12/01/2014
Paul Celan, Pavot et mémoire,
En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan
Louange du lointain
À la source de tes yeux
vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.
À la source de tes yeux
la mer tient sa promesse.
Je jette là
un cœur qui a vécu parmi les hommes,
jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment :
Plus noir dans le noir je suis plus nu.
Infidèle seulement je suis fidèle.
Je suis tu quand je suis je.
À la source de tes yeux
je suis emporté et je rêve de rapine.
Un filet a pêché un filet :
nous nous séparons enlacés.
À la source de tes yeux
un pendu étrangle sa corde.
Lob der Ferne
Im Quell deiner Augen
leben die Garne der Fischer der Irrsee.
Im Quell deiner Augen
hält das Meer sein Versprechen.
Hier werf ich,
ein Herz, das gewellt unter Menschen,
die Kleider von mir und den Glanz eines Schwures :
Schwärzer im Schwarz, bin ich nackter.
Abtrünnig esrt bin ich treu.
Ich bin du, wenn ich ich bin.
Im Quell deiner Augen
treib ich und träume von Raub.
Ein Garn fing ein Garn ein :
wir scheiden umschlungen.
Im Quell deiner Augen
erwürgt ein Gehenkter den Strang.
Paul Celan, Pavot et mémoire, traduction de Valérie
Briet, Christian Bourgois, 1987, p. 69 et 68.
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09/01/2014
Paul Celan, Partie de neige
En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan,
À ton ombre, à ton
ombre toute mal-sonnée aussi,
j'ai donné sa chance.
elle, elle aussi
je l'ai lapidée à coups de moi-même,
moi le droit-ombré, droit
sonné —
étoile à six branches
à laquelle tu as
adonné ton silence.
aujourd'hui
adonne ce silence où tu veux,
catapultant du sous-sacralisé par l'époque,
depuis longtemps, moi aussi, dans la rue,
je sors, pour n'accueillir aucun cœur,
jusque chez moi dans le pierreux-
multiple.
Deinem, aux deinem
fehldurchläuteten Schatten
gab ich die Chance.
ihn, auch ihn
besteinigt ich mit mir
Gradgeschattetern, Grad-
geläutetem — ein
Schsstern,
dem du dich hinschwiegst,
heute
schweig dich, wohin du magst,
Zeitunterheligtes schleudernd,
längst, auch ich, auf der Straße,
tret ich, kein Herz zu empfangen,
zu mir ins Steinig-Viele
hinaus.
Paul Celan, Partie de neige, édition bilingue,
traduit de l'allemand et annoté par Jean-Pierre
Lefebvre, Seuil, 2007, p. 51.
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07/01/2014
Paul Celan, Enclos du temps, traduit par Martine Broda
En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan
Mon
âme inclinée vers toi
t'entend
orager,
dans le creux de ton cou mon étoile
apprend comme on sombre
et devient vraie,
des doigts, je la tire au dehors —
viens, entends-toi avec elle,
encore aujourd'hui.
Meine
dir zugewinkelte Seele
hört dich
gewittern,
in deiner Halsgrube lernt
mein Stern, wie man wegsackt
und wahr wird,
ich fingre ihn wieder heraus —
komm, besprich dich mit ihm,
noch heute.
Paul Celan, Enclos du temps, traduit par
Martine Broda, Clivages, 1985, n. p.
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03/01/2014
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir
Ode
Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J’entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J’ois Charon qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s’accouple d’une ourse,
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
Le monde renversé
Sonnet
L’autre jour inspiré d’une divine flamme,
J’entrai dedans un temple, où tout religieux
Examinant de près mes actes vicieux,
Un repentir profond fit soupirer mon âme.
Tandis qu’à mon secours tous les Dieux je réclame,
Je vois venir Phyllis : quand j’aperçus ses yeux
Je m’écriai tout haut : ce sont ici mes Dieux,
Ce temple, et cet Autel appartient à ma Dame.
Le Dieux injuriés de ce crime d’amour
Conspirent par vengeance à me ravir le jour ;
Mais que sans plus tarder leur flamme me confonde.
Ô mort, quand tu voudras je suis prêt à partir ;
Car je suis assuré que je mourrai martyr,
Pour avoir adoré le plus bel œil du monde.
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir, Œuvres choisies, édition présentée et établie par Jean-Pierre Chauveau, Poésie / Gallimard, 2002, p. 88 et 90.
