11/05/2014
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé
Le lac
Au printemps de mon âge, ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer — si aimable était l'isolement d'un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurer sa musique — alors — oh ! alors je m'éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n'était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que non ! mine de joyaux ne pouvait m'enseigner ou me porter à définir — ni l'Amour, quoique l'Amour fut le tien !
La mort était sous ce flot empoisonnant, dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l'âme solitaire pouvait faire un Eden de ce lac obscur.
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 138-139.
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