Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/07/2014

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes

th-2.jpg

Quand tes yeux conquerans estonné je regarde,

J’y veois dedans à clair tout mon espoir escript ;

J’y veois dedans Amour luy mesme qui me rit,

Et m’y mostre, mignard, le bon heur qu’il me garde.

 

Mais, quand de te parler par fois je me hazarde,

C’ets lors que mon espoir desseiché se tarit ;

Et d’avouer jamais ton œil, qui me nourrit,

D’un seul mot de faveur, cruelle, tu n’as garde.

 

Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que je dis :

Ce sont ceux là, sans plus, à qui je me rendis.

Mon Dieu, quelle querelle en toi mesme se dresse,

 

Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir ?

Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les despartir,

Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.

 

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes,

 Introduction, bibliographie et notes par Louis Desgraves,

William Blake and C°, 1991, II, p. 154.

 

21/07/2014

Jacques Réda, Les Ruines de Paris

 

                                                   th-1.jpg

 

 

   Car finalement nous ne sommes, me confie ce livreur, que de passage et pour très peu de temps sur terre, mais trop de gens ont tendance à l’oublier Si bien que tout se déroule à l’envers de ce qui devrait être : partout la haine au lieu de l’amour. Tels sont les propos qu’il me tient dans une langue aussi difficile à reproduire que son accent : le parigot où sous la gouaille pointe une espèce de morgue. Nous en sommes arrivés là, d’ailleurs, je ne sais comment : parce que les feux de l’avenue de Suffren restent bloqués au rouge, et que cet embouteillage invite à la méditation. Lui je suppose qu’il livre, qu’il en infère de même pour moi : la grosse boîte qu’un sandau arrime derrière ma selle (et où je transporte en fait des lettres, des brouillons, des élastiques, des disques rares et coûteux de Sonny Clarke ou d’Eddie Costa), la casquette rabattue sur une face plutôt brutale, le k-way avec trois rayures blanches le long des bras. Et c’est vrai que d’une certaine manière on se ressemble, pas rien que par le vêtement. Mais je me borne à opiner sobrement de la tête, je ne risque pas un mot. Si je n’avais énoncé, moi, que le tiers de ce début d’évangile, aussitôt j’en suis sût il m’aurait traité de cureton. Cependant c’est à cela qu’il songe tandis qu’il patiente ou qu’il fonce, j’y pense aussi parfois. Ainsi donc un moment anonymes au coude à coude, dans le brassage hostile des moteurs, peut-être qu’on s’aime, qu’on se comprend. Mais enfin tout le carrefour se remet à clignoter orange : il rentre à fond dans le paquet, se faufile, me sème, puis, tout à coup, se retourne, et (appelons les choses par leur nom), se fend la tirelire, carrément.

 

Jacques Réda, Les Ruines de Paris, Gallimard, 1977, p. 60-61.

14/07/2014

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

imgres.jpg

              À l'Etna

 

Etna — j'ai monté le Vésuve...

Le Vésuve a beaucoup baissé :

J'étais plus chaud que son effluve,

Plus que sa crête hérissé...

 

— Toi que l'on compare à la femme...

— Pourquoi ? — Pour ton âge ? ou ton âme

De caillou cuit ?... — Ça fait rêver...

— Et tu t'en fais rire à crever !

 

— Tu ris jaune et tousses : sans doute,

Crachant un vieil amour malsain ;

La lave coule sous la croûte

De ton vieux cancer au sein.

 

— Couchons ensemble, Camarade !

Là — mon flanc sur ton flanc malade :

Nous sommes frères, par Vénus,

Volcan !...

                Un peu moins... un peu plus...

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, édition établie

par Pierre-Olivier Walzer, dans Charles Cros,

Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade,

Gallimard, 1970, p. 784-785.

11/07/2014

Erich Fried, Le vivre mourir

 

 imgres-4.jpg

Le vivre mourir

 

Je meurs toujours et sans cesse

et toujours à découvert

Je meurs toujours et toujours

et toujours ici

Je meurs toujours une fois

et toujours chaque fois

 

Je meurs continûment

Je meurs comme je vis

Parfois j’escalade la vie

et parfois je la dégringole

Parfois je dégringole la mort

et parfois je l’escalade

 

De quoi je meurs ?

De la haine

et de l’amour

de l’indifférence

de l’abondance

et de la misère

 

Du vide d’une nuit

du contenu d’un jour

de nous toujours une fois

et encore toujours d’eux

Je meurs de toi

et je meurs de moi

 

Je meurs de quelques croix

Je meurs dans un piège

Je meurs du travail

Je meurs du chemin

Je meurs du trop à faire

et du trop peu à faire

 

Je meurs aussi longtemps

que je ne suis pas mort

Qui dit

que je meurs ?

