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06/02/2012

Marie Étienne, Lettres d'Idumée

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    Le mal des choses

 

Cette année-là l'hiver

en elle le désir de sommeil

obscure et sourde en elle l'attente

 

Je fus prise jusqu'aux vastes rives

par les questions

 

Le mal des choses ne s'invente pas

ni le deuil qui efface ni

l'ombre

 

 

Du côté lent de la prairie

midi me brûle

je franchis l'eau

 

avec des floraisons de rage

pour les promesses comme limite

l'air léger sans rideaux

 

Elle écrivait viens voir

comme je vis blessée

 

 

La chambre est petite, sèche

Je suis restée debout toute la nuit et toute la journée

           et j'ai laissé entrer le vent

Tout autour il y a des bouleaux gros et blancs, un saule

           qui retombe sur l'eau

 

Elle ne comprenait rien car elle avait appris trop vite

            elle ne comprenait pas les mots seulement les

            chansons craignant le sang comme appliqué par

            une main

 

Elle reposait, sa tête renversée se débattait sur l'oreiller,

            point si grande, le sourcil oblique

 

[...]

Marie Étienne, Lettres d'Idumée, Poésie 82 Seghers, 1982, p. 49-51.

05/02/2012

Franck Venaille, C'est nous les modernes — Bernard Vargaftig

franck venaille,c'est nous les modernes,bernard vargaftig

 

                  En hommage à Bernard Vargaftig, 1934-2012

 

   imgres.jpegIl existe une profonde obsession du langage chez Bernard Vargaftig. On peut estimer qu'elle est double et vise, d'abord, les termes qu'il n'utilisera jamais, ensuite ceux qui, de livre en livre, forment l'ossature même de son écriture. Dans Trembler comme le souffle tremble, le texte est si dense que l'on peut imaginer que les mots laissés à la porte sont légion et attendent plus ou moins calmement que l'on fasse appel à eux. On découvre également que craie — enfance — tremblement — rue reviennent régulièrement dans l'énoncé, l'accompagnant de leur rythme et de leur cadence récurrente. D'ailleurs, ce que nous dit ici Vargaftig, n'est pas nouveau. C'est une voix que l'on retrouve de livre en livre. Voix sortie de l'enfance douloureuse et inquiète. Chant d'amour. Travail acharné sur le langage afin de le rendre toujours plus poétique, c'est-à-dire respectant des lois et des règles strictes et immuables. Cette fois-ci nous sommes, me semble-t-il, à l'épicentre de l'énigme qui accompagne tout travail créatif. Quelque chose a été oublié mais quoi ? Quelles sont les causes profondes de ce tremblement de l'écriture qui est tout le contraire d'une maladresse, mais le signe que la vie, de l'intérieur, anime le langage et le fait vibrer. Mais aucune réponse n'est apportée à notre questionnement. À nous de lire et de le faire bien. La thématique est donc connue. Alors d'où vient cet étrange bonheur de retrouver ce que l'on pressentait ? C'est que, d'une manière assez obsessionnelle, Vargaftig continue à bouleverser le sens et le rythme de l'énoncé poétique. On est pris par ce chant qui sourd de la page, ce chant qui ramène à autrefois, avant que l'enfant découvre la peur (non pas métaphysique mais bien réelle) née de la présence des occupants nazis. Depuis des années, Vargaftig compose ses poèmes comme un artiste plasticien (Boltanski ?) peut fabriquer des objets avec de la terre. Il prend. Il soupèse. Il ajoute ou rejette jusqu'à ce que la nudité du vers apparaisse et éblouisse le lecteur. Car chez Vargaftig, il y a d'abord le vers, lumineux, sous toutes ses formes, et qui s'affirme comme tel. Ce n'est pas un poète honteux d'entendre sa poésie chanter. Il suffit de l'écouter lire pour comprendre que ce n'est pas de lui que naîtront les travaux de sape entrepris contre la « forme » poésie. L'écoutant, j'entends un lyrique s'exprimer, tenir compte des blancs, des silences, des retraits qui sont nombreux dans l'écriture et lui donnent ce ton inimitable. Cet homme, que je connais depuis 1962 mais que je n'avais jamais revu est fidèle à une musique des mots venant disait-on de la poésie française du 16e siècle et de l'Europe centrale. Il existe chez Vargaftig, une manière d'imposer sa voix, sa voix brisée, secrète amie que l'on n'oublie jamais, sa voix d'écorché. Quand nous nous sommes retrouvés, quarante ans plus tard, nous avons parlé, longuement, avec le maximum de précision, et cela sur un banc, face à un fleuve. Tout pouvait s'arrêter. Mais tout a repris. Je viens de relire Trembler comme le souffle tremble. Le livre dit également la présence de la peur, du danger, de la détresse. Ce sont là des données difficiles à affronter. La force du poète Vargaftig est là : il peut faire face avec ses armes qui portent un nom : le poème.

