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12/03/2024

Frédéric Forte, Transformation de la condition humaine dans toutes les branches d'activité

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   « La forme 99 notes préparatoires est un couteau suisse » (p. 119, note 43)

 

Le titre est emprunté à une allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle, le 4 octobre 1962, que l’on peut écouter sur le site de l’INA, indication donnée par l’auteur page 158 ; ce titre aurait déjà été celui d’un « sonnet perdu » de Jean Queval (p. 101, note 70). Le livre est construit en quatre parties les parties I et II comptent chacune quatre « 99 notes réparatoires » et, après un interlude (« au jeu de mah-jong »), III et IV en rassemblent chacune trois. Les thèmes semblent des plus variés, des notes préparatoires — toujours 99 — à la reconstruction d’Okinawa à celles, les dernières, au vert, en passant par les « 99 notes préparatoires aux 99 notes préparatoires ». À partir de ce bref descriptif, on rapproche sans peine Frédéric Forte de l’Oulipo et les nombreux emprunts, marqués comme tels dans le texte et attribués dans les Notes à la fin du livre, confirment son appartenance au groupe ; on y lit notamment les noms de Perec, Queneau, Roubaud, etc., et le recours à La Bibliothèque oulipienne, à Lewis Carroll, Marcel Duchamp, etc., mais aussi la liste de ceux et celles qui ont publié des textes titrés 99 notes préparatoires à...., avec la référence de publication — cette liste, sans référence cette fois, fait l’objet de la note 84 de III, 1.

 

Ce qui précède oriente vers un travail de la forme particulier aux écrivains qui, comme Frédéric Forte, se réclament de l’Oulipo. Le livre est construit sur le modèle du sonnet (4+4+3+3), en quatre parties numérotées (I, II, III, IV) deux ensembles de quatre « 99 notes préparatoires » en précèdent deux de trois notes. En outre, les "quatrains" s’opposent aux "tercets" : I ne compte que des notes préparatoires à propos d’éléments de fiction ou hors de portée (« à la reconstruction d’Okinawa / au Renard, série policière / aux Pays des Merveilles ») ou justement titrées « à l’impossible ». Le groupement III, à l’inverse, ne retient dans les « notes » que des éléments qui appartiennent à une réalité, ou le prétendent : « aux 99 notes préparatoires / à un livre de poésie contemporaine / à un objet de mon bureau ». On lit un décalage analogue entre II et IV. Entre les deux ensemble I, II et III, IV prend place un interlude : « 99 notes préparatoires au jeu de mah-jong » : les 45 images du jeu traditionnel comptent pour les notes 1-45, celles de 46 à 99 se résument en « Ou bien le jeu de mah-jong n’existe pas » : le double point de vue est respecté. Cette partition complexe est explicitement présentée dans les « Notes préparatoires aux notes préparatoires », « 92. Le livre Transformations de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité sera un « sonnet » de poèmes composés dans la forme 99 notes préparatoires. »

 

Lire dans le détail est constamment réjouissant, tant Frédéric Forte tire des effets des répétitions, d’une connaissance approfondie des œuvres qu’il utilise mais aussi de la sociologie de la lecture. Frédéric Forte établit par exemple la liste des « 33 fonctions » du couteau suisse (III, 3), objet devenu le symbole de la transdisciplinarité ; ce faisant il a rajouté des fonctions aux douze traditionnelles, le couteau devenant un objet utilisable pour les soins du corps (« cure-dents », « cure-ongles », « pince à épiler », « repousse-cuticules »), la communication (« stylo à bille) », les déplacements la nuit (« lampe LED »), etc.  Le « tercet » à propos de la poésie contemporaine, en même temps qu’il avance dans quelques notes l’importance de la relation "son / sens", relève à peu près tout ce que l’on peut entendre sur le sujet : l’incompréhension due à l’absence de lecture et de l’enseignement sur le sujet, mais aussi la bêtise à encadrer, digne de Bouvard et Pécuchet (qui sont cités ailleurs) ; au hasard :

 

« 5. Premièrement, les phrases ne veulent rien dire », « 19. L’auteur lance un peu tout ce qui lui passe par la tête. », « 32. Pas de ponctuation correcte, quand il y en a une ; l’ordre des mots n’est pas respecté ; il n’y a pas de proposition subordonnée relative. », « 46. Je ne nie pas qu’il s’agit d’une expérience intéressante. » ; « 99. Il faut aussi aimer la poésie, bien sûr. »

 