Jamais je ne meurs

bien au contraire je vis        

 

Sterbeleben

 

Ich sterbe immerzu

und immeroffen

Ich sterbe immerfort

und immer hier

Ich sterbe immer einmal

und immer ein Mal

 

Ich sterbe immer wieder

Ich sterbe wie ich lebe

Ich lebe manchmal hinauf

und manchmal hinunter

Ich sterbe manchmal hinunter

und manchmal hinauf

 

Woran ich sterbe?

Am Haß

und an der Liebe

an der Gleichgültigkeit

an der Fülle

und an der Not

 

An der Leere einer Nacht

am Inhalt eines Tages

immer einmal an uns

und immer wieder an ihnen

Ich sterbe an dir

und ich sterbe an mir

 

Ich sterbe an einigen Kreuzen

Ich sterbe in einer Falle

Ich sterbe an der Arbeit

Ich sterbe am Weg

Ich sterbe am Zuvieltun

und am Zuwenigtun

 

Ich sterbe so lange

bis ich gestorben bin

Wer sagt

daß ich sterbe?

Ich sterbe nie

sondern lebe

 

Erich Fried, Sterbeleben, extrait de Es ist was es ist

(Verlag Klaus Wagenbach, Berlin, 1983).

Traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.

 

07/07/2014

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

images.jpg

                                       E blanc

 

                                       Scène 1

 

La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches

Patauger dans la nuit appelle-t-on cela

Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère

Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert

De pleurer au temps des souvenirs la partie

Est déjà perdue tu n’avais pas su le

Retenir il courait plus vite que le vent

Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie

Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre

Dolente et non le chapelet à l’angélus

 

Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive

Toujours quad le clocher sonne douze au clair de

Lune le christ O vieille démangeaison

Pauvre lélian habité par un fantôme à

La jambe de bois l’autre en toi O moulin à

Prières

 

                                           Scène 2

 

Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard

À demi enseveli dans la neige quelle

Porte par où t’enfuir encore et toujours

O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par

Les mouches du rêve et que l’éclair divise à

Jamais hagard comme le faucon

 

                                           Scène 3

 

Elle venait sans que j’y prenne garde à pas

De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu

À battre la chamade je ne l’avais pas

Reconnue tant son visage était pâle et

Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit

Ses regards enjôleurs me grisaient doucement

O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut

Me prendre par surprise au petit matin calme

 

J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta

Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon

Sang O la camarde ma camarade attends

Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer

Pour lui les mots du nouvel amour

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud,

Gallimard, 2009, p. 39-41.

26/06/2014

Adrienne Rich (1929-2012), dans Olivier Apert, Une anthologie de la poésie féminine

adriennerich1.jpeg

D'une vieille maison en Amérique

 

16.

« De telles femmes sont dangereuses

pour l'ordre des choses »

 

et bien oui nous serons dangereuses

à nous-mêmes

 

avançant à tâtons parmi les épines du cauchemar

(datura s'enchevêtrant à une herbe simple)

 

car la ligne séparant

la lucidité des ténèbres

 

st encore à tracer

 

Isolement, le rêve

de la femme de la frontière

 

mettant en joue sa carabine derrière

la clôture de la ferme

 

piège encore notre vanité

— Une feuille suicidaire

 

s'étend sous le verre brûlant

de l'œil du soleil

 

La mort de toute femme me diminue.

 

From an old house in America

 

"Such women are dangerous

in the order of things"

 

and yes, we wille be dangerous

to ourselves

 

groping through spines of nightmare

(datura tangling with a simple herb)

 

because the line dividing

lucidity from darkness

 

is yet to be marked out

 

Isolation, the dream

of the frontier woman

 

levelling her rifle along

the homestead fence

 

still snares our pride

—a suicidal leaf

 

laid under the burning-glass

in the sun eye

 

Any woman death diminishes me.

 

Adrienne Rich (1929-2012), dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue de la poésie féminine américaine du XXe siècle, Le Temps des Cerises, 2014, p. 183 et 182.

20/06/2014

Robert Creeley (1926-2005), Dire cela

imgres-1.jpg

Catulle, tu décoiffes

 

1

Mon amour — mon amour dit

qu'elle m'aime.

Et qu'elle n'aura jamais

un autre homme que moi.

 

Pourtant ce qu'une femme annonce

à un homme qui la jette

doit être écrit sur le vent et sur

l'eau vive.

 

2

Ma vieille dit c'est moi je suis le mieux,

elle dit personne ne le fait mieux que moi.

 

Mais que dit ma vieille quand je la jette, —

Mmmm, plutôt non que le mieux.

 

3

Ma vieille est une cinglée de moi,

elle me dit elle m'aime ne me quitte pas —

 

mais ce qu'une cinglée peut annoncer à un homme

est le mieux écrit sur le vent & l'eau & le sable.