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16/12/2013
Jacques Réda, Les Ruines de Paris
Car finalement nous ne sommes, me confie ce livreur, que de passage et pour très peu de temps sur terre, mais trop de gens ont tendance à l’oublier Si bien que tout se déroule à l’envers de ce qui devrait être : partout la haine au lieu de l’amour. Tels sont les propos qu’il me tient dans une langue aussi difficile à reproduire que son accent : le parigot où sous la gouaille pointe une espèce de morgue. Nous en sommes arrivés là, d’ailleurs, je ne sais comment : parce que les feux de l’avenue de Suffren restent bloqués au rouge, et que cet embouteillage invite à la méditation. Lui je suppose qu’il livre, qu’il en infère de même pour moi : la grosse boîte qu’un sandau arrime derrière ma selle (et où je transporte en fait des lettres, des brouillons, des élastiques, des disques rares et coûteux de Sonny Clarke ou d’Eddie Costa), la casquette rabattue sur une face plutôt brutale, le k-way avec trois rayures blanches le long des bras. Et c’est vrai que d’une certaine manière on se ressemble, pas rien que par le vêtement. Mais je me borne à opiner sobrement de la tête, je ne risque pas un mot. Si je n’avais énoncé, moi, que le tiers de ce début d’évangile, aussitôt j’en suis sût il m’aurait traité de cureton. Cependant c’est à cela qu’il songe tandis qu’il patiente ou qu’il fonce, j’y pense aussi parfois. Ainsi donc un moment anonymes au coude à coude, dans le brassage hostile des moteurs, peut-être qu’on s’aime, qu’on se comprend. Mais enfin tout le carrefour se remet à clignoter orange : il rentre à fond dans le paquet, se faufile, me sème, puis, tout à coup, se retourne, et (appelons les choses par leur nom), se fend la tirelire, carrément.
Jacques Réda, Les Ruines de Paris, Gallimard, 1977, p. 60-61.
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07/12/2013
Jean Ristat, N Y Meccano
Il y avait si long temps d'amour qu'au matin
Un ange tombé dans la plume par surprise
La bouche encore nouée comme une rose
Ne m'avait tenu à l'ourlet d'un soupir
Ô il y avait si long temps du tendre amour
Les doigts dépliés dans sa longue chevelure
Comme un éventail de nacre au creux de l'épaule
Je me suis égaré dans un jardin chinois
Écoute mon cœur comme il bat pour la bataille
Et la fureur qi t'accable et la violence
De mes jambes dans le sable brûlant d'un drap
Ô beau fantôme par mégarde à la fenêtre
D'un rêve qui t'enfuis au hasard des rencontres
Et la seine berce un noyé qui me ressemble
Un couteau dans le dos pas besoin d'olifant
Sous l'oreiller pour la main le jour comme un gant
Retourné notre-dame agite ses grelots
Il y avait si long temps d'un grand vent de sel
Et d'épices sur mes lèvres pour un baiser
Et ce passant n'en sait rien à son miroir
Qui sourit poudré comme la lune d'hiver
Je t'effacerai mirage dans mon désert
Comme une ardoise la craie d'un enfant
C'est à new york ou dans l'île saint-louis le
Songe bleu d'un amour révolu la chanson
D'un autre siècle il est passé le temps d'aimer
Il est passé n'en parlons plus on se retourne
Et cette fois il y avait si long temps de
Mourir à tes genoux que l'air m'en est connu
Si douce la nuit sur le pont-marie je marche
À reculons et sans visage ni raison
Qui me reconnaîtrait pas même une chouette
Comme la vigie sur le chapeau d'un poète
Pour l'adieu
Jean Ristat, N Y Meccano, Gallimard, 2001, p. 13-14.
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10/11/2013
Paul Éluard, La rose publique
Passer le temps
Un enfant grimpe à l'homme
Qui dit jeune dit seul
Comme une page blanche
Puisque tout a la forme de la nouveauté
Un enfant retentit du cri commun aux solitaires
Engagés douloureusement
Sur de longues artères d'ombre
Il prend soin de crier
Mais son œil est pareil à cette bouche de froid
[qu'on n'entend pas exploser
Pareil à cette bombe de larmes qu'on ne voit
[pas couler
Pluie espérée pluie en puissance
Grande pluie meurtrière
Des blés cassants comme des cruches
Sur mes colères
J'ignore toujours mon destin
Fillette aux seins de soie
Ai-je vieilli
Midi minuit
je m'endors je m'éveille
En caressant tout doucement
Une bonne loutre vertueuse
Qui résiste à tous les poisons.
