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11/10/2014

Alain Veinstein, Voix seule

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                     Aujourd'hui

 

Encore une approche manquée...

 

Trop de mots, décidément,

trop de mots tonitruants.

 

La terre, jusqu'à nouvel ordre,

n'a rien d'un théâtre

où se déploie le merveilleux.

Seul le froid s'invite dans l'air,

s'infiltre, se resserre,

épaissit le silence.

Il m'accompagne depuis l'enfance

ce silence glacé

dans le calme accablant

du noir.

 

                        Aujourd'hui

 

Voix

en grandes capitales rouges,

 

oubliée et remontée

de l'épaisseur de la nuit,

restée à l'abri de la mort.

 

Dans le recoin où je vis,

je la rejoue de mémoire,

elle résiste,

ne se laisse pas faire,

 

chante, oui,

de ne pas chanter.

 

À chaque instant

je suis sur le point de la perdre,

 

à chaque instant

tout peut être perdu.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 139, 175.

23/02/2013

Alain Veinstein, Voix seule

Alain Veinstein, Voix seule, le temps, l'enfance, mots volés

Aujourd'hui

 

Le ciel est déjà si noir :

il se confond avec la terre.

 

Pas assez de cœur

à ce moment précis

pour appeler terre

cette radiographie

des entrailles du temps.

 

                    *

 

Toute ma vie, j'ai dû perdre l'équilibre

dans une scène de violence,

sans une histoire à raconter,

un drame à jouer,

tout feu tout flamme cependant

au moindre éclair de vérité

apparemment conforme à l'enfance

que je m'étais attribuée,

inventée de toute pièces,

dans l'illusion que JE me laisserait en paix.

Mais chaque fois jusqu'à présent,

il m'a fallu déchanter, bouche béante,

quand les mots volés m'ont démasqué

et que je me suis retrouvé une fois de plus sans famille,

sans maison, sans enfance,

le visage écrasé contre un rideau de théâtre.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 61, 126.

29/09/2011

Alain Veinstein, Voix seule

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Un pas

 

À mesure que je m’enfonce

je n’ai rien tant à cœur

que la vérité.

Mais quoi que je fasse et dise,

pas de pas gagné

qu’il soit possible de tenir :

tous les témoins sont morts

et je reste seul en scène

à tenir un rôle

que les vrais mots de l’enfance

feraient voler en éclats.

 

Jour

 

Le seul jour jusqu’ici

je l’ai éclairé

à coups de pelle. Souvenez-vous.

Malgré les éclats de rire

et le effets de cruauté,

la pelle

 

m’a appris la vie.

 

Je lutte ici même contre l’envie

de la reprendre

et d’ensanglanter avec fureur

la terre épuisée par la brume.

 

Où es-tu ?

 

Parti pour ne pas revenir,

ne plus être

père,

père, jamais

et pourtant

les deux bras tendus,

je brandis

une couronne de roses

et je crie :

je suis ton enfant,

celui que tu berçais dans tes bras,

prêt à se faufiler, si Dieu le veut,

comme un rat dans ta tombe.

Et pourtant, nous ne nous reverrons plus,

nous avons, toi et moi, des visages sans avenir.

Le ciel est froid et sombre

contre mon dos.

Il ne manquerait plus que le vent se lève

sur le petit tas brillant

que j’appelais père

il y a à peine un instant.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Fiction & Cie, Seuil, 2011, p. 59, 91 et 122.