 On lira des banalités analogues dans IV, 2, « 99 notes préparatoires à moi (en vrai), le « je » du texte pouvant être un homme (« Cela me rend nerveux de sentir quelqu’un marcher derrière moi (même en plein jour »), une femme (96. « Je regarde ma mère faire la cuisine pour devenir plus tard "femme au foyer" »). Les reprises d’une phrase, littéralement ou non, ou d’un motif, courantes dans l’ensemble du livre, introduisent un sentiment d’absurde — toute "logique" d’un texte étant en défaut : « Dans le cahier de leçons, une liste de mots à apprendre » (IV, 3, note 21) est transformé en « autre liste de mots à apprendre » (note 54), puis en « encore une liste de mots à apprendre » (note 79) avant, simplement, « Liste de mots à apprendre » (note 96). Une note peut être réduite à un seul mot (« oui »), qui n’apporte pas d’information, être seulement un renvoi à une note précédente (p. 134, « 92. Cf. note 1) ou disparaître : il ne reste que la numérotation (p. 134, « 94. … », « 95. … », « 96. … », « 97. … »), ce qui illustre la proposition de la note 89., « Ces notes préparatoires ne préparent à rien. ».

 

On renonce à relever les énoncés qui rappellent, par exemple, l’univers de Lewis Carroll et, notamment, la tradition littéraire du "nonsense", mais pas seulement : Frédéric Forte a co-traduit Oskar Pastior et traduit Guy Bennett. Si l’on veut caractériser en peu de mots ces 99 notes préparatoires, on reprend l’exergue du livre : « Ce n’est pas un jeu — sauf le sens où on peut dire que les éléments d’un corps (vivant, social, musical) jouent ensemble » (Michelle Grangaud).

 

Frédéric Forte,

 

   « La forme 99 notes préparatoires est un couteau suisse » (p. 119, note 43)

 

Le titre est emprunté à une allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle, le 4 octobre 1962, que l’on peut écouter sur le site de l’INA, indication donnée par l’auteur page 158 ; ce titre aurait déjà été celui d’un « sonnet perdu » de Jean Queval (p. 101, note 70). Le livre est construit en quatre parties les parties I et II comptent chacune quatre « 99 notes réparatoires » et, après un interlude (« au jeu de mah-jong »), III et IV en rassemblent chacune trois. Les thèmes semblent des plus variés, des notes préparatoires — toujours 99 — à la reconstruction d’Okinawa à celles, les dernières, au vert, en passant par les « 99 notes préparatoires aux 99 notes préparatoires ». À partir de ce bref descriptif, on rapproche sans peine Frédéric Forte de l’Oulipo et les nombreux emprunts, marqués comme tels dans le texte et attribués dans les Notes à la fin du livre, confirment son appartenance au groupe ; on y lit notamment les noms de Perec, Queneau, Roubaud, etc., et le recours à La Bibliothèque oulipienne, à Lewis Carroll, Marcel Duchamp, etc., mais aussi la liste de ceux et celles qui ont publié des textes titrés 99 notes préparatoires à...., avec la référence de publication — cette liste, sans référence cette fois, fait l’objet de la note 84 de III, 1.

 

Ce qui précède oriente vers un travail de la forme particulier aux écrivains qui, comme Frédéric Forte, se réclament de l’Oulipo. Le livre est construit sur le modèle du sonnet (4+4+3+3), en quatre parties numérotées (I, II, III, IV) deux ensembles de quatre « 99 notes préparatoires » en précèdent deux de trois notes. En outre, les "quatrains" s’opposent aux "tercets" : I ne compte que des notes préparatoires à propos d’éléments de fiction ou hors de portée (« à la reconstruction d’Okinawa / au Renard, série policière / aux Pays des Merveilles ») ou justement titrées « à l’impossible ». Le groupement III, à l’inverse, ne retient dans les « notes » que des éléments qui appartiennent à une réalité, ou le prétendent : « aux 99 notes préparatoires / à un livre de poésie contemporaine / à un objet de mon bureau ». On lit un décalage analogue entre II et IV. Entre les deux ensemble I, II et III, IV prend place un interlude : « 99 notes préparatoires au jeu de mah-jong » : les 45 images du jeu traditionnel comptent pour les notes 1-45, celles de 46 à 99 se résument en « Ou bien le jeu de mah-jong n’existe pas » : le double point de vue est respecté. Cette partition complexe est explicitement présentée dans les « Notes préparatoires aux notes préparatoires », « 92. Le livre Transformations de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité sera un « sonnet » de poèmes composés dans la forme 99 notes préparatoires. »

 

Lire dans le détail est constamment réjouissant, tant Frédéric Forte tire des effets des répétitions, d’une connaissance approfondie des œuvres qu’il utilise mais aussi de la sociologie de la lecture. Frédéric Forte établit par exemple la liste des « 33 fonctions » du couteau suisse (III, 3), objet devenu le symbole de la transdisciplinarité ; ce faisant il a rajouté des fonctions aux douze traditionnelles, le couteau devenant un objet utilisable pour les soins du corps (« cure-dents », « cure-ongles », « pince à épiler », « repousse-cuticules »), la communication (« stylo à bille) », les déplacements la nuit (« lampe LED »), etc.  Le « tercet » à propos de la poésie contemporaine, en même temps qu’il avance dans quelques notes l’importance de la relation "son / sens", relève à peu près tout ce que l’on peut entendre sur le sujet : l’incompréhension due à l’absence de lecture et de l’enseignement sur le sujet, mais aussi la bêtise à encadrer, digne de Bouvard et Pécuchet (qui sont cités ailleurs) ; au hasard :

