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06/09/2021

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie

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Tu m’aimas dans la fausseté

Du vrai — dans le droit du mensonge

Tu m’aimas — plus loin : c’eût été

Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !

 

Tu m’aimas longtemps et bien plus

Que le temps. — ­ la main haut jetée ! —

Désormais :

            • Tu ne m’aimes plus —

C’est en cinq mots la vérité.

 

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie,

La Découverte, 1986, p. 90.

26/06/2021

Georges Perros, Une vie ordinaire

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Il faut beaucoup d’indifférence

ou d’amour c’est selon les goûts

pour résister à ce que l’on trouve

aimable un jour un autre non

et que revient comme rengaine

ce même amour mêlé de haine

Mais l’amour a  le dernier mot

pourvu qu’on fasse acte d’absence

quoique présent Ainsi les choses

arbres ciel mer pavés des rues

se foutent de nous comme peu

d’êtres sont capables de faire

et si vous vous mettez dessus

le nez en état touristique

elles font le paon

                            J’aimerais

vivre ici dit la jouvencelle

Quand la retraite aura sonné

aux flambeaux de nos deux pantoufles

lui répond son urbain mari

qui a d’autres chats à fouetter

que ceux qu’on rencontre la nuit

faisant l’amour dans la nature

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,

Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.

21/04/2021

Henri Michaux, L'Infini turbulent

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Ces quelques pages sont, je le voudrais, un commencement d’élucidation d’un sujet qu’il fallait tirer du vague mais que je laisse à d’autres le soin de traiter vraiment. Elles suffisent peut-être à faire comprendre comment généralement les drogues hallucinogènes, sans détourner de l’amour par déchéance physique, à la manière de l’héroïne ou de la morphine, ne lui sont pas bonnes non plus et lui font de bien des manières, par multiples déviations, assister à sa détronisation. Après quoi, il devient difficile de retrouver l’amour dans sa naïveté. Serait-ce pour cette raison vaguement soupçonnée, que d’instinct une certaine unanimité se fait contre les habitués de la drogue. Pour une fois d’accord, amoureux comme puritains, jeunes et vieux, hommes et femmes,  ouvriers et bourgeois, se sentent spontanément de l’humeur, de l’hostilité, de l’indignation dès qu’il est question de ces scandaleux hérétiques de la sensation ?.

 

Henri Michaux, L’Infini turbulent, dans Œuvres, II, Pléiade/Gallimard, 2001, p. 953.

23/06/2020

Gaspara Stampa (1523-1554), Poèmes

Gaspara Stampa, Poèmes, poèmes, amour, renaissance

Vous qui écoutez mes poèmes,

ces tristes, tristes voix, ces accents désolés

de mes lamentations, échos de mon amour,

et de mes tourments sans pareils,

 

si vous savez, en nobles cœurs,

apprécier la grandeur, j’attends de votre estime

pour mes plaintes ieux que pardon, acclamation

leur raison étant si sublime.

 

J’attends aussi que plus d’un dira : « Heureuse

est celle qui, pour le plus illustre idéal

a subi si illustre épreuve !

 

Ah ! que n’ai-je eu la chance de ce grand amour,

grâce à un si noble seigneur !

Je marcherais de pair avec telle héroïne ! »

 

Gaspara Stampa, Poèmes, traduction de l’italien Paul Bachman, Poésie / Gallimard, 1991, p. 57.

 

 

23/04/2020

Étienne Jodelle, Les Amours et autres poésies

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Ou soit que la clarté du soleil radieux

Reluise dessus nous, ou soit que la nuict sombre

Luy efface son jour, et de son obscure ombre

Renoircisse le rond de la voulte des cieux ;

 

Ou soit que le dormir s’escoule dans mes yeux,

Soit que de mes malheurs je recherche le nombre,

Je ne puis eviter à ce mortel encombre,

Ny arrester le cours de mon mal ennuyeux.

 

D’un malheureux destin la fortune cruelle

Sans cesse me poursuit, et tousjours me martelle :

Ainsi journellement renaissent tous mes maux.

 

Mais si ces passions qui m’ont l’ame asservie,

Ne soulagent un peu ma miserable vie,

Vienne, vienne la mort pour finir mes travaux.

 

Étienne Jodelle, Les Amours et autres poésies, édition

Ad. Van Bever, E. Sansot, 1907, p. 66-67.