 

Franck Venaille, C'est nous les modernes, Poésie Flammarion, 2010, p. 185-186.

04/02/2012

Ariane Dreyfus, poèmes dans la revue Contre-Allées

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                  « Tu voudras bien lui donner ? »

 

Dans le bol transparent une poignée de cerises

Plutôt sombres que rouges, les dernières

 

Elles ne sont pas prises

Sauf si penser à, aimer sans réponse c'est comme manger

Le bol est plein d'elles qui sont prêtes

Qui disent :

« Il faut savoir que c'est fini »

 

Gouttes coagulées exactement comme

Ce qui peut souffrir et le refuse

 

 

                    « Je les ai toutes cassées sauf deux »

 

Pauvre corps qui ne va pas pouvoir rester

Être tout près de lui encore en vrai

 

Comme boire ce qui serait du temps

Très immobile

 

Pour que rien ne tombe

Il écrase la tasse de son genou, pousse même la chaise

Ils ne veulent pas faire quelque chose

 

Ouvrir grand la bouche et l'appui tout à tour

 

Ariane Dreyfus, dans "Contre-Allées" n° 29.30, Automne-Hiver

2011, p. 11 et 14.

©Photo Tristan Hordé

Contre-Allées, revue de poésie contemporaine, http://contreallees.blogspot.com/

03/02/2012

Daniil Harms, Œuvres en proses et en vers

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Mais combien de mouvements divers

Courent impétueusement à sa rencontre

Un autre aide se hâte vers lui

Un autre char se meut encore

 

La fenêtre s'ouvre

Paisiblement s'approche

un éléphant. Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral.

Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral. Le voilà le jour

plein de souffrance. Rien à manger,

rien à manger, rien à manger.

J'ai faim. Oï oï oï !

J'ai faim. J'ai faim.

Voilà mon mot.

Je veux nourrir ma

femme. Je veux nourrir

ma femme. Nous avons très

faim.

Ah qu'il y a de choses

merveilleuses ! Ah qu'il y a

de choses merveilleuses !

Le vin et la viande. Le vin et la viande.

Le vin est plus agréable que le gruau.

Putain, putain, putain !

Le vin est plus agréable que le gruau.

Prenons prenigue prinigonfli !

La viande est meilleure que la pâte !

La viande est meilleure que la pâte !

 

Je ne mange que viande et légumes.

Je ne bois que bière et vodka.

Gongli gonfla !

Je n'aime pas les femmes russes.

La femme russe surtout si elle a maigri,

surtout si elle a maigri,

Gonfili gonfilette !

Surtout si elle a maigri,

Ça vaut pas tripette !

Pouah ! Pouah ! Pouah !

C'est une horreur !

J'aime les juives bien en chair !

Ça c'est adorable !

Ça c'est adorable !

Ça c'est,

Ça c'est,

Ça c'est adorable !

Je me conduis avec insolence.

Je me conduis avec extrême insolence.

(Saute à travers le tonneau).

Je me conduis avec insolence.

Gonfli gonfla !

J'aime manger de la viande,

Boire bière et vodka,

Manger viande et légumes

Boire bière et vodka.

Gonfilette gonfila !

Je veux manger de la viande !

Boire bière et vodka !

C'est comme ça !

(Saute à travers le tonneau !)

 

Harmonius

                                                        3 janvier 1938

 

Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe

et annoté par Yvan Mignot, Verdier, 2005, p. 706-708.

02/02/2012

Leonor Fini, Rogomelec

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   Je savais qu'il ne fallait pas se laisser tenter. Qu'il faudrait savoir rester chez soi, éviter les voyages dans cette époque barbare, les affreuses bousculades, l'humiliation de ce que l'on appelle les "villégiatures".

« Le vain travail de voir divers pays », Maurice Scève l'avait écrit ; je me le répétais.

   Mais on m'avait parlé de ce lieu solitaire, de ce climat assoupissant. Imaginant un bien-être particulier, je suis donc parti rejoindre le navire.