 

« 5. Premièrement, les phrases ne veulent rien dire », « 19. L’auteur lance un peu tout ce qui lui passe par la tête. », « 32. Pas de ponctuation correcte, quand il y en a une ; l’ordre des mots n’est pas respecté ; il n’y a pas de proposition subordonnée relative. », « 46. Je ne nie pas qu’il s’agit d’une expérience intéressante. » ; « 99. Il faut aussi aimer la poésie, bien sûr. »

 

 On lira des banalités analogues dans IV, 2, « 99 notes préparatoires à moi (en vrai), le « je » du texte pouvant être un homme (« Cela me rend nerveux de sentir quelqu’un marcher derrière moi (même en plein jour »), une femme (96. « Je regarde ma mère faire la cuisine pour devenir plus tard "femme au foyer" »). Les reprises d’une phrase, littéralement ou non, ou d’un motif, courantes dans l’ensemble du livre, introduisent un sentiment d’absurde — toute "logique" d’un texte étant en défaut : « Dans le cahier de leçons, une liste de mots à apprendre » (IV, 3, note 21) est transformé en « autre liste de mots à apprendre » (note 54), puis en « encore une liste de mots à apprendre » (note 79) avant, simplement, « Liste de mots à apprendre » (note 96). Une note peut être réduite à un seul mot (« oui »), qui n’apporte pas d’information, être seulement un renvoi à une note précédente (p. 134, « 92. Cf. note 1) ou disparaître : il ne reste que la numérotation (p. 134, « 94. … », « 95. … », « 96. … », « 97. … »), ce qui illustre la proposition de la note 89., « Ces notes préparatoires ne préparent à rien. ».

 

On renonce à relever les énoncés qui rappellent, par exemple, l’univers de Lewis Carroll et, notamment, la tradition littéraire du "nonsense", mais pas seulement : Frédéric Forte a co-traduit Oskar Pastior et traduit Guy Bennett. Si l’on veut caractériser en peu de mots ces 99 notes préparatoires, on reprend l’exergue du livre : « Ce n’est pas un jeu — sauf le sens où on peut dire que les éléments d’un corps (vivant, social, musical) jouent ensemble » (Michelle Grangaud).

 

Frédéric Forte,, P.O.L., 2023, 150 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 11 février 204.

, P.O.L., 2023, 150 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 11 février 204.

06/05/2013

Frédéric Forte, 33 sonnets plats

Frédéric Forte, 33 sonnets plats, sens, poème, oulipo

j'ai quelque chose à dire • mais quoi • qu'est-ce qui aboie • sous la douche / quelle couche • de dessous l'activité • vient jouer de la corde à léviter • et tout raidir / une pause et je pense • à un contraire possible de la scène • je pense à de la laine / et pourquoi pas s'il vous plaît • tricoter du sens • camoufler

 

avec toi je m'en vais par intermittence • c'est étonnant • comme dans une petite danse • toute pleine de blancs / toute pleine de gris • puisque l'au-jour-le-jour • ne peut être décrit • si impeccablement en chacun de ses tours / toi tu pars très loin •  retenu par un élastique • et tu me reviens toujours au coin • de l'œil comme ça doit être pratique / d'être toi • d'être un poème qui sait quoi

 

dans un monde parallèle je / conçois des sonnets de tailles différentes

 

Frédéric Forte, 33 sonnets plats, éditons de l'Attente, 2012, p. 27, 9 et 26.

12/07/2012

Frédéric Forte, Re-

imgres.jpeg

L'histoire en contient pas

ce livre la moindre lune

 

l'histoire en contient pas de verre

trouble la vue ne va ne

mécanise pas

le poème ainsi est une condition

de re- (ou pas) légèrement

dans la dune

 

passagèrement

la dune en poésie ce n'est pas

rare et en état de prune non ça

n'aidera pas ce livre

la moindre lune

 

 

Entre deux pages la même

pluie à la place de rien

 

entre deux pages la même porte

absente pas de chien, un

écran dessus le thème inexistant

de re- son tiens italique posé

schème de qui s'avance

et combien

 

ce qui avance

à combien dans la marge, petits nems

empilés des amibiens tombant serrés

clinamen, pluie

à la place de rien

 

Frédéric Forte, Re-, "Le comptoir des mots"

éditions NOUS, 2012, p. 41 et 43.