03/04/2020

Paul Valéry, Carnets, II

 

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                         Éros

 

La passion de l’amour est la plus absurde. C’est une fabrication littéraire et ridicule.

De quoi un antique auteur pouvait-il parler ? après la guerre et les champs _ il tombait dans le vin et l’amour.

Mais si l’on sépare les choses indépendantes — on trouve bien un sentiment singulier devant l’être vivant, devant l’autre — mais ce n’est pas l’amour — quoique cela puisse finir dans certaines expériences ­ de physique.

 

Paul Valéry, Carnets, II, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 396.

29/03/2020

Estienne de la Boétie, Sonnets

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J’ai fait preuve des deux, meshui je le puis dire :

Soit je pres, soit je loing, tant mal traicté je suis,

Que choisir le meilleur à grand peine je puis

Fors que le mal present me semble tousjours pire.

 

Las ! En ce rude choix que me fault il dire ?

Quand je ne la voy point, le jours me semblent nuits ;

Et je sçay qu’à la voir j’ai gaigné mes ennuis :

Mais deusse je avoir pis, de la voir je desire.

 

Quelque brave guerrier, hors du combat surpris

D’un mosquet, a despit que de pres il n’aist pris

Un plus honneste coup d’une lance cogneue :

 

Et moy, sachant combien j’ay par tout enduré,

D’avoir mal pres & loing je suis bien asseuré ;

Mais quoy ! s’il faut mourir, je veux voir qui me tue.

 

Estienne de la Boétie,  Sonnets, dans Œuvres complètes, II, édition Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne/William Blake ans Co, 1991, p. 127.

 

26/01/2020

Elizabeth Barrett Browning, Sonnets portugais

 

                         XIV

 

Si tu dois m’aimer, que ce ne soit pour rien

D’autre que l’amour même. Ne dis pas :

« Je l’aime pour son sourire... son air... sa façon

Douce de parler... ; pour un tour de pensée

Qui s’accorde au mien, et c’est vrai, a éveillé

Tel jour un plaisant sentiment de bien-être —

Car ces choses en soi, mon aimé, peuvent changer,

Ou changer pour toi... et l’amour ainsi tissé

Se détisser d’autant. Ne m’aime pas non plus

Parce que ta chère pitié sèche mes larmes ! —

Elle pourrait oublier de pleurer celle que

Longtemps tu consolas, et perdre ainsi ton amour.

Mais aime-moi pour l’amour, afin qu’à jamais

Tu continues d’aimer dans l’éternité de l’amour.

 

Elizabeth Barrett Browing, Sonnets portugais, traduction Claire Malroux, Le Bruit du temps, 2009, p. 47.

 

16/01/2020

Georges Perros, Une vie ordinaire

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J’ai besoin d’amour mais m’en passe

et quand on monte l’escalier

souvent je ferme à double tout

pour ne pas avoir à souffrir

de voir femme ou homme apparaître

pour me faire souffrir encore

L’amitié j’en connais le baume

et la douleur bien davantage

Allez plus on avance en âge

moins on a de temps à donner

à ceux qui ont besoin de nous

que luxueusement. C’est tout

ce que ce soir j’ai à chanter.

 

Georges Perros, Une vie ordinaire (1967),

dans Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,

Quarto/Gallimard, 2017, p. 749-750.

15/08/2019

Elizabeth Browning, Poèmes portugais

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Comment je t'aime ? — Laisse m'en compter les façons ! —

Je t'aime du profond, de l'ampleur, de la hauteur

Qu'atteint mon âme, quand elle se sent à l'écart

Des fins de l'Être et de la Grâce Parfaite.

Je t'aime à la mesure du besoin quotidien

Le plus paisible, au soleil et à la bougie.

Je t'aime librement, comme on tend au Droit, —

Je t'aime purement comme on fuit l'Éloge !

Je t'aime avec la passion que je mettais jadis

Dans mes chagrins... et avec ma foi d'enfant.

Je t'aime de l'amour que j'avais cru perdre

Avec mes mots sacrés ! — Je t'aime du souffle,

Des rires, des pleurs, de toute ma vie ! — et, si Dieu veut,

Je t'aimerai plus encore après la mort.

 

 

How do I love you ? —Let me count the ways!—

I love thee to the depht & breadth & height

My soul can reach, when feeling out of sight

For the ends of Being and Ideal Grace.

I love thee to the level of everyday's

Most quiet need, by sun & candlelight.

