16/04/2021
Henri Michaux, Lune d'en face
Un adieu
Soir que creusa notre adieu.
Soir acéré, délectable et monstrueux comme un ange de l’ombre.
Soir où nos lèvres vécurent dans l’intimité nue des baisers.
L’inévitable temps débordait
la digue inutile de l’étreinte.
Nous prodiguions une mutuelle passion, moins peut-être à
nous-mêmes qu’à la solitude déjà prochaine.
Nous allâmes jusqu’à la grille dans cette dure gravité de l’ombre,
qu’allège déjà l’étoile du berger.
Comme on revient d’une prairie perdue, je revins de ton étreinte.
Comme on dort d’un pays d’épées, je revins de tes larmes.
Soir qui se dresse vivant, comme un rêve
parmi les autres soirs.
Plus tard je devais atteindre et déborder
les nuits et les sillages.
Henri Michaux, Lune d’en face, dans Œuvres, I, traduction Jean-Pierre Bernès, Pléiade/Gallimard, 1993, p. 57.
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