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24/07/2021

Samuel Beckett, mirlitonnades

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ce qu’ont les yeux

mal vu de bien

les doigts laissé

de bien filer

serre-les bien

les doigts les yeux

le bien revient

en mieux

 

*

 

ce qu’a de pis

le cœur connu

la tête pu

de pis se dire

fais-les ressusciter

le pis revient

en pire

 

Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)

mirlitonnades, traduction Édith Fournier,

éditions de Minuit, 1978, p. 39.

13/07/2021

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood

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Ce que le cœur reconnaît, la raison le nie.

Un rêve, mais est-il rien de plus réel qu’un rêve ?

Faut-il se résigner à vivre sans rêver

Que l’enfant aimantée vers ses lieux familiers

Vient dans ce jardin de roses, et chaque nuit

Revient remplir la chambre de sa flamme candide

Qu’elle nous tend comme une offrande et une prière ?

 

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, Fata Morgana, 1988, p.13.

 

 

28/01/2021

Rainer Maria Rilke, Chant éloigné

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[Pour Madame Agnes Renold]

 

Nous ne sommes que bouche. Qui chantera le cœur lointain

que rien n’atteint, qui règne au plus profond de toutes choses ?

Sa grande pulsation se partage entre nous

en pulsations moindres. Et sa grande douleur,

comme sa grande exultation, sont trop fortes pour nous.

Ainsi, nous ne cessons de faire effort pour nous en détacher

et n’en être ainsi que la bouche.

                                                    Mais soudain fait irruption

secrètement la grande pulsation au plus profond de nous,

qui nous arrache un cri.

Et dès lors nous sommes aussi être, changement et visage.

 

Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, traduction Jean-Yves Masson, 1990, p. 19.

03/11/2019

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer

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Où me pousse

le vent,

mon cœur,

mon cerveau,

en bas

dans la ville,

là-bas

dans la verdure

des collines délavées,

vers des femmes étrangères

                          vers

la lune,

mêlant

blanc

et rouge

sur un mur nu

de cimetière,

dans la forêt

qui, noire,

étend les jambes

et dans l’étang

rit,

s’envolent

sauvagement

les oiseaux oubliés

d’un coup,

mon vent,

mon cœur,

mon cerveau,

mes larmes ?

 

Thomas Bernhard, Sur

la terre comme en enfer, traduction

Susanne Hommel, Orphée/La Différence,

2012, p. 93 et 95.

25/11/2018

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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                        Le miroir

 

Qu’on lui donne un miroir au milieu du chemin,

Elle y verra la vie échapper à ses mains,

Une étoile briller comme un cœur inégal

Qui tantôt va trop vite et tantôt bat si mal.

 

Quand ils approcheront, ses oiseaux favoris,

Elle regardera mais sans avoir compris,

Voudra, prise de peur, voir sa propre figure,

Le miroir se taira, d’un silence qui dure.

 

Jules Supervielle, Le Forçat innocent, dans Œuvres complètes,

édition Michel Collot, Pléiade / Gallimard, 1996, p. 280.

 

 

12/11/2017

Christine de Pisan, Cent ballades d'amant et de dame

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Cent ballades d’amant et de dame,

XX, La Dame

 

Se j’estoie bien certaine

Que tout vostre cuer fust mien,

Et sans pensée vilaine

M’amissiez, je vous dy bien,

Que tant vous vueil ja de bien,

Que m’amour vostre seroit,

N’autre jamais ne l’aroit.

 

Mais mains hmmes, par grant peine,

Faont accroire, et n’en est rien,

Qu’ils ayment d’amour certaine

Les dames, et par maintien

Faulx, font tant qu’on leur dit : « Tien

Mon cuer qui tien est de droit,

N’autre jamais ne l’aroit ».

 

Par quoy s’ainsi amour vaine

M’avugloit, sur toute rien

Me seroit douleur grevaine,

Mais s’estiez en tel lien

Comme vous dictes, je tien

Que mon penser s’i donroit,

N’autre jamais ne l’aroit.

 

Le cuer dit : « Je vous retien ».

Mais Doubtance y met du sien,

Mon vueil point ne vous lairoit

N’autre jamais ne l’aroit.

 

Christine de Pisan, Cent ballades d’amant

et de dame, 10/18, 1982, p. 51.

 

 

 

 

 

21/10/2017

Valérie Rouzeau, Vrouz

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Je vous visiterai mes amis inconnus

Au sol dans les nuages je ne vous louperai

Aussi sûr que j’aurai dans ma chaussure

Un petit gravillon pour m’agacer le pied

Une plume collée sous ma semelle aussi

Un mégot antérieur long rêve de fumée

Ou crottin de cheval herbe mal essuyée

Réminiscence douce et dormante douce

Mes amis inconnus je m’assoirai dessus

Vivre seul cœur de marbre

Dur et pur come un chêne

J’ôterai de mon soulier le caillou blanc

Et je vous chanterai une chanson mince

À l’intérieur tout noir de moi

 

Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table Ronde,

2012, p. 90.

30/09/2017

Vladimir Maïakovski, Lettre à Lili Brik, 1917-1930

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Ce qui s’ensuivit

 

Plus qu’il n’est permis,

plus qu’il ne faut, —

comme

un délire de poète surplombant le rêve :

la pelote du cœur se fit énorme,

énorme l’amour,

énorme la haine.

Sous le fardeau,

les jambes

avançaient vacillantes,

— tu le sais,

je suis

pourtant bien bâti —

néanmoins

je me traîne, appendice du cœur,

ployant mes épaules géantes.

