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31/01/2016

Pascal Quignard, Mourir de penser

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   L’origine de l’activité psychique intellectuelle se fait en solo. Elle est, comme la fantasmagorie qui poursuit dans le jour la rêvée, radicalement masturbatoire. Elle est de nature antiparentale autant qu’antiproductricve. C’est pourquoi l’intelligence devient antifamiliale. C’est pourquoi la pensée s’assume d emanière de plus en plus antisociale. Son interrogation s’étend de façon incontrôlable, sur un mode inapaisable. Elle s’arrache à la société orale, à la voix prescriptrice, à la sagesse, aux dieux, aux interdits, aux proverbes, aux oracles.

[...]

   Écrire est cet étrange parcours par lequel la masse continue de la langue, une fois rompue dans le silence, s’émiette sous forme de petits signes non liés et dont la provenance se découvre extraordinairement contingente au cours de l’histoire qui précède la naissance. Cet alphabet est déjà en ruine Par cette mutation chaque « sens » se décontextualise. Tout signal devenant signe perd son injonction tout en perdant le son dans le silence. Tout signe se décompose alors et devient littera morte, non coercitive, interprétable, transférable, transférentielle, transportable, ludique.

 Pascal Quignard, Mourir de penser, Folio / Gallimard, 2016, p. 217 et 218.

30/01/2016

Jean de Sponde (1557-1595), Les Amours

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Mon Dieu, que je voudrois que ma main fut oisive,

Que ma bouche et mes yeux reprissent leur devoir !

Escrire est peu : c’est plus de parler et de voir,

De ces deux œuvres l’une est morte et l’autre vive.

 

Quelque beau trait d’amour que notre main escrive,

Ce sont tesmoins muets qui n’on pas le pouvoir

Ni le semblable poix, que l’œil pourroit avoir

Et de nos vives voix la vertu plus naïve.

 

Mais quoy ? n’estoyent encor ces foibles estançons

Et ces fruits mi-rongez dont nous le nourrissons

L’Amour mourroit de faim et cherroit en ruine :

 

Escrivons, attendant de plus fermes plaisirs,

Et si le temps domine encor sur nos desirs,

Faisons que sur le temps la constance domine.

 

Jean de Sponde, Les Amours, dans Œuvres littéraires, édition

Alan Boase, Droz, 1978, p. 54.

29/01/2016

Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012)

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                   Nue au fauteuil

 

Au début le soir interdisait     bâillon jaune

D’ampoules bues sur tous objets     flore ou lingots

Froids, fret des livres, vêtus, l’air, l’aigu, l’écho

De la ruche nuit éclaboussant tes épaules

 

Au début tu ne fus que noire entrée arôme

De cheveux sur le cuir orange griffé chaud

Qu’yeux caressés, paisiblement arrêtés, rauque

Voix et que bras, bruns mais ouverts blancs à la paume

 

Parfums tu fus et recueillais mes yeux sur toi

Considérais ma bouche lente sur ton ventre

Bougeant un peu, la nuit de pavot sous tes doigts

 

Tu rassemblais les crins d’or de notre rencontre

Dans ton empire fait de beautés et d’alarmes

Du désir qui l’assure et du plaisir qui l’arme

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie, éditions Nous,

2015, p. 51.

 

28/01/2016

David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval

 

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Je suis une jonchée de feuilles, qui dévale, tourbillonne, s’élève, retombe, s’arrête, s’élance à nouveau, se divise, se mêle à d’autres tas de feuilles, plus jeunes ou plus anciens, accueille un papier gras, une page de journal, un morceau de ficelle, se laisse acculer dans une impasse, rebrousse chemin, explose en gerbe folle sur une bouche d’aération, paie son écot à l’eau de la rigole, espère et trouve les jambes   nues d’un enfant, n’est aucune des feuilles pas plus qu’elle n’est le vent, elle est la danse, elle est dansée. Fugace impression de me disperser enfin, mais le corps résiste, le pavé, le mur, et même l’air et l’eau m’opposent leur matérialité, leur permanence obtuse.

 

David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Verdier, 2016, p. 47.© Photo Frédéric Bosc.

 

 

 

27/01/2016

Raymond Queneau, Fendre les flots

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         Bois flottés

 

Pour, auprès des eaux

stagnantes mais un peu soulevées

tendues par les marées,

ne pas briser les

branches au-dessus des canaux

assimilés il faut découvrir

lucidement quelque gravure

xylographie éventuelle

 

ordonner les traits du hasard

dominer les coupures

abraser après l’érosion

chercher enfin la forme éprouvée

 

objet abandonné à lui-même

statuette sans autre raison d’être que d’être

 

Raymond Queneau, Fendre les flots,

Gallimard, 1969, p. 54.