   C'était le Port Saïd.

   D'autres navires hurlaient déjà très fort. Pour le Port Saïd, il y avait encore du temps ; au moins une heure. Passaient des chariots avec des ballots d'odorantes épices — safran peut-être, cannelle — une bonne odeur et de la poussière jaune or tout autour. Cette poussière voilait parfois ces groupes  d'humains vociférants, tous habillés de mêmes couleurs, me semblait-il.

   Il n'y avait qu'un homme différent et peu recommandable. Mais à l'observer plus attentivement, je lui trouvai davantage l'aspect d'un assassiné que celui d'un assassin. Il se frayait un chemin pour rejoindre une jeune femme blonde qui parut surprise en l'apercevant et certainement ne le connaissait pas. Lui se baissa un peu et murmura quelque chose à l'oreille de la femme qui, contre le soleil, apparaissait d'une transparence fragile. Puis elle baissa le regard vers cette main ouverte, tendue à la hauteur de sa taille ; elle poussa un petit cri, mais le passage d'un chariot chargé de ballots qui sentaient le safran et la cannelle la fit disparaître à mes yeux.

   Je ne la voyais plus.

   La foule s'épaississait.

   Je m'apercevais que je suivais cet homme.

 

Leonor Fini, Rogomelec, éditions Stock, 1979, p. 9-11.

01/02/2012

Lecture de : Jean Ristat, Le théâtre du ciel, une lecture de Rimbaud.

 

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   Le théâtre du ciel est un livre singulier : il est construit en partant des deux premiers vers du sonnet des voyelles de Rimbaud, cités en exergue (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes), et en alternant pour chaque voyelle des transformations autour de sa forme (Entrées), puis des variations qui incluent la couleur (Scènes, parties divisées en tableaux). Mais un intermède rompt cet ordonnancement, consacré à une récriture en vers du Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Dans cet ensemble s’entrelacent des motifs que reconnaîtront les lecteurs de Ristat.

   L’intermède, désignant une représentation entre les actes d’une pièce de théâtre, met ici en scène Otto Lidenbrock et son neveu le jeune Axel, tous deux venus du livre de Jules Verne, et un récitant. Les personnages, dans leur étrange parcours, traversent « le miroir / De l’espace et du temps par quoi toute chose se / Multiplie à l’infini en se répétant » ; c’est donner à cet endroit (il en est d’autres) du poème une image du livre entier : il s’est écrit en partie par l’intégration de divers matériaux non pas repris tels quels mais bougés. Le livre est ainsi comme « la machinerie du ciel » où les nuages se font, se défont et se recomposent sans cesse en figures nouvelles. C’est bien là un théâtre : « Dans les fossés du ciel [...] toutes les couleurs / s’échangent ».

   Ce ciel sans cesse changeant (« Le ciel en bâillant laisse passer la lune entre / Ses babines blêmes ») est présent dans tout le livre, fil à suivre comme le sont les divers fragments issus de la mémoire — du « loup bleu de la mémoire ». Ainsi le souvenir de la grand-mère et de l’adolescent « lisant dans la cabane / Au fond du jardin ». Aux bribes du passé se mêlent, extraits aussi des « Forêts de la mémoire », des lambeaux des œuvres lues, modifiés (« Il n’aurait fallu qu’un moment de plus » (Aragon, Le Roman inachevé) devient « Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être »), des motifs de la grande tradition lyrique, du XVIe siècle (« Un jour viendra où mes vers seront ta couronne ») au romantisme, ici représenté par Chateaubriand (« Levez-vous, orages désirés » changé en « levez-vous vents désirés »). S’ajoutent certaines figures de la mythologie, si vivantes chez Ristat (1) ; interviennent le plus souvent les personnages nés « au milieu de l’archipel de mythologique mémoire » : Icare, Dionysos, Adonis, Médée, etc., à côté de « la mère isis au sexe de mygale » et de saint Sébastien.