I love thee freely, as men strive for Right, —

How thee purely, as they turn from Praise !

I love thee with the passion, put to use

In my old griefs,... ad with my childhood's faith.

I love thee with th e love I seemed to lose

With my lost Saints ! —I love thee with the breath,

Smiles, tears, of all my life!—and, if God choose,

I shall but love thee better after death.

 

Elisabeth Barrett Browning, Sonnets portugais, traduction

de l'anglais et présentation de Claire Malroux, Le Bruit

du Temps, 2009, p. 107 et 106.

07/08/2019

Georges Perros, Une vie ordinaire, roman poème

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Mais ce sont nos amours qui comptent

plus que nos haines Je rencontre

tous les jours qui vivraient très bien

sans la musique de Mozart

et de tant d’autres de moindre art

et je leur parle cependant Ils

ne se mettent en colère

que pour la politique aidés

par les clients d’oisiveté

aux aguets des propos d’hier

pour  relever leur aujourd’hui

Ils sont gens qui votent à tour

d’un bras quelque peu fatigué

On aime peu ce que j’adore

ou l’aime-t-on qu’on me fait  tort

en m’en expliquant la genèse

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,

Quarto / Gallimard, 2017, p. 753.

 

07/07/2019

Shakespeare, Sonnets (traduction Pierre Jean Jouve)

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XIII

 

Ah si vous étiez vous à vous-même ! mais, amour, vous n’êtes vous-même à vous-même que tant que vit ici votre vous-même : contre cette fin qui accourt vous devez vous prémunir, et votre chère semblance à quelque autre la départir.

   Alors cette beauté dont vous avez la jouissance, elle ne trouverait de fin alors vous seriez votre vous-même encore après mort de vous-même, votre doux fruit portant votre très douce forme.

   Qui peut laisser si belle maison tomber à ruine, qu’un soin familier maintiendrait en honneur, contre bourrasque et vent du jour d’hiver et stérile rage du froid éternel de la mort ?

   Oh seulement l’infécond. Cher amour vous savez que vous eûtes un père : que votre fils aussi de vous puisse le dire.

 

William Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 2081.

 

28/06/2019

Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus

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L’amour rectifie les paysages

L’amour est la meilleure

des mises au point.

 

Il y a des amis haut placés

parmi les hirondelles de passage

bas placés chez les fourmis d’ici

partout placés dans le lit des rivières

la lie des marais

la sève des platanes

tes anneaux d’or

ta langue de feuille

ta langue de Brésil

tes légères morsures de daim

sur mes nervures

 

L’amour dépasse les bornes

Avec lui les maisons se retournent

marchant sur le toit

les pierres gelées rebroussent la pente

le temps reflue

les rues se cabrent

toi tu te cambres

origine et fin

 

Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus,

Pierre Mainard, 2018, p. 57.

 

19/06/2019

Dominique Buisset, Quadratures

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Petite quadrature avec divertissements

 

Savoir qui l’on veut qui l’on aime,

soi-même ou l’autre, un inconnu…

On happe l’air et ses appâts :

n’importe quel néant toussa

l’amour tendre commun qu’on eut.

J’ai manqué de nez en tout ça,

sur mes tempes l’aquilon sème,

et sa neige efface mes pas.

 

Dominique Buisset, Quadratures, NOUS,

2010, p. 39.

08/05/2019

Bernard Delvaille, Poèmes 1951-1981

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                            Désordre, 3

 

Il en va souvent des itinéraires de la passion

Comme de ces vents d’octobre qui fleurent la fougère

Ils bercent en silence le sommeil de notre maison

Et se retranchent dans les tranchées et les domaines du mystère

 

L’amour vient de la mer et y retourne Nous le savons ô fable

Immortelle et complice À chaque amour suffit sa peine

Lorsque les vagues auront effacé votre nom sur le sable

Il m’a soudain semblé que toute plainte serait vaine

 

Quand viendra le moment précis de votre mort je serai là

Douloureux et retrouvé fidèle muet et amoureux

Nous partirons alors vers ces plats pays où au ras

De l’eau volent quelques oiseaux malhabiles au creux

 

Des falaises du soir sous un ciel en lutte aux embruns

Vous savez qu’il sera trop tard que je ne serai plus jaloux

Que de ces pays brûlés nous soyons ou non riverains

Sachez simplement que ce grand jardin ravagé est à vous

 

Bernard Delvaille, Poèmes (1951-1981), Seghers, 1982, p. 107.