22/09/2015
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes
Tu dors, dors, c’est
une histoire, non pas l’Histoire
interprétable. Alors il vaut mieux te rendormir.
Servies secrets
réfugiés
quand les premiers mots
retentissent, alors
tu dors,
tu n’as pour les mots
plus aucun intérêt
Tôt le matin
quand les procès
commencent et que les
doux visages
des assassins et
les juges
prononçant la sentence
s’évitent,
quand une aile
d’avion effleure
tes cheveux, quand tu
trouves
ton corridor,
vers la mort, vers
l’isolement
vers l’oubli
alors tu
dors, quand le gong
retentit, et
ils parlent
du sommeil comme
d’un miracle.
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe
a des ailes, édition, présentation et traduction
de Françoise Rétif, Poésie / Gallimard, 2015,
p. 491 et 493.
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11/05/2014
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé
Le lac
Au printemps de mon âge, ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer — si aimable était l'isolement d'un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurer sa musique — alors — oh ! alors je m'éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n'était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que non ! mine de joyaux ne pouvait m'enseigner ou me porter à définir — ni l'Amour, quoique l'Amour fut le tien !
La mort était sous ce flot empoisonnant, dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l'âme solitaire pouvait faire un Eden de ce lac obscur.
Les poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 138-139.
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01/11/2013
Étienne Faure, Ciné plage
Ciné plage
À rouler vite un soir vers l'ouest
à la clameur de sang, la nuit ne parvint pas à tomber
comme on atteignait la jetée rouge encore,
puis réveillé au matin par la rade
sans même ouvrit l'œil on voyait le livre
entrebâillé des mouettes qui se profilent
au-dessus du poisson mort fraîchement débarqué,
tous les transports, cliquetis du port
on voyait cela, c'était le monde,
et plus tard après avoir réglé sa nuit,
ouï doléances — le climat des affaires —
on s'attachait, l'oreille à l'air libre,
aux vies qu'on entend sur la plage,
la tête renversée comme un sablier
à écouter dans un coquillage avec les souffrances
du vent engouffré, tout ce qui fuit, par bonheur les mots
qui s'écoulent, périssables
un w.e. à la mer
*
Poli, dépoli sauf en son cœur,
le tesson après plusieurs marées
e renvoie plus sur la plage aucun vif,
mat à l'extérieur mais lucide à travers
son état de fragment revenu, silice,
à même le sable à l'origine
de sa présence ici avant fusion,
s'expose au risque du ressac
et à s'amenuiser encore jusqu'au grain
pour l'heure offrant l'humide éclat
sitôt sec terni
d'une bouteille à la mer jetée
après ébriété, vide,
hormis en son dedans les mots
qu'il fallut écrire en des temps d'extrême
isolement.
débris sur l'île
Étienne Faure, "Ciné plage", dans Rehauts,
n° 31, avril 2013, p. 63 et 67.
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