  Dans le complexe, et presque toujours très allusif, entrelacement des références, dominent les éléments pris à Rimbaud ; vie (« À marseille sur ton lit d’hôpital », mots (« bave », qui rappelle « Mon triste cœur bave à la poupe »), transformations (« l’enfer n’a pas de saison ») et évocation rapide de l’énigmatique Hortense. Le personnage de Verlaine-Lélian est aussi convoqué, et de là le motif de l’homosexualité installé dès les premières pages :

         Le poète porte un chapeau gris perle et boit

         Goulûment du rhum dans la cale avec un jeune

Malfrat qui le consolera de vivre encore

 

   C’est bien à partir de Rimbaud, lu et relu, qu’est organisé ce théâtre, labyrinthe et, aussi, ensemble de scènes emboîtées les unes dans les autres. Les Entrées forment une broderie évoquant les images des anciens abécédaires : l’A girafe, l’ « E trident de Neptune », « L’U fer à cheval », l’ « O ogre / Bouche ouverte », etc. La lettre, donc, dessine une figure et, parallèlement, les sons font le sens comme, par exemple, dans « O la camarde ma camarade » ou dans ces quatre vers anagrammatiques :

Ici le rital en ristat s’attriste à

La moquerie et ferraille comme un rasta

Tatoué tâte enfin rassis après la rixe

Un alexandrin circonflexe aux pieds tors

Pieds, ou plutôt syllabes torses, des alexandrins : ici et là on compte 11 ou 13 syllabes.

   Chacune des Entrées tisse un récit qui se poursuit dans les Scènes : il se déroule alors en intégrant les couleurs des voyelles. Ainsi, le rouge du I est appelé dans la suite des scènes par : s’empourprent, couleur de sang, lèvres fardées, pieds rouges, boues rouges, pourpres tentures, rubis, incendie, peau cramoisie, bonnet rouge, Titien, feu. J'arrête là cette description d’un théâtre où la scène laisse découvrir les coulisses — elles sont alors une nouvelle scène —, où l’on traverse le miroir pour réapprendre, comme l’écrivait Rimbaud cité par Ristat, « la vie d’aventures qui existent dans les livres d’enfants ».

 



1 Rappelons notamment le titre de son précédent livre, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup.

 Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009 ;    24, 90 €.

 



31/01/2012

Étienne Faure, Chapeau, Franz

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           Chapeau, Franz

 

 Contre le mur plus triste qu'un cafard

assigné au thorax,

Kafka vivrait-il encore,

sorti du portrait tiré à quatre épingles,

on l'imagine après ruptures

en ses habits de fiançailles

ridé comme un pruneau, sourire

et rire, l'œil noir de nuit, incassable,

au grand jamais voilé de pruine,

plus noir que la pénombre amendée du noyau

un peu trop entourée

pour tenir

lieu de solitude.

 

les prunelles de Kafka

 

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Kafka, que faisiez-vous aux temps froids,

sur le papier de neige à scruter,

des années à jeun, la mort de face,

la réception glacée de ses yeux, tenancière

aux mille griffes, ou bien serveuse

arguant de ses feux pour séduire

in limine litis, avant le catch,

tenant l'amour, cette traverse,

pour félicité provisoire

inspirée, contractée, résiliée sans cesse

comme on respire, prend l'air à la fenêtre

avant d'attraper l'onglée, quadragénaire à peine,

— et finir là toussant, crachant, tambourinaire

mû lentement en caisse de résonance

pour prendre enfin congé au prétexte

de tuberculose.

 

le cas de Franz

 

Étienne Faure, dans Contre-Allées, 29.30, Automne-Hiver 2011, p. 26 et 24.

30/01/2012

Bernard Vargaftig, Distance nue ; Dans les soulèvements

 

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24 janvier 1934 - 27 janvier 2012

 

Je t'aime

Les grèves se détachent

Et les brindilles

Où même déchiré

Ton nom est en moi

 

La dispersion

Un mot sur les jardins

déjà cela

Qu'un rossignol emmène

Que commencement

 

A murmuré

N'oubliant aucune ombre

Immense comme

L'aveu dans chaque pierre

Me voit vaciller

 

Bernard Vargaftig, Distance nue, André Dimanche,

1996, np.

 

 

 

Qu'il y a de vent et d'oiseaux

La violence de ton nom va m'emporter

Et je reconnaissais combien tout à coup

C'était l'aube sous la langage

 

Quel tremblement quand la désolation craque

Les rapidités se rapprochent

L'éclaircie l'énigme que frôle

Un pas d'oubli l'espace dans l'attirance

 

Ce qui n'est jamais effacé

Chancelant où la stupeur s'arrête immense

Et ne recouvre rien comme en moi je me

Fuyais face au consentement

 

Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements, André Dimanche, 1996, p. 40.

29/01/2012

Guillevic, Art poétique

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Écrire le poème

C'est d'ici se donner un ailleurs

Plus qu'ici auparavant.

