27/07/2014
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures
Dessin de Ianna Andréadis
Au merle de mon jardin
(avec l’aide de quelques-uns)
Le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais c’est le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais il est à lui seul le voyage tout entier ;
le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre
mais il les réunit ;
il n’y a pas d’ailleurs de son monde pour l’être-là merle
du merle de mon jardin ;
parfois je suis un peu le merle de mon jardin
car je le suis des yeux ;
ainsi, pour le dire autrement, l’œil du merle de mon
jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins
d’acuité pour observer le merle de mon jardin
qu’il n’en a pour me regarder depuis le
pommier ;
les ancêtres du merle de mon jardin volaient
avant les ancêtres de la chauve-souris ;
les ancêtres dinosaures du merle de mon jardin ne se
sont pas éteints,
ils se sont envolés ;
le merle de mon jardin contrairement à la mouche du pré
ne met pas ses pattes sur sa tête ;
dans la syrinx du merle de mon jardin,
il y a un peu du Solitaire masqué de Monteverde ;
jaune vif le bec du mâle merle noir : tordus merula de mon jardin
comme ceux de tous les mâles merles tordus sp
du monde sauf le bec du mâle Merle du Maranon Tordus maranonicus
du mâle merle cul-blanc Tordus obsoletus et du mâle Merle
Haux-Well Tordus hauxwelli
Une année, le merle de mon jardin a fait son nid quasi
sous mon nez ;
le merle de mon jardin mange souvent des baies de lierre au-dessus
de mon nez sur le gros mur moussu de mon jardin, l’été ;
le merle de mon jardin, comme le piapiateur noir de
Jacques Demarcq,
piapiate et tuititrix, son chant résonne refluifluité ;
le merle de mon jardin comme Jacob de Lafon soi-même
aime penser les choses par deux : baie et chat,
air et froid, œuf et bec, eux et eux, mais à
l’inverse de Jacob de Lafon il n’associe rien à
l’arôme du noyau ;
le merle de mon jardin, comme le merle de Ianna
(Andréadis)
peut rester longtemps immobile et regarder de
biais ;
comme Claude Adelen, j’ai tutoyé l’aire du merle de mon jardin
en vain ;
le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet
mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent
le pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin se merle de tout c’qui s’passe et passe dans mon jardin ;
le merle de mon jardin aime que je parle de lui et me le fait savoir par un petit
puiitpitEncore, puitpitEncore ;
chaque hiver j’espère que le froid ne tuera pas le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin et moi sommes assez semblables
— à une petite différence près :
un jour le merle de mon jardin comme le Merle de Grand Caïman éteint
je le chialerai
Ceci étant :
le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été pendant l’hiver, par instants, ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge, la grive, l’hirondelle, le verdier, la mésange, le rougequeue, le pinson, le serin, la bergeronnette, le grosbec, la fauvette, le gobemouche coche de mon jardin , le grimpereau, le chardonneret, la sitelle, le tarin, le moineau, le troglodyte, le bruant ; mais aussi le renard, le hérisson, l’écureuil, la taupe, le mulot, l’épeire, le faucheux, le lézard, la couleuvre, l’argus, la piéride, le nacré, la petite tortue, le myrtil, le macaon, le cétoine, le capricorne, le carabe, l’apion, le clairon, le criocère, le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe, le frelon, l’abeille, le bourdon, le syrphe, la mouche, la cordulie, mais encore la verge d’or, la gesse, la balsamine, le trèfle, l’œillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine des prés, la scabieuse, l’hortie, le cornouiller, le frêne, le noisetier, le noyer ; et tous les autres que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vu ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin.
(Bonnaz, août 2009)
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, Dessins de Ianna Andréadis, Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 158-161.
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11/05/2011
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide...
Dessin de Ianna Andréadis
Au merle de mon jardin
(avec l’aide de quelques-uns)
Le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais c’est le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais il est à lui seul le voyage tout entier ;
le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre
mais il les réunit ;
il n’y a pas d’ailleurs de son monde pour l’être-là merle
du merle de mon jardin ;
parfois je suis un peu le merle de mon jardin
car je le suis des yeux ;
ainsi, pour le dire autrement, l’œil du merle de mon
jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins
d’acuité pour observer le merle de mon jardin
qu’il n’en a pour me regarder depuis le
pommier ;
les ancêtres du merle de mon jardin volaient
avant les ancêtres de la chauve-souris ;
les ancêtres dinosaures du merle de mon jardin ne se
sont pas éteints,
ils se sont envolés ;
le merle de mon jardin contrairement à la mouche du pré
ne met pas ses pattes sur sa tête ;
dans la syrinx du merle de mon jardin,
il y a un peu du Solitaire masqué de Monteverde ;
jaune vif le bec du mâle merle noir : tordus merula de mon jardin
comme ceux de tous les mâles merles tordus sp
du monde sauf le bec du mâle Merle du Maranon Tordus maranonicus
du mâle merle cul-blanc Tordus obsoletus et du mâle Merle
Haux-Well Tordus hauxwelli
Une année, le merle de mon jardin a fait son nid quasi
sous mon nez ;
le merle de mon jardin mange souvent des baies de lierre au-dessus
de mon nez sur le gros mur moussu de mon jardin, l’été ;
le merle de mon jardin, comme le piapiateur noir de
Jacques Demarcq,
piapiate et tuititrix, son chant résonne refluifluité ;
le merle de mon jardin comme Jacob de Lafon soi-même
aime penser les choses par deux : baie et chat,
air et froid, œuf et bec, eux et eux, mais à
l’inverse de Jacob de Lafon il n’associe rien à
l’arôme du noyau ;
le merle de mon jardin, comme le merle de Ianna
(Andréadis)
peut rester longtemps immobile et regarder de
biais ;
comme Claude Adelen, j’ai tutoyé l’aire du merle de mon jardin
en vain ;
le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet
mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent
le pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin se merle de tout c’qui s’passe et passe dans mon jardin ;
le merle de mon jardin aime que je parle de lui et me le fait savoir par un petit
puiitpitEncore, puitpitEncore ;
chaque hiver j’espère que le froid ne tuera pas le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin et moi sommes assez semblables
— à une petite différence près :
un jour le merle de mon jardin comme le Merle de Grand Caïman éteint
je le chialerai
Ceci étant :
le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été pendant l’hiver, par instants, ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge, la grive, l’hirondelle, le verdier, la mésange, le rougequeue, le pinson, le serin, la bergeronnette, le grosbec, la fauvette, le gobemouche coche de mon jardin , le grimpereau, le chardonneret, la sitelle, le tarin, le moineau, le troglodyte, le bruant ; mais aussi le renard, le hérisson, l’écureuil, la taupe, le mulot, l’épeire, le faucheux, le lézard, la couleuvre, l’argus, la piéride, le nacré, la petite tortue, le myrtil, le macaon, le cétoine, le capricorne, le carabe, l’apion, le clairon, le criocère, le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe, le frelon, l’abeille, le bourdon, le syrphe, la mouche, la cordulie, mais encore la verge d’or, la gesse, la balsamine, le trèfle, l’œillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine des prés, la scabieuse, l’hortie, le cornouiller, le frêne, le noisetier, le noyer ; et tous les autres que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vu ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin.
(Bonnaz, août 2009)
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, Dessins de Ianna Andréadis, Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 158-161.
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