26/01/2016

Raymond Queneau, Battre la campagne

 

       

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L’instruction laïque et obligatoire

 

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse

car le soleil se tient bien haut sur l’horizon

de longues heures à sillonner les sillons

avant que cette étoile à l’ouest ne disparaisse

 

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse

ll s’arrête et se dit à quoi bon à quoi bon

j’aurais bien mieux fait de me casser le citron

pourquoi donc fallut-il que point ne m’instruisisse

 

Le semeur qui se meurt se trouve pris d’angoisse

il n’a plus de temps pour avoir de l’instruction

et savoir s’il eut raison de dire à quoi bon

 

Le semeur qui se meurt redevient philosophe

il reprend son chemin à travers les sillons

en distribuant son grain pour une autre moisson

 

Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard,

1968, p. 173.

 

 

 

 

 

25/01/2016

Raymond Queneau, Courir les rues

 

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   Changement de régime

 

Entre haricots verts et pomm’frites

ah qu’il hésite ah qu’il hésite

il préfèrerait du boudin

non ! non ! gronde son médecin

 

les restaurateurs attristés

par les soucis d’obésité

regrettent les gouttes anciennes

les gouttes du temps de Carême

ou du grand roi Louis le Quatorzième

ou celles des films de Charles Chaplin

tarte à la crème tarte à la crème

Kléber Colombes guide Michelin

dans les romans naturalistes

on voyait des messieurs très tristes

se ravager leur estomac

en consommant chaque jour les plats

d’un bouillon éclairé au gaz

 

les moralistes actuels

ne veulent pas avoir pitié

de ceux qui s’obstinent à manger

 

Raymond Queneau, Courir les rues,

Gallimard, 1967, p. 77.

 

 

24/01/2016

Fernando Pessoa, Pour un ''Cancioneiro"

 

        fernando pessoa,pour un cancioneiro,écrire,imagination,rêve,sensation

On dit que je feins ou mens

Tout ce que j’écris. Mais non,

Moi, simplement, je sens tout

Avec l’imagination.

Je ne me sers pas du cœur.

 

Tout ce que je rêve ou éprouve,

Ce qui me manque ou m’accomplit,

est comme une terrasse

Sur autre chose encore.

C’est cette chose qui est belle.

 

C’est pourquoi j’écris au milieu

De ce qui n’est pas à côté,

Délivré de tous mes émois,

Sérieux de tout ce qui n’est pas.

Sentir ? C’est au lecteur de sentir !

 

Fernando Pessoa, Pour un ‘’Cancioneiro’’,

traduction Patrick Quillier, dans Œuvres

poétiques, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 176.

23/01/2016

André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein recension

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   Alain Veinstein a souvent rencontré André du Bouchet avant de se décider à l’interroger sur sa poésie ; comme il l’écrit dans l’avant-propos, « L’intensité vécue dans mes lectures et nos rencontres, j’ai voulu la partager à la radio ». Les dix entretiens qu’il a réunis, à l’exception de trois pour des journaux, ont été conduits, de 1979 à novembre 2000 (André du Bouchet est mort le 19 avril 2001), pour France Culture.

   André du Bouchet a peu commenté la poésie, surtout celle de Reverdy, lu dès son retour des États-Unis en 1948 (où sa famille juive avait dû s’exiler) et dont la poésie lui semblait représenter un « équilibre parfait ». Il a aussi écrit à propos de Baudelaire : sa lecture, dans l’entretien qui ouvre le livre, apprend beaucoup sur ses propres conceptions et pratiques. Baudelaire se serait appliqué à fixer ce qui échappe « à la possibilité de toute expression », et c’est bien également ce que tente du Bouchet. Il s’efforce en effet d’exprimer ce qui déborde le temps, sans cependant être détaché du réel : c’est qu’il y a dans le langage quelque chose qui n’appartient pas à un moment donné. La poésie n’est pas dans un rapport de dépendance par rapport au réel — le poème est le réel, ce que signifie la métaphore « les mots sont debout » —, pas plus qu’elle n’est jeu comme le voulaient la pratique surréaliste ou, plus récemment, l’Oulipo.

   Pour du Bouchet, la poésie est le réel notamment parce qu’elle est « tournée vers soi », et c’est pourquoi le lecteur peut rejoindre celui qui écrit : « Vous êtes présent à l’acte de lire, qui vous renvoie à vous-même ». La lecture n’est en effet possible qu’à la condition de faire « confiance aux mots », de faire comme si était engagée et poursuivie une conversation avec quelqu’un. Par ailleurs, la poésie représente par rapport à la réalité vécue une activité de langage « incongrue, inassimilable », parce qu’expression de l’individu dans une société où seule a une valeur la parole collective. L’opposition est d’autant plus marquée que, pour du Bouchet, tout est dans « l’éboulement », la « destruction accélérée », notamment pour ce qui est l’usage de la langue.