 

 

Un travail : créer

De la tension

Entre les mots.

 

Faire que chacun

En appelle un

Ou plusieurs autres.

 

Ils ne tiennent

Pas tellement à venir

De leur plein gré.

 

Quand ils arrivent

Ils sont arrimés

Irrévocablement

 

Par un silence

Qui ne sera

Jamais rompu.

 

  

Le poème

Nous met au monde.

 

 

Forcé d'écrire ?

Je n'en ai pas envie.

 

J'aimerais

Rester là, immobile.

 

À regarder le ciel,

Il n'y a pas plus bleu.

 

Et de temps en temps

L'horizon et ses approches.

 

Je voudrais

Me passer des mots.


Guillevic, Art poétique, précédé de Paroi et suivi de Le Chant, Préface de Serge Gaubert, Poésie / Gallimard, 2001, p. 260, 280, 291, 294.

 

28/01/2012

Louis Scutenaire, Mes inscriptions

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Les romans sont trop longs.


Le marquis de Sade sortit à cinq heures.


Orgueil, seule vertu.


Éphésien : On a tout dit.

Louis : Possible. Mais on n'a pas tout entendu.

 

C'est un livre admirable, comme il y en a tant.

 

La virtuosité me fait mal au cœur.


Si on ne me lit plus dans mille ans, on aura tort.

 

Un poète est un bonhomme qui fait des poèmes.


Mémoire que je perds, vide que je retrouve.


Tout accord repose sur des malentendus.


L'aigle donne moins de profit que le mouton.


J'ai une vison ; la voici : je vois exactement les choses que vous-mêmes voyez.

 

Louis Scutenaire, Mes inscriptions, préface d'André Thirion, lecture d'Alain Delaunois, éditions Labor, 1990, p. 22, 22, 27, 28, 33, 44, 48, 54, 83, 86, 92, 101.

27/01/2012

Vittorio Sereni, Étoile variable

vittorrio sereni,Étoile variable,rimbaud

 

Rimbaud

écrit sur un mur

 

 

Vienne un instant la morsure de son nom

la goutte qui exsude de son nom

écrit en lettres claires sur un mur brûlant.

 

Puis il me haïrait

l'homme au semelles de vent

pour y avoir cru.

 

Mais l'ombre renard ou rat qu'importe

habituée des mastabas

qui sans lien file dans notre regard

nous ignorant dans le jour qui décline...

 

Toi aussi tu l'as pensé.

 

Disparu. Faufilé dans sa maison

de cailloux de sable qui s'éboule

quand le désert recommence à vivre

il nous lance à nouveau ce nom en un long frisson.

 

Louxor, 1979

 

 

Rimbaud

scritto su un muro

 

Venga per un momento la fitta del suo nome

la goccia stillante dal suo nome

stilato in littere chiare su quel muro rovente.

 

Poi mi odierebbe

l'uomo dalle suole di vento

per averci creduto.

 

Ma l'ombra volpe o topo che sia

frequentatrice di mastabe

sfrecciante via del nostro sguardo

irrelata ignorandoci nella luce calante...

 

Anche tu l'hai pensato.

 

Sparito. Sgusciato nella sua casa

di sassi di sabbia franante

quando il deserto ricomincia a vivere

ci rilancia quel nome in un lungo brivido.

 

Luxor, 1979

 

Vittorio Sereni, Étoile variable [Stella variabile], éditon bilingue, traduit de l'italien par Philippe Renard et Bernard Simeone, préface de Franco Fortini, 1987, p. 163 et 162.

 

 

 

 

26/01/2012

André Salmon, Créances, 1905-1910

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                                    Modigliani, Picasso et André Salmon en 1916

 

             Arthur Rimbaud

 

MORTEL, ANGE et DÉMON, poète et baladin,

Casseur de pierre aussi et soldat de fortune,

RIMBAUD ! frère de ceux qui naissent pour l'exil,

Tu passas, recélant sous la face commune

Le visage d'un dieu honni des dieux voisins

Et voulus, dîneur des festins inutiles,

Mordre sans les cueillir tous les fruits du jardin.

Sur tes cahiers d'enfant écrasés de ratures,

Partout enluminés d'énormes caricatures,

Dans l'étude moisie et sous le gaz blafard

Tu griffonnais, petit prodige narguant son art,

Des pamphlets prophétiques que tu signais : ARTHUR.