Je me gonfle d’un lait de poèmes,

sans pouvoir déborder, —

jusqu’au bord, et pourtant je m’emplis encore.

 

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik, 1917-1930,

traduction Andrée Robel, Gallimard, 1969, p. 94-95.

22/08/2017

Jean de Sponde, Les amours

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Les amours, XVII

 

Je sens dedans mon ame une guerre civile,

D’un parti ma raison, mes sens d’un autre parti,

Dont le bruslant discord ne peut estre amorti,

Tant chacun son tranchant contre l’autre affile.

 

Mais mes sens sont armez d’un verre si fragile,

Que si le cœur bien tost ne s’en est départi,

Tout l’heur vers ma raison s’en verra converti,

Comme au parti plus fort, plus juste et plus utile.

 

Mes sens veulent ployer sous ce pesant fardeau

Des ardeurs que me donne un esloigné flambeau ;

Au rebours, la raison me renforce au martyre.

 

Faisons comme dans Rome, à ce peuple mutin

De mes sens inconstans, arrachons-les en fin !

Et que nostre raison y plante son Empire.

 

Jean de Sponde, Œuvres littéraires, édition Alan

Boase, Droz, 1978, p. 65.

25/06/2017

Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir

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                Poème bizarre

 

J’ai connu un homme sans cœur ;

Il dit que des enfants le lui ont arraché

Et l’ont donné à un loup affamé

Qui s’est enfui l’emportant dans sa gueule,

Et les enfants ont fui avec l’instituteur ;

L’animal aussi s’est enfui bien vite,

Et derrière lui, bizarre poursuite,

Titubait encor cet homme sans cœur.

J’ai vu cet homme l’autre jour,

Gonflé d’un orgueil ridicule,

Le cœur remis en place et la mine égayée ;

À son côté, tout radouci, trottait le loup.

 

Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction

J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La

Différence, 1976, p. 83.

09/06/2017

Dominique Maurizi, La lumière imaginée

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Tais-toi mon cœur, tais-toi ! Des voix dans ma gorge. Mes lèvres sont rouge sang, ma bouche, maman, comme bouton de mon enfance, c’est ça, je vois et je joue ensemble, comme les fleurs je bois, je bois, comme le vent je danse dans les lauriers et les jasmins.

 

Aux aguets je m’attache à ma promesse, vous entendre et vous sentir, nuits !, les blancs, les noirs et les autres chevaux de la terre. Les animaux nous parlent-ils ? On me dit non, moi je dis oui. Mes jours, mes nuits les voient, les sentent et les entendent ensemble —

 

Sur le chemin des chiens mon âme a trouvé mon cœur.

Sur le chemin des chiens, là ou personne ne veut aller.

 

Dominique Maurizi, La lumière imaginée, Faï fioc, 2016, p. 23.

25/03/2017

Louise Labé, Sonnet III

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               Sonnet IIII

 

Depuis qu’amour cruel empoisonna

   Premierement de son feu ma poitrine,

   Tousjours brulay de sa fureur divine,

   Qui un seul iour mon cœur n’abandonna.

Quelque travail, dont assez me donna,

   Quelque menasse & procheine ruïne :

   Quelque penser de mort qui tout termine,

   De rien mon cœur ardent ne s’estonna.

Tant plus qu’amour nous vient fort assaillir,

   Plus il nous fait nos forces recueillir,

   Et toujours frais en ses combats fait estre :

Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,

   Cil qui les Dieus & les hommes mesprise :

   Mais pour plus fort contre les fors paroitre.

 

Louis Labé, Sonnets, dans Œuvres, Slatkine,

1981, p. 95.

09/02/2017

Henri Pichette, les ditelis du rougegorge

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Petit propriétaire à la cravate rouge

         il chante contre l’intrus

         il se rengorge se redresse

       il se campe torse bombé

tant le cœur lui bat le sang qui bout

         ses yeux flamboient

         son corps saccade

et plus il mélodie plus il furibonde

 

         Gare la bagarre !

on pourrait bien se voler grièvement

           dans les plumes.

 

Henri Pichette, Les ditelis du rougegorge,

Gallimard, 2005, p. 49.

30/10/2016

Guido Cavalcanti, Rime

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XXIV sonnet

 

   Amour m’a fait revivre un amoureux

regard spirituel, si attirant

qu’il me saisit aujourd’hui beaucoup mieux

et me force à penser d’un cœur ardent

 

   à ma dame, envers qui ne vaut rien

ni merci ni pitié ni d’être patient,

elle qui souvent me cause un chagrin

tel que mon cœur peu de vie en ressent.

 

   Mais quand je sens qu’un aussi doux regard

depuis les yeux jusqu’au cœur m’est entré

et y a mis un esprit tout de joie,

 

   de rendre grâces à elle je ne tarde :

ainsi soit-elle par Amour priée

qu’un peu de pitié ennui ne lui soit !

 

Guido Cavalcanti, Rime, traduction Danièle Robert,

Vagabonde, 2012, p. 89.

22/10/2016

Umberto Saba, Chansonnettes pisanes

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Chansonnettes pisanes

 

I

 

Clairsemées les eaux du fleuve

     immobile une hirondelle,

     sur la rive un brancard,

     lent, très lent avance.

Lent, je le suis : je pressens

     la douleur, le cœur m’opprime,

     et s’allument les premières

     étoiles au-dessus de la ville.

Blêmes lumières s’allumant le long

     de l’Arno ; le jour est encore clair,

     et tant d’ennui tout autour

     que chacun en mourra.

 

Umberto Saba, traduction Thierry

Gillybœuf, dans Rehauts, n° 38, p. 10.