Paul Éluard, La rose publique, dans Œuvres I, édition
établie et annotée par Marcelle Dumas et Lucien
Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968,
p. 434-435.
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20/09/2013
Noémie Parant, 45 lettres à D.
14 août 2013
Cher D.,
Noyés donc les jardins et le vide noyés aux bienfaits de l’amour je ne réalise à présent les pages réunies l’issue des lettres approchée pour de vrai, ce qu’il m’est donné d’avoir ni ce qu’il me faut décidément en attendre. Nul de la crête en ce cas, plus que tout ce que j’y perçus limon à la queue de soi rentré là me dédier l’atmosphère et ces nuées, qui culminent pour jamais. Toutes m’échappent aujourd’hui par les chevilles et l’épine du crâne vois-tu n’a plus aucun sentiment que je ne crois ramasser, comme d’émotions à étreindre enfin.
Alors je te parle toujours avant de prendre le bout de ce livre il gagne, de vitesse ces dernières heures reste quelques envois à tenir une quarantaine t’ai-je promis en commençant ainsi, marteler plus résolue l’effet de l’espace sur mes possibles – lui que j’égarai pour du désir et le contrebas, n’ai que faire de ce qu’il peut bien contenir. L’un l’autre m’en moque puisqu’y laissèrent si peu à peine ces gouffres évanouis contre la mémoire et encore, tout juste me revient-il de quoi comprendre quel doux rêve je pus y trouver. Lis cher D. d’amour, combien l’existence est heureuse une fois ravie à la réserve de ce qu’elle voulut confier – échoués de la sorte vallons où périr puis d’ici, voûtes en lieu et place de l’immortel. Mais je saurais inlassablement rapporter et tant de ce qu’elle m’offre à ressentir : le cœur, dis-le toi, le cœur est un prodige désormais ne sert d’ailleurs plus de le formuler sans percevoir sans – que la charge ancienne et le sol que je reçois par la plante et ce jaune là-bas que je n’embrassai, sans qu’ils fondent tous après l’amour.
Ainsi les lignes, elles stopperaient sur ces mots pourtant je l’eus l’envie même si vive de les reconduire une à une – lors qu’elles valent aujourd’hui pour seuls vestiges de l’été finissant. Touche donc là comme il y manque encore quelque chose mon amour, dont je puisse enfin rabattre plus blessante cette ombre jouée autour de la mort. Tu y verras que l’août a coulé entre deux bientôt la gare où ne plus penser aux champs du mourir, que les nouveaux jours s’y apprêtent quoique meurtris à part tes visages, surtout qu’ils me délivrent l’afflux de la vie par ta vie alors j’y faucherai les adieux oui et toi-l’adoré – me suffira de te tenir devant le monde.
Noémie Parant, 45 lettres à D., inédit, à paraître.
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19/09/2013
Edoardo Sanguineti, Corollaire — Le noble jeu de l'oye
si tu revis, que corriges-tu ?
eh bien, rien : (je suis débordant de remords torturants,
ô ma femme) : (je suis une épouvantable encyclopédie de conneries [encouillonnées, de semi-criminelles
supergaffes : et elles furent, mes années, un inimitable échantillonnages [d'irrémédiables coquilles existentielles) :
eh bien, je ne retoucherai pas une seule virgule, pas un seul simple [point : (j'aurais trop peur
de l'effet domino) : (tu modifies un geste, un mot ; tu refais, juste comme ça, le [nœud
de ta cravate) : (mais que dis-je ? tu te coupes, d'une narine, un jour, un poil à [peine en trop,
rien d'autre) : (et tu joues un destin — le destin, et tout se tient) : (et puis imagine — [imagine
le cas : tu disparais, alors, de la re-vie que je vivrais, me concédant un bis) :
eh bien :
ce que j'ai eu, je le garde ainsi : (pourvu que je te garde, moi je me garde, [à l'identique)
Edoardo Sangineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas, préface de Jacques Roubaud, éditions NOUS, 2013, p. 48.
