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29/04/2022

Éric Villeneuve, Tache jaune / Monochrome bleu / Sorte de blanc

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   Si semblables que nous puissions être en tant que couleurs d’une même série, d’une même « lignée », il n’en demeure pas moins que nous peinons à communiquer.

   C’est comme si nous n’avions pas accès les uns aux autres, en vérité : dans l’espace, peut-être, mais pas dans le temps.

 

   Moi le « jaune », par exemple, j’aurais besoin d’aide pour rejoindre le moment précis du conte où « l’enfant chérie » du roi devint une « sorte de blanc ».

   À refléter une si grande infortune, cet épisode conserve une part d’opacité.

   J’aimerais déceler tout ce qui m’a échappé tandis que je l’évoquais, tout ce qui a été fondu dans ce malheur d’enfant : différentes histoires, sans doute, liées entre elles par de subtiles correspondances mais renvoyant chacune à une identité bien définie.

Éric Villeneuve, Tache jaune  / Monochrome bleu / Sorte de blanc, LansKine, 2022, p. 101.

 

 

09/10/2021

Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies

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En se rejoignant

elles deviennent silencieuses

les eaux de montagne

 

   Qu’a donc voulu dire Buson en écrivant ce haïku, sinon, apparemment, ceci : qu’au moment où confluent au fond de la vallée les torrents descendus des montagnes, on cesse d’entendre le bruit de leurs eaux ? Belle découverte !

   Il se trouve toutefois que l’extrême concision du haïku, en ne laissant passer dans les mots que quatre éléments : la montagne, les eaux, leur confluence et le silence qui s’ensuit, en les associant comme elle le fait dans un mouvement et une sorte de métamorphose, permet au poète de susciter, autour de ce presque rien, un espace ouvert où la rencontre de ces éléments, dont chacun est lié pour nous à un nombre très élevé de correspondances intérieures, de souvenirs et de rêves peut prendre sa plus large et plus profonde résonance. En cela, de surcroît, sans avoir l’air d »’y toucher, sans que cette notation qui serait, formulée autrement, à la limite de l’insignifiance, soit aucunement montée en épingle.

 

Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies, le bruit du temps, 2015, p. 47-48.

14/07/2012

Étienne Faure, Correspondances, dans Théodore Balmoral

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Transie je suis sur le quai d'hiver

et tente en vain l'espoir au cœur

d'arriver à temps malgré la neige,

le gel qui tout met à distance

derrière la vitre de ce temps où l'on s'aimait

sans hésiter, prenant la vie

comme si elle venait, à perdre connaissance

puis vie, de nouveau se perdre

depuis le quai où l'on s'est tant quittés

dans les films, yeux mouillés par l'histoire,

à dire adieu d'un geste sec,

de la main, du mouchoir — nous sommes quittes —

tandis qu'on maudit dans la buée de son souffle

le mouvement trop lent qui déplace

les corps, les rapproche, trop tard

pour prendre avec le monde, en sa fusion même

langue — c'était cela sans doute

être éprise

 

rapprochements

 

Étienne Faure, Correspondances, dans "Théodore Balmoral",

Printemps-Été 2012, p. 147.

© Photo Tristan Hordé.