 

4

Amour & argent & pilier de bar

mon homme passe pour un lascar

 

y rentre tard et c'est pas de mon lit

et maintenant qu'est-ce que je lui dis ?

 

5

Nous sommes fous mais nous sommes gais,

la vie est courte & la vie nous trouve, s'il te plaît,

 

c'est le moment ou jamais & c'est la fête,

rate pas le mieux, ou je te savonne la tête.

 

Robert Creeley, Dire cela, choix, présentation et

traduction de l'américain par Jean Daive, NOUS,

2014, p. 53-54.

11/05/2014

Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé

                           imgres-1.jpg

                                     Le lac

 

   Au printemps de mon âge, ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer — si aimable était l'isolement d'un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.

 

   Mais quand la nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurer sa musique — alors — oh ! alors je m'éveillais toujours à la terreur du lac isolé.

 

   Cette terreur n'était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que non ! mine de joyaux ne pouvait m'enseigner ou me porter à définir — ni l'Amour, quoique l'Amour fut le tien !

 

   La mort était sous ce flot empoisonnant, dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l'âme solitaire pouvait faire un Eden de ce lac obscur.

 

Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 138-139.

 

 

17/04/2014

Myrto Gondicas, dans Les Carnets d'eucharis

images.jpg

Et l'on veut vivre encore, les vieilles, et l'on

tourne le coin des rues avec au bord

des lèvres l'ombre d'un rire éclos sous

la frange peinte, acajou mauve ou noir vainqueur

des doutes des ans : si, sur

l'arête d'un trottoir, on bronche

bec ouvert sous le ciel clément, la fesse

ivre un peu, balancée rétive

(et la cheville, avec, se tord),

tel vieux souvenir alors émerge

et mord l'âme amollie : cassoulet, amour,

écho de voix pépiant au fond des cours où

dans une odeur de cèdre et de sésame

chaud, avec les cris du loto populaire,

pulse le cœur oublié d'un monde.

 

Myrto Gondicas, dans Les Carnets d'eucharis, n° 41, en ligne

(<http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/archive/2014/04/13/les-carnets-d-eucharis-n-41-printemps-2014-5345803.html>

 

09/02/2014

Sanguineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei & Benoît Casas

             Les éditions NOUS ont quinze ans

 

              Sanguineti.jpg

 

pour toi je les ai éprouvés (et pour toi je les éprouve ma chérie) : et de ce que                                                                                                [tu vois,  

tu le vois, il s'agit :

                              il y a comme un pré, une rive (un rivage), avec des roseaux,

avec des herbes en fleur, avec des zones lacustres ou palustres (le cadrage est                                                                                                                 [serré :                                                                                               

 

on voit, et on devine, peu et mal) : et deux couples d'oiseaux aquatiques voilà,

justement, âprement se becquettent, se déchirent (et, déchirés, se déplument) :

                                                                                                                   mais

trois autres volatiles (mais inaccoutumés, inadaptés au vol), trottinant paisibles,

apaisés (ce que je désigne ici, respectivement, par S, et par T, et enfin par R),

se tiennent là dans un coin, gauchement sereins :

                                        (pourtant observe-les, ici, avec moi, ils palpitent) :

 

Edoardo Sanguineti, Corollaire, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, préface de Jacques Roubaud, NOUS, 2013, p. 38.

08/02/2014

Dominique Buisset, Quadratures, postface de Jacques Roubaud

                     

                                                 Les éditions NOUS ont 15 ans...

          www.editions-nous.com

 

dominique buisset,quadratures,postface  de jacques roubaud,scève,amour,double

 

 

               Parascève

                    16

 

De tout faire une ligne de mots

tout réduire à cette noircissure

peu à peu dont se griffe la page

grincement où s'étouffe la rage

et se dénoue le piège d'émo-

tion que rend la vieille narcissure

à moi regardante et pas si sûre

d'aimer reconnaître au tavelage

du miroir un saugrenu jumeau.

 

                         *

 

              Quadratures

                     11

 

Universelle maison de l'équivoque

amour à travers tant de chambres couru

— et nous les habitons tantôt tantôt l'une

l'autre toujours si mal qu'elle nous le rend

bien — de ce monde où toute prise nous fuit

et c'est un leurre de tenir, où jamais

le milieu n'est juste ni l'instant rendu

— seule dure à perte la rage —, rends-le

nous, et sa piqûre dont s'ourlent de nous

les nuages filant par dessus tout vite

dans l'équivoque biais de l'universel.

 

Dominique Buisset, Quadratures, postface

de Jacques Roubaud, NOUS, 2010,

p. 91 et 19.