Le noble jeu de l'oye, LVIII
On prend une jeune fille, n'importe laquelle, là au hasard. On met la jeune fille, là devant nous, nue, assise sur un tabouret de bois, avec la figure toute dans l'ombre, les genoux en pleine lumière, les mains sur les hanches. On coupe les pieds. On jette un reste de temple ionique, là sur la jeune fille, en couleurs, avec trois colonnes et une architrave, avec le ciel bleu et les petits nuages blancs. L'architrave va de travers, en bas de l'épaule gauche, sous le sein droit. Puis elle saute là, à la hauteur du coude, sur le bras droit. Puis on tourne la jeune fille sur le côté, en pied, avec les bras en l'air. On coupe la tête. On coupe les bras, là en haut. On coupe les cuisses. On jette un instrument à vent, là sur la peau de la jeune fille. On jette, par exemple, un cor anglais. La peau de la jeune fille, là de côté, est une clairière dans le bois, avec quelques touffes d'herbe, avec un cor anglais. Puis on fait mieux. On dit à la jeune fille qu'elle doit se tourner toute, elle, là de dos, en pied. On coupe les pieds. On coupe tout ce qu'il y a, des genoux au bas, par derrière. On voit tous les cheveux noirs, ainsi, à la jeune fille. On voit aussi une de ses tresses qui pend, là jusqu'à mi-dos, à elle, précisément. On voit sa main droite qui pointe, là par la gauche, là de dos, de côté, de l'avant-bras gauche. Ses ongles sont laqués en rouge, son annulaire a un anneau, son pouce regarde en haut. On jette une tête de femme qui se penche par un rideau. La femme déplace le rideau avec les mains, s'avance avec la tête, avec les cheveux bouclés, cuivrés. Puis la femme se retire en arrière, la jeune fille se ferme son dos. Puis on dit à la jeune fille qu'elle doit s'asseoir, encore, là de dos, là par terre, avec la tête très penchée en avant. Un se couche sur le sol, alors. Il voit le dos nu, il voit les jambes qui pointent à peine, là sur le côtés, qui s'en vont par là, en perspective. On en jette deux qui regardent le coucher du soleil, un homme et une femme, sur le bord de la mer, tournés par là, vers la mer, avec le vent qui souffle dans les cheveux de la femme. Puis on photographie tout. CAMERA : Pentax H3, with Super-Takumar f/1.8 lens. EXPOSURE :st f/2.8, shutter speed varied. FILM : Kodachrome Type B. LIGHTING : two 3200 K floods bounced.
Edoardo Sanguineti, Le noble jeu de l'oye, "Tel Quel", éditions du Seuil, 1969, p. 82-83.
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29/07/2013
Lord Byron, Épître à Augusta
Épître à Augusta
IX
Que n'es-tu qu'avec moi ! mais je cultive
De mes désirs que la folie, et j'oublie
Que la solitude, si fort louée,
Perdit son prix en cela — un regret ;
Il en peut être d'autres, que moins je montre ;
Mon humeur n'est plaintive, quoique je sente
La mer descendre en ma philosophie,
Et s'élever le flot à mon œil altéré.
Espitle to Augusta
IX
Oh that thou wert but with me ! — but I grow
The fool of my own wishes, and forget
The solitude, which I have vaunted so,
Has lost its praise n this but one regret;
There may be others which I less may show,
I am not of the plaintive mood, and yet
I fell an ebb in my philosophy,
And the tide rising in my alter'd eye.
Lord Byron, Poèmes, choisis et traduits de l'anglais par
Florence Guilhot et Jean-Louis Paul, Allia, 2012, p. 77 et 76.
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01/07/2013
François de Malherbe, Poésies
Chanson :
Sur le départ de la vicomtesse d'Auchy
Ils s'en vont ces rois de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeux,
Dont l'éclat fait pâlir d'envie
Ceux mêmes des cieux.
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Elle s'en va cette merveille
Pour qui nuit et jour
Quoi que la raison me conseille,
Je brûle d'amour.
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
En quel effroi de solitude
Assez écarté
Mettrai-je mon inquiétude
En sa liberté ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Les affligés ont eu leur peine
Recours à pleurer ;
Mais quand mes yeux seraient fontaines,
Que puis-je espérer ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
François de Malherbe, Poésie, Librairie de la
Bibliothèque nationale, 1884, p.154-155.