   La lecture, comme la contemplation d’un tableau, peut être une manière de se mettre, provisoirement, à l’écart, de se protéger « du fracas » ; ce n’est en rien ce qu’implique l’écriture de la poésie où, par le mot, il s’agit « d’être en rapport un instant avec ce qui est en dehors du mot ». Que peut-on atteindre ? Du Bouchet introduit une comparaison avec le jour : il est toujours nouveau mais c’est cette réitération qui nous échappe ; il y a comme un nœud qui ne cesserait pas de se dénouer. Aussi entretient-il par l’écriture un « rapport d’éveil » avec la langue, donc de rupture. Autrement dit, le sens des mots est toujours « au futur, mobile, mouvant à l’infini » chaque fois que l’on en change le contexte, et cette variation conduit à ce que les mots « se requalifiant sans cesse, la conscience critique, qui déloge sans cesse les mots, va de pair avec la notion même de poésie ».

   Cette mouvance du sens des mots devient plus que perceptible lorsque l’on se mêle de traduire, et du Bouchet a traduit Celan (avec le poète, qui lui-même a traduit du Bouchet en allemand), Joyce, Mandelstam ; ce qui importe n’est pas ce que les mots ‘’veulent dire’’ mais ce qu’ils disent ; il s’agit chaque fois d’une transposition, écrit-il, « dans l’inaccessible qu’est pour moi le français [...] inaccessible, comme on est inaccessible à soi ». Une démarche analogue se retrouve dans les écrits sur quelques peintres (Tal-Coat, Giacometti, Bram van Velde, de Staël), les tableaux n’étant pas des choses à déchiffrer, à saisir, mais « dont on veut se ressaisir » : dire une expérience, la présence qui s’est imposée, et non prétendre remplacer la peinture par des mots. Les tableaux aident à réfléchir, pour qui a son propre chemin. La voie suivie par du Bouchet a été d’un travail continuel pour parvenir à établir un rapport juste avec le français, « la langue du rapport à soi, avec tout ce qui est de l’ordre du muet » — il faut se souvenir que du Bouchet a fait ses études aux États-Unis. Travail aussi dans l’édition même des poèmes : les blancs dans la page rompaient avec la répétition rythmique de la versification, mimaient l’alternance de la parole et du silence. Dans les premiers livres s’est manifestée aussi l’utopie d’un livre sans commencement ni fin, par l’abandon de la pagination.

On suivra aussi dans les entretiens la pratique, très tôt, des notations sur des carnets ; les notes, toujours hâtivement prises, n’étaient pas pour se souvenir (en ce sens, elles ne constituent pas un journal, comme par exemple le Carnet de notes de Pierre Bergounioux), mais empêchent quelque chose de rester dans l’insignifiance et elles deviennent, parfois, un matériau pour un poème à l’occasion d’une relecture. On suivra encore la relation de du Bouchet au fait d’écrire — beaucoup de livres écrits ? « C’est là, peut-être, la pauvreté d’une vie » — et aux livres : il en gardait peu, « c’est un passé qui encombre »... Et l’on réfléchira à sa réponse sur le rôle de la poésie : « Elle n’a jamais eu de rôle, et c’est ce qui en fait de la poésie. »

André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein, L’Atelier contemporain / INA, 2015, 128 p., 20 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 3 janvier 2016.

 

 

22/01/2016

Ciels de décembre

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ciels de décembre

ciels de décembre

21/01/2016

Michel Leiris, À cor et à cri

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   Que le discours même le plus sensé soit incapable d’imposer silence aux méchants dont les agissements ensanglantent notre planète et, même à froid, vont à l’encontre de la justice la plus élémentaire, cela ne dévalorise-t-il pas toute forme de parole et n’incite-t-il pas tout simplement à se taire, sans que — ressort autre que l’idée trop utopique de moraliser, prêcher ou chapitrer — la réflexion sur ce qu’on peut attendre encore de la parole devienne prétexte à un autre discours. Me borner, donc, aux demandes et réponses qu’exige la vie telle qu’elle est et me garder d’ajouter à ce strict nécessaire sans relief ni visage d’élégants exercices de funambule... Mais dans quel vide intolérable m’abîmerais-je, antennes coupées, si je tenais ma langue à ce point ? Littérairement me taire : je pourrais dire aussi bien « me terrer » voire « m’enterrer ».

 

Michel Leiris, À cor et à cri, Gallimard, 1988, p. 95.