07/02/2014

E. E. Cummings, font 5, traduction de Jacques Demarcq

 

 

Les éditions NOUS ont 15 ans

      www.editions-nous.com 

                      Cummings.jpg

                        Quatre

                          XIV

 

il y a si longtemps que mon cœur n'a été avec le tien

 

serré par nos bras nous mêlant dans

une obscurité où de nouvelles lumières naissent et

grandissent,

depuis que ton esprit a parcouru

mon baiser tel un étranger

dans les rues et les couleurs d'une ville —

 

ce que j'ai peut-être oublié

oh oui, toujours (avec

ces pressantes brutalités

du sang et de la chair) l'Amour

se forge des gestes très progressifs,

 

et taille la vie pour l'éternité

 

— après quoi nos êtres se séparant sont des musées

remplis de souvenirs joliment empaillés

 

E. E. Cummings,  font 5, traduction et postface de Jacques Demarcq, NOUS, 2011, p. 91.

 

 

 

29/01/2014

James Sacré, Écrire pour t'aimer ; à S. B.

                                 imgres-1.jpg

              Une semaine avec James Sacré

 

            Qu'est-ce qu'on fait dimanche ?

 

   Beaucoup de gestes pour aimer sont, tout compte fait, presque rien

   Malgré d'extravagantes paroles que des anges ou des chevaux s'ébrouent dedans

   T'en souviens-tu comme je t'emporte à jamais dans mon cœur avec ton beau prénom presque rien,

   La rengaine d'un amour impossible un dimanche et l'odeur de la brillantine

   J'aimerais faire comprendre à travers la qualité rythmique et machine souple

   Des mots mis ensemble.

   L'effet que produit dans mon corps

   La moindre complicité (roublarde ou naïve) que ton sourire accroche

   À du temps qui passe entre nous ;

   Non pas que je tienne à sauver des sentiments de la ruine

   Mais parce que le grand bien-être et force dans le cœur.

   À dire tout bonnement que je t'aime, ça ressemble vraiment

   À l'ange qui galope dans tous mes poèmes : on le voit mal, mais j'écrirai toujours.

 

James Sacré, Écrire pour t'aimer ; à S. B., André Dimanche, 1984, p. 43.

12/01/2014

Paul Celan, Pavot et mémoire,

images.jpg

En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

         Louange du lointain

 

À la source de tes yeux

vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.

À la source de tes yeux

la mer tient sa promesse.

 

Je jette là

un cœur qui a vécu parmi les hommes,

jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment :

 

Plus noir dans le noir je suis plus nu.

Infidèle seulement je suis fidèle.

Je suis tu quand je suis je.

 

À la source de tes yeux

je suis emporté et je rêve de rapine.

 

Un filet a pêché un filet :

nous nous séparons enlacés.

 

À la source de tes yeux

un pendu étrangle sa corde.

 

 

         Lob der Ferne

 

Im Quell deiner Augen

leben die Garne der Fischer der Irrsee.

Im Quell deiner Augen

hält das Meer sein Versprechen.

 

Hier werf ich,

ein Herz, das gewellt unter Menschen,

die Kleider von mir und den Glanz eines Schwures :

 

Schwärzer im Schwarz, bin ich nackter.

Abtrünnig esrt bin ich treu.

Ich bin du, wenn ich ich bin.

 

Im Quell deiner Augen

treib ich und träume von Raub.

 

Ein Garn fing ein Garn ein :

wir scheiden umschlungen.

 

Im Quell deiner Augen

erwürgt ein Gehenkter den Strang.

 

Paul Celan, Pavot et mémoire, traduction de Valérie

 

Briet, Christian Bourgois, 1987, p. 69 et 68.

09/01/2014

Paul Celan, Partie de neige

th-1.jpg

En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan,

    

À ton ombre, à ton

ombre toute mal-sonnée aussi,

j'ai donné sa chance.

 

elle, elle aussi

je l'ai lapidée à coups de moi-même,

moi le droit-ombré, droit

sonné —

étoile à six branches

à laquelle tu as

adonné ton silence.

 

aujourd'hui

adonne ce silence où tu veux,

 

catapultant du sous-sacralisé par l'époque,

depuis longtemps, moi aussi, dans la rue,

je sors, pour n'accueillir aucun cœur,

jusque chez moi dans le pierreux-

multiple.

 

Deinem, aux deinem

fehldurchläuteten Schatten

gab ich die Chance.

 

ihn, auch ihn

besteinigt ich mit mir

Gradgeschattetern, Grad-

geläutetem — ein

Schsstern,

dem du dich hinschwiegst,

 

heute

schweig dich, wohin du magst,

 

Zeitunterheligtes schleudernd,

längst, auch ich, auf der Straße,

tret ich, kein Herz zu empfangen,

zu mir ins Steinig-Viele

hinaus.

 

Paul Celan, Partie de neige, édition bilingue,

traduit de l'allemand et annoté par Jean-Pierre

Lefebvre, Seuil, 2007, p. 51.