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28/06/2013
Edoardo Sanguineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas
1.
acrobate (n.m.) est celui qui marche tout en pointe (des pieds) : (tel, du moins,
pour l'étymon): mais ensuite il procède, naturellement, tout en pointe de doigts, aussi,
de mains (et en pointe de fourchette) : et sur sa tête : (et sur les clous,
en fakirant et funambulant) : (et sur les fils tendus entre deux maisons, par les rues
et les places : dans un trapèze, un cirque, un cercle, sur un ciel) :
il voltige sur deux cannes, flexiblement, enfilées dasn deux verres, deux chaussures,
deux gants : (dans la fumée, dans l'air) : pneumatique et somatique, dans le vide
pneumatique : (dans de pneumatiques plastiques, dans des fûts et bouteilles) : et il saute mortellement :
et mortellement (et moralement) il tourne :
(ainsi je tourne et saute, moi, dans ton cœur) :
1.
acrobata (s.m.) è chi cammina tutto in punta (di piedi) : (tale, almeno,
è per l'etimo) : poi procede, però, naturalmente, tutto in punta di dita, anche,
di mani (e in punta di forchetta) : e sopra la sua testa : (e sopra i chiodi,
fachireggiando e funamboleggiando): (e sopra i fili tra due case, per le strade
e le piazze: dentro un trapezio, in un circo, in un cerchio, sopra un cielo):
volteggi su due canne, flessibilmente, infilzate in due bicchieri, in due scarpe,
in due guanti: (dentro il fumo, nell'aria): pneumatico e somatico, dentro il vuoto
pneumatico (dentro pneumatici plastici, dentro botti e bottiglie) : e salta mortalmente:
e mortalmente (e moralmente) ruota:
(cosi mi ruoto e salto, io nel tuo cuore):
Edoardo Sanguinetti, Corollaire, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, Préface de Jacques Roubaud, NOUS, 2013, p. 13 et 71.
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26/05/2013
Paul Éluard, Cours naturel
Passionnément
I
J'ai vraiment voulu tout changer
Sur l'herbe du ciel dans la rue
Parmi les linges des maisons
Partout
Elle jouait comme on se noie
Puis elle restait immobile
Pour que je referme sur elle
Les lourdes portes de l'impossible.
II
Le rire après jouer ayant mis à la voile
La table fut un papillon qui s'échappa.
III
Elle déchira sa robe
Elle embrassa
Une toilette neuve et nue.
IV
Dans les caves de l'automne
Elle fut tour à tour
La fleur neigeuse de la foudre
Et le charbon.
V
Dans la ville la maison
Et dans la maison de terre
Et sur la terre une femme
Enfant miroir œil eau et feu.
VI
Sa jeunesse lui donnait
Le pouvoir de vivre seule
Je n'ai pas su limiter
Mon cœur à sa seule poitrine.
VII
Rien que ce doux petit visage
Rien que ce doux petit oiseau
Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent
À la sortie de l'hiver
Quand les nuages commencent à brûler
Comme toujours
Quand l'air frais se colore
Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.
Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.
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05/05/2013
Marie Étienne, L'Aigrette, dans Le Livre des recels
Tu m'appel
les l'Aigrette
dit l'Aigrette
mais tu i
gnores que je suis
l'Oiseau
qui vient de cette Nuit Là-bas
au cœur de la Forêt
ce n'est pas la Noirceur
mais souvenir de la Noirceur
ce n'est pas la Lumière
mais souvenir de la Lumière
qui entretient et remercie
j'ai regagné le Fleuve
je m'y tiens à présent
comme une pierre en plein midi
une prière sur son socle
ô Ciel
ap
proche ta joue
et vous un Dieu
combien au fond d'un Dieu
l'Amour est long
à être mus
elé
approche et sens
[...]
Marie Étienne, L'Aigrette [2008], dans Le Livre des recels, Poésie / Flammarion, 2011, p. 317-318.
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04/05/2013
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes
Des caresses
de seins parmi l'herbe,
vous, tout entière, souffle de chaudes sécheresses,
vous étiez debout, près de l'arbre
et les tresses
tordaient la torsade des torts atroces en toron.
Et les heures bleues
vous enlaçaient de tresses de cuivre.
Leur coulée cuivrée se tord, torride.
Et ton regard — c'est une chaumière
où tournent le rouet deux marâtres — fileuses.
Je vous ai bue à plein verre
durant les heures bleues
lorsque vous regardiez le lointain de fer.
Les pins frappent le bouclier
de leurs aiguilles murmurantes,
clos, les yeux des vieilles ;
et maintenant
m'enserrent, me brûlent les tresses de cuivre.
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes, traduit du russe et présenté par Luda Schnitzer, Pierre Jean Oswald, 1967, p. 83.
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