N'étais-tu que l'enfant maudit de Charleville ?

Des mères t'ont crié dans les rues : « Antéchrist ! »

Sans savoir quelle aurore illuminait tes yeux.

Et sans faire baiser tes cheveux à leurs fils.

Tu fus le frère lointain des princes douloureux

Qui quelque soir, au fond d'une sombre Bavière,

Quand les étudiants chantent autour des pots de bière,

Laissent les eaux gardiennes se refermer sur eux,

Pour avoir compris l'âme des cygnes et des lys.

 

Un matin ce fut beau. Au pied d'un sapin rouge

Déroulant jusqu'à toi ses bras de palmes vertes,

Le voyageur qui va triste de bouge en bouge,

De palais en palais et dans les gares désertes

S'ennuie à regarder la pluie aux carreaux noirs,

L'éternel voyageur cherchant le but de vivre

Et ne le trouvant pas et repartant put voir

— Et trembla de le voir et de t'avoir surpris —

Au pied d'un sapin rouge un poète accroupi,

Qui riait aux éclats et qui brûlait son livre !...

 

Un empereur casqué de plumes et vêtu d'or

T'estimait. Ses sujets disaient : « Rimbaud le Juste ».

Tu vendais du café, du poivre et de l'ivoire

Et des fusils au nègre qui jouait les Augustes,

Et si quelqu'un venu de la mourante Europe

Te demandait : « Vous avez fait des vers, dans le temps ? »

Tu fronçais le sourcil et haussait les épaules

Et refaisais le compte de tes dents d'éléphant.

Puis tu revins mourir quelque jour à Marseille,

Avec ton or conquis caché dans ta ceinture

Et tu traînais la jambe sur le pavé cruel,

Meurtri du poids de l'or, meurtri  par tes blessures,

RIMBAUD ! Ils t'on dit mort en bon fils de l'Église

Car tu parlais d'Amour et de Terre promise...

 

André Salmon, Créances, 1905-1910 (Les Clés ardentes, Fééries, Le Calumet), Gallimard, 1926, p. 120-122.

 

25/01/2012

Julien Gracq, Carnets du grand chemin

 

   imgres.jpegÉtrange siècle, que le dix-huitième. Au moment même où la poésie semble en lui faire définitivement faux bond à l'art des vers, la littérature, elle, se met dans toute la France à rimailler à propos de bottes, de la lettre de château jusqu'à la satire vengeresse, du pamphlet politique jusqu'au traité de jardinage et de sylviculture. Cette métromanie galopante qui au XVIIe siècle obligeait déjà Boileau à suer sang et eau sur ses Satires et ses Épîtres, devient au siècle suivant une vraie épidémie. L'encaisse-or de la poésie volatilisée, l'encaisse-papier circule partout en nourrissant une inflation de mauvais aloi ; là aussi le XVIIIe siècle est bien celui qui commence avec la rue Quincampoix.

   Dans le prestige qui entoure à cette époque les petits vers, le "chant", la musique verbale, atteint à sa teneur la plus faible, et même s'élimine complètement comme élément de valeur, toutes les images sont des clichés (et même surexposés) ; ne reste que la difficulté artificielle imposée par le mètre et la rime : simple exercice d'assouplissement et de musculation abusivement tenu par toute une époque pour la beauté, dont il est un accessoire insignifiant. Une bonne partie de l'œuvre rimée de Voltaire, capable d'écrire une prose si déliée et si acérée, nous fait l'effet de gammes acrobatiques, où la virtuosité du doigté nous reste encore sensible, mais dont on se demande pourquoi on a jugé les notes dignes de s'inscrire sur une portée.

 

     Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, p. 236-237.

24/01/2012

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature...

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                                        Épilogue

 

Amour en quel état m'as-tu réduit et dou

Ce déchéance qui plus démuni que moi

Par les artifices quel monarque parmi

 

Tes serviteurs plus illustres et d'honneurs comblé

Plus soumis Ô cruel mais que nul ne plaigne

Le pauvre jean sans terre et ne rie de sa

 

Superbe qui m'habite en souveraine dé

Cision quel rêve me fait cortège et gloire

De reposer en ce jardin où je vous prie

 

Que dépouiller l'on me laisse et ne s'avise

Le dieu d'avertir l'oiseau qui porte le vent

Maintenant je veux être seul en dévotion

 

Et mon ravisseur entretenir des affai

Res du monde comme elle va l'herbe le ciel

Aiguiser et mon sang rougir la place où il

 

