

   Lowliest attendants are ;

Love and laughter song-confessed

When the heart is heaviest. 

 

                  James Joyce, Poèmes, Chamber Music, Pomes

                 Penyeach, poèmes traduits de l’anglais et préfacés

                 par Jacques Borel, Poésie du monde entier,

                 Gallimard, 1967, p. 65 et 64.

27/07/2014

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures

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Dessin de Ianna Andréadis

 

                    Au merle de mon jardin

 

                                                           (avec l’aide de quelques-uns)

 

Le merle de mon jardin est un oiseau commun

                mais c’est le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

                mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

                 mais il est à lui seul le voyage tout entier ;

le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre

                 mais il les réunit ;

il n’y a pas d’ailleurs de son monde pour l’être-là merle

du merle de mon jardin ;

parfois je suis un peu le merle de mon jardin

                  car je le suis des yeux ;

ainsi, pour le dire autrement, l’œil du merle de mon

jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins

d’acuité pour observer le merle de mon jardin

                         qu’il n’en a pour me regarder depuis le

                          pommier ;

les ancêtres du merle de mon jardin volaient

                  avant les ancêtres de la chauve-souris ;

les ancêtres dinosaures du merle de mon jardin ne se

sont pas éteints,

                  ils se sont envolés ;

le merle de mon jardin contrairement à la mouche du pré

                  ne met pas ses pattes sur sa tête ;

dans la syrinx du merle de mon jardin,

                  il y a un peu du Solitaire masqué de Monteverde ;

jaune vif le bec du mâle merle noir : tordus merula de mon jardin

                   comme ceux de tous les mâles merles tordus  sp

du monde sauf le bec du mâle Merle du Maranon Tordus maranonicus

du mâle merle cul-blanc Tordus obsoletus  et du mâle Merle

Haux-Well Tordus  hauxwelli   

 

Une année, le merle de mon jardin a fait son nid quasi

sous mon nez ;

le merle de mon jardin mange souvent des baies de lierre au-dessus

de mon nez sur le gros mur moussu de mon jardin, l’été ;

le merle de mon jardin, comme le piapiateur noir de

Jacques Demarcq,

                  piapiate et tuititrix, son chant résonne refluifluité ;

le merle de mon jardin comme Jacob de Lafon soi-même

                 aime penser les choses par deux : baie et chat,

                 air et froid, œuf et bec, eux et eux, mais à

                  l’inverse de Jacob de Lafon il n’associe rien à

l’arôme du noyau ; 

le merle de mon jardin, comme le merle de Ianna

(Andréadis)

                        peut rester longtemps immobile et regarder  de

                        biais ;

comme Claude Adelen, j’ai tutoyé l’aire du merle de mon jardin

                        en vain ;

le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet

                        mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent

le pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin se merle de tout c’qui s’passe et passe dans mon jardin ;

le merle de mon jardin aime que je parle de lui et me le fait savoir par un petit

puiitpitEncore, puitpitEncore ;

chaque hiver j’espère que le froid ne tuera pas le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin et moi sommes assez semblables

   à une petite différence près :

                         un jour le merle de mon jardin comme le Merle de Grand Caïman éteint

je le chialerai

 

Ceci étant :

le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été pendant l’hiver, par instants, ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge, la grive, l’hirondelle, le verdier, la mésange, le rougequeue, le pinson, le serin, la bergeronnette, le grosbec, la fauvette, le gobemouche coche de mon jardin , le grimpereau, le chardonneret, la sitelle, le tarin, le moineau, le troglodyte, le bruant ; mais aussi le renard, le hérisson, l’écureuil, la taupe, le mulot, l’épeire, le faucheux, le lézard, la couleuvre, l’argus, la piéride, le nacré, la petite tortue, le myrtil, le macaon, le cétoine, le capricorne, le carabe, l’apion, le clairon, le criocère, le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe, le frelon, l’abeille, le bourdon, le syrphe, la mouche, la cordulie, mais encore la verge d’or, la gesse, la balsamine, le trèfle, l’œillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine des prés, la scabieuse, l’hortie, le cornouiller, le frêne, le noisetier, le noyer ; et tous les autres que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vu ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin.

 

(Bonnaz, août 2009)

 

 

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide  augures, Dessins de Ianna Andréadis, Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 158-161.

16/07/2014

Malcolm Lowry, Poèmes, traduction de Jean Follain

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              Nulle poésie

  

Nulle poésie à vivre là.

Vous êtes ces pierres mêmes, ces bruits ceux de vos esprits

Les ferraillants tramways grondeurs et les rues qui mènent

Au bar de vos rêves où le désespoir siège

Ne sont que rues et tramways : la poésie est ailleurs.

Cinémas et boutiques une fois abandonnés

On les regrette. Puis plus. Étrangement hostiles

Semblent les nouveaux points de repère marquant ici et         [maintenant.

 

Mais allez du côté de la Nouvelle-Zélande et vers les Pôles,

Ces pierres s'avivront, ce bruit sera chant,

Le tramway bercera l'enfant qui dort

Et aussi celui qui court toujours, dont vogue la nef

Mais qui jamais ne peut retourner au pays mais doit rapporter

À Illion d'étranges et sauvages trophées.

 

Malcolm Lowry, Poèmes, traduction de Jean Follain, dans "Les

Lettres nouvelles", juillet-aoùt 1960, p. 91.

30/05/2014

Norge, La Langue verte (charabias et verdures)

 

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        Zoziaux

 

Amez bin li tortorelle,

Ce sont di zoziaux

Qui rocoulent por l'orelle

Di ronrons si biaux.

 

Tout zouliq de la purnelle,

Ce sont di zoziaux

Amoreux du bec, de l'aile,

Du flanc, du mousiau.

 

Rouketou, rouketoukou

Tourtourou torelle

Amez bin li roucoulou

De la tortorelle

 

On dirou quand on l'ascoute

Au soulel d'aoûte

Que le bonhor, que l'amor

Vont dorer tozor.

 

Norge, La Langue verte (charabias et

verdures), Gallimard, 1954, p. 53-54.

29/12/2013

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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I  Sonnet avec la manière de s’en servir

 

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,

Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,

Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…

Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

 

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;

Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;

À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,

— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

 

— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…

(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !

— La preuve d’un sonnet est par l’addition :

 

— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède

En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :

« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !

 

Pic de la Maladetta — Août.

 

 

Le crapaud

 

Un chant dans une nuit sans air…

La lune plaque en métal clair

Les découpures du vert sombre.

 

… Un chant ; comme un écho, tout vif

Enterré, là, sous le massif…

— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

 

— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,

Près de moi, ton soldat fidèle !

Vois-le, poète tondu, sans aile,

Rossignol de la boue… — Horreur !

 

… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?

Vois-tu pas son œil de lumière…

Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…

 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  . . . . . . . . . . . .

 

Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.

 

Ce soir, 20 juillet.

 

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie (pour Tristan Corbière) par Pierre-Olivier Walzer, avec la collaboration de Francis F. Burch pour la correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718 et 735.