12/04/2021
Fernando Pessoa, Journal de l'intranquillité de Bernardo Soares
Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je n’ai rien à vous dire. Seulement ceci — que je me trouve aujourd’hui au bord d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.
Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face le rive de ce côté-ci ; c’est là la raison de toutes mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela s’est passé il y a bien longtemps, mais ma tristesse est bien plus ancienne encore.
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares, traduction Françoise Laye, Christian Bourgois éditeur, 1988, p. 23.
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