Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/11/2025

Pierre Reverdy, Le épaves du ciel

                                   

Unknown-6.jpeg

                             La repasseuse


         Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
         Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.


                                      Cœur à cœur

Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va

Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte

On pourrait crier
                  Personne n’entend
On pourrait pleurer
                  Personne ne comprend

J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser

S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend

Pierre Reverdy, Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22, 86-87.


17/04/2012

Pierre Reverdy, Les épaves du ciel, Main d'œuvre

Pierre Reverdy, Les épaves du cile, Main d'œuvre, la repasseuse

                                            La repasseuse

 

Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.

Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.

 

Pierre Reverdy, Les épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22.

 

           Tête à tenir

 

Une large bouffée de flammes

Sur la frise en bas des forêts

Le brouillard échappé des larmes

Sous une écharpe de rosée

L’odeur rugueuse des cigares

Le feu caché des feuilles mortes

Rayons cassés qui tissent ton sourire

Le visage effacé sous son voile de peur

Il va il vient il se retire

Un rayon de miel dans la cire

Une larme amère à ton cœur

Amour reviens dans le silence

Le poids de la main sur ton front

Et toujours la mort entêtée

La mort vorace

 

Pierre Reverdy, Le Chant des morts, 1944-1948, dans          

Main d'œuvre, poèmes (1913-1949), Mercure de France, 1949, p. 412.