20/01/2016

Germain Nouveau, Valentines

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                Amour

 

Je ne crains pas les coups du sort,

Je ne crains rien, ni les supplices,

Ni la dent du serpent qui mord,

Ni le poison dans les calices,

Ni les voleurs qui fuient le jour,

Ni les sbires ni leurs complices,

Si je suis avec mon Amour.

 

Je me ris du bras le plus fort,

Je me moque bien des malices,

De la haine en fleur qui se tord,

Plus caressante que les lices ;

Je pourrais faire mes délices

De la guerre au bruit du tambour,

De l’épée aux froids artifices,

Si je suis avec mon Amour.

 

Haine qui guette et chat qui dort

N’ont point pour moi de maléfices ;

Je regarde en face la mort,

Les malheurs, les maux, les sévices ;

Je braverais, étant sans vices,

Les rois, au milieu de leur cour,

Les chefs, au front de leurs milices,

Si je suis avec mon Amour.

 

                   Envoi

 

Blanche amie aux noirs cheveux lisses,

Nul dieu n’est assez puissant pour

Me dire : « Il faut que tu pâlisses »,

Si je suis avec mon Amour.

 

Germain Nouveau, Valentines, dans Lautréamont,

Germain Nouveau, Œuvres complètes, Pléiade /

Gallimard, 1970, p. 665.

19/01/2016

Jules Supervielle, La Fable du monde

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 L’enfant et la rivière

 

De sa rive l’enfance

Nous regarde couler :

« Quelle est cette rivière

Où mes pieds sont mouillés ;

Ces barques agrandies,

Ces reflets dévoilés,

Cette confusion

Où je me reconnais,

Quelle est cette façon

D’être et d’avoir été ?

 

Et moi qui ne peux pas répondre

Je me fais songe pour passer aux pieds d’une ombre.

 

Jules Supervielle, La Fable du monde, dans

Œuvres poétiques complètes, Pléiade / Gallimard,

1996, p. 389-390.

17/01/2016

Raymond Roussel, L'Âme de Victor Hugo

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             L’Âme de Victor Hugo

 

   Une nuit je rêvai que je voyais Victor Hugo écrivant à sa table de travail, et voici ce que je lus en me penchant par-dessus son épaule :

 

             Mon âme

                   I

 

Mon âme est une étrange usine

Où se battent le feu, les eaux...

Dieu sait la fantastique cuisine

Que font ces immenses fourneaux.

 

C’est une gigantesque mine

Où sonnent des coups de marteaux ;

Au centre un brasier l'illumine

Avec des bords monumentaux ;

 

Un peuple d’ouvriers grimace

Pour sortir de ce gouffre en feu

Les rimes jaillissant en masse

Des profondeurs de son milieu ;

 

Avec les reflets sur leur face

Du foyer jaune, rouge et bleu,

Ils saisissent à la surface

Les vers déjà formés un peu ;

 

Péniblement chacun soulève

Le sien, avec sa pince en fer,

Et, sur le bord du puits, l’achève

En tapant dans un bruit d’enfer.

 

Quelquefois une flamme brève

Plus ardente, comme un éclair,

Va tellement haut qu’elle crève

La voûte sombre, tout en l’air.

 

[...]

Raymond Roussel, Nouvelles Impressions

d’Afrique, suivies de L’Âme de Victor Hugo,

Alphonse Lemerre, 1932, p. 241-243.

 

Gaspara Stampa (1523-1554), Poèmes

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   Pleurez, dames, et toi amour, pleurez ensemble,

car il ne pleure pas celui qui tellement

me blessa, que bientôt mon âme va quitter

     ce corps supplicié !

 

   Et si jamais cœur noble et sensible exauça

les ultimes soupirs d’une voix qui s’éteint,

lors, par vos soins, ma sépulture portera

     la cause de mes peines.

 

   « Un grand amour trop mal aimé fut le malheur

de ma vie, et j’en suis morte. Ici repose

     l’amoureuse la plus fidèle du monde.

 

   Tes prières, passant, pour qu’elle dorme en paix,

victime qui t’enseigne à ne point t’attacher  

     à cœur cruel toujours insaisissable. »

 

   Piangete, donne, e con voi pianga, Amore,

poi che non piange lui, che m’ha ferita

si, che l’alma farà tosto partita

da questo corpo tormentato fuore.

 

   E, s emai da pictoso e gentil core

l’estrema voce altrui fu essaudita,

dapoi ch’io sarò lorta e sepelita,

scrivete la cagion del mio dolore :

 

   « Per amar molto ed esser poco amata

visse e morì infelice, ed or qui giace

la più fidel amante che sia stata.

 

   Pregale, viator, riposo e pace,

od impara da lei, si mal trattata,

a non seguir un cor ceudo e fugace. »

 

Gaspara Stampa, Poèmes, traduction Paul Bachmann,

Poésie / Gallimard, 1991, p. 105 et 104.