Me couronne voyez qu'en jalousie il

En meurt le vieux jupin enfin lassé de guer

Royer seul sur son nuage ou peut-être qu'à

 

Me foudroyer il s'emploie attends au

Moins qu'avec la lune s'achève ma course

Laisse amour nous rendre immortels prête

 

Moi l'éclair qui déchire et va dormir comme au

Trefois innocent et léger sinon de voir

Comme en ce jardin l'on joue sous les fougè

 

Res rouillées vers quel marécage

Ouvrent leurs serrures je tairai mes nuits

Tu disais c'est loin la grèce plutôt mourir

 

Que survivre plutôt me perdre et sans larmes

Le rire du dieu qui sommeille alors que

Penché sur la couché j'épie ton rêve et s'il

 

Parle de moi jaloux de n'y être pas les

Poètes disent l'oubli oh on temps sans mé

Moire quelle est ma demeure que vais-je fai

 

Re du temps qu'il me reste à vivre le décor

Est le même les dieux sur la locomoti

Ve trois-mille quarante-quatre les ombres

 

En une lanterne prisonnières ce

Grand rêve de vouloir et de ne plus atten

dre

 

[...]

 

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature suivi d'exemples tirés de la Bible et des Auteurs anciens, Gallimard, "Le Chemin", 1970, p. 23-24.

 

 

23/01/2012

Franck Venaille, C'est à dire

 

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          Certains qui tombent

 

Plusieurs, plusieurs fois, par jour de vie oui plusieurs

je me risquais dans mes souterrains

 

J'avais perdu ma part d'animalité

et n'étais plus rien qu'un homme

se souvenant de sa force d'autrefois, sa force

 

en allée

 

quand le père de votre père vivait encore vivant       Mais

je suis si nerveux cela me ronge de l'intérieur

ne vous attendez pas à lire la fin heureuse du poè-

Me

ainsi étais-je au-dessus de mes forces

espérant simple-

Met une fois encore entendre

hurler fort le chien si agité

 

devant la mer en larmes

[...]

 

 

       Peintures en trompe-l'œil sur les murs de l'hôpital

 

Heure noire de la journée, heure creuse, heure où les chevaux refusent toute nourriture. Animaux obstinés, comme je vous envie & vous demande de demeurer pleinement ce que vous êtes, installés calmement, les sabots de devant dans la fraîcheur de l'eau (claire, ici) lagunaire.

 

Arrivent alors des camions sans bâche où chacun des soldats prend appui sur le dos d'un autre. Quelle histoire ! C'est pour sauter à terre plus vite (bruits de croquenots) au cas où une embuscade barbaresque bouleverserait soudain les manuels traitant de stratégie militaire. Si ! Le premier blessé — pied droit arraché, moignon devenu festin pour chirurgiens carnivores — qui longuement, criera le nom de sa mère — est déjà un héros. Lâchez pour lui les chiens de guerre. Qu'ils partent tous pour la corvée de bois. C'est la mélodie des phares qui, bientôt, s'élève. Quelque chose qui tient d'un mouvement de symphonie primitive ! Eux (c'est-à-dire Moi-infant) se taisent. Obstinément ils se taisent. Obstinément les chiens.

Je dis qu'il faut plus que de la hargne pour gagner une guerre. Avant toute chose : vaincre l'ennemi principal : soi-même ! Et puis n'a-t-on pas pris l'habitude élégante de fusiller les cadavres en premier !

          LE BON DOCTEUR  DÖBLIN

          S'EN   VA - TA - LA CANTINE

          MANGER  DES   VONGOLÉS

          AVEC SA TANTE   HERMINE

 

Heure noire donc. Alors que la lumière de cette fin de journée, partout, (mer & canaux) est la même. Mais l'eau monte. Comme elle s'insinue, lentement, dans le salon d'attente de ce médecin du cerveau spécialisé dans la pensée rationnelle. Que lit-il ? : La Libre pensée. La Raison. Pensée & raison. Que peut-il faire de plus ? Se balancer d'un pied sur l'autre ! L'heure noire tombe l'hiver vers cinq heure, moment où la lagune vomit son fiel sombre.

 

L'instant où le More Othello et Desdémone échangent des serments d'amour.

(duo)

 

Tout m'est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux.

 

Franck Venaille, C'est à dire, Mercure de France, 2012, p. 45, 77-78.