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16/03/2017

Orson Welles, Lettre à l'Observer

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(…) dénoncer l’incompétence des gouvernants, et déclarer ensuite que la direction du monde devrait être laissée exclusivement entre ces mains incompétentes, c’est manifester un bien extraordinaire désespoir.

   Dans les circonstances actuelles, l’incitation à abandonner le bateau qui coule n’est pas seulement quelque chose de futile ; c’est aussi un cri de panique.

 

Orson Welles, Lettre à l’Observer, dans Ionesco, Notes et contrenotes, Idées/Gallimard, 1979, p. 155.

15/03/2017

Cécile A. Holdban, Mobiles

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                           Photographie Frédéric Tison (blog Les Lettres Blanches)

 

Les feuilles pendues aux arbres rappellent les oiseaux morts

 

une petite fille marche le soleil est mûr

le chemin bien droit

les pas légers dans la poussière

elle déjoue d’une tresse qui saute la pesanteur

sous les arbres

elle si petite l’ombre l’avalera

l’araignée approche

 

les cœurs seront jetés

les fragments rassemblés

dans la nuit d’une toile

 

Cécile A. Holdban, Mobiles, dans Europe,

janvier-février 2016, p. 265-266.

 

 

 

14/03/2017

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik

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J’appelle

 

Le soulevant comme un athlète,

je le portais en acrobate,

et, comme on appelle les électeurs au meeting,

comme les villages

au feu

sont appelés par le tocsin,

j’appelai :

« Le voilà !

le voilà !

Prenez-le ! »

Quand

un tel monument se mettait à hurler,

ces dames,

s’écartant de moi,

par la poussière,

par la boue,

par la neige,

filaient comme un feu d’artifice :

« Nous, c’est plutôt la petite taille,

nous, c’est plutôt le genre tango… »

Je ne puis porter,

et je porte mon fardeau.

Je veux le jeter,

et je sais,

je ne vais pas le jeter.

Les arcs des côtes vont lâcher.

Sous la pression a grincé la cage thoracique.

 

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik (1917-1930),

traduction Andrée Robel, Gallimard, 1969, p. 95-96.

13/03/2017

David Lespiau, Carabine souple

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Déplacement des nuages sous un ciel sombre

la pluie en suspens, petite ville balayée par le souffle

accéléré de la nuit, pleine lune, hurlements de coyotes

sur des tombes ouvertes, fermées, dans l’ombre de ce qui se passe

sur l’avenue principale. Rangées de commerces, drugstores, saloon, prison

la terre foulée au centre, sable et boue. Montée de la poussière

en boucle, du matin au soir.

 

1

Les portes du saloon firent viyou viyou et l’Angleux fut dans la place

Le comptoir était désert, Martha en profitait pour faire du rangement

en haut. Les mouchoirs de John constamment enrhumé

jonchaient le sol, dépliés, souillés, comme des remords tardifs

Un frisson parcourut l’échine de Martha, penchée par-dessus la balustrade

— Pierre ! Montez donc

Ses seins tombaient sous son tablier, désignant lAngleux comme cible idéale

— Je monte, Martha, je monte

Les marches de l’escalier défilèrent sous ses bottes, la rampe glissa sous son gant

avant la fin de la phrase, il était à l’étage

— Je suis ravie de vous voir, dit Martha

ramassant un mouchoir aperçu au pied de la commode

et ne sachant plus qu’en faire, le plongeant dans la poche avant de son tablier

— Vous êtes enrhumée ? demanda Pierre

— Non c’est Johnny

— Je vois, vous faites paroi nasale commune, poursuit-il finement

— Oui non

 

2

— Je ne suis pas celle que vous pensez

— Moi non plus, répondit Pierre Vivante, qui faisait le malin

dans un excellent français

— Vous vous êtes fait un torticolis au cou, non ?

— Hum

— Ça va mieux ?

— I have mal au neck

— C’est le canapé ?

C’était le canapé

[…]

 

David Lespiau, Carabine souple, L’Ours Blanc, 2016, p. 5-6.

12/03/2017

Cécile Mainardi, L'histoire très véridique et émouvante de ma voix de ma naissance...

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À 6 ans, mon pèe ramène à la maison un magnétophone, nous jouons pendant des heures à nous enregistrer à tour de rôle. Ma mère dit je ne sais pas trop quoi avec sa voix qui, sans être forte, semble celle d’une géante quad on la réécoute. Elle-même dit qu’elle ne se reconnaît pas, qu’elle n’en revient pas d’avoir cette voix. Je m’amuse à la lui faire réentendre. Elle me dit maintenant qu’il lui semble entendre la voix de sa sœur aînée. Je lui dis : « Si, c’est toi, écoute ! » Nous sommes en haut des escaliers qui mènent au premier, assis sur les dernières marches. Jamais aucun objet ne nous a fait tenir si près du sol. Nous sommes près de nos voix ; nos voix près de nos bouches ; nos bouches près de nos cœurs.

 

Cécile Mainardi, L’histoire très véridique et très émouvante de ma voix, de ma naissance à ma dernière chose prononcée, Contre-Pied, 2016, p.20. © Photo Brigitte Palaggi.

11/03/2017

Étienne Faure, Vues prenables

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Puis les crues avaient délogé les morts

et les cadavres d’animaux qi dormaient sous l’eau

en un boueux désordre.

Une table flottait dans la Seine,

à quel repas en aval conviée, emportée sans hâte

— ce fut à Rouen qu’elle s’arrêta

à l’auberge où Flaubert l’attendait

avec d’autres ; toute la littérature

était là, à boire, à dévorer,

à ne vouloir jamais sortir de l’auberge

que la pluie ne coupât leur vin.

La vie,

sous la besogne outrancière des mots,

ils l’attrapaient comme idée,

pouce, index et majeur ramassés en grappe,

à s’aider de ces mains veinées

où coule en transparence une vieille vendange,

puis pour ne pas finir dans le vin aigre d’un tonneau

juraient, raturaient, buvaient

et contre Accoutumance, chien commun

tirant sa renommée de grammairien

d’une langue asséchée dans le jardin des maîtres,

aux jours de pluie rêvaient la canicule, en crevaient,

belle outre de vin noir — c’était du vent.

 

Littérature

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009.

10/03/2017

Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres de Jean-Claude Pirotte

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Sous la poussière il retrouve

L’ardoise d’enfance fêlée

Avec les griffures intactes

Proclamant sa détresse d’être

Celui qui toujours demeure

Au seuil du monde déchiffrable

Dans l’attente d’une aveuglante

Révélation ou d’un anéantissement

Rien n’a changé

Tout continue de se refuser

Là derrière

 

Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres

de Jean-Claude Pirotte, Cadex, 2002, p. 62.

09/03/2017

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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   Qu’est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

— La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d’existence ne cessent d’empirer — serait mon vade mecum de naufrage, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d’outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n’aurai pas le cœur d’apporter le catégorique remède).

— Ou plutôt ce qui me fascine, c’est moins le résultat, et le secours qu’en principe j’en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n’est tout compte fait qu’un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au-dehors de moi, quoi d’autre que ce hobby pourrait m’empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se laisser glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 195.

08/03/2017

Pierre Michon, Le Roi du bois

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Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.

 

Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.

07/03/2017

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique

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La nudité des fleurs c’est leur odeur charnelle

Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle

Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur

Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur

 

La nudité du ciel est voilée par des ailes

D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur

La nudité des lacs frissonne aux demoiselles

Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur

 

La nudité des mers je l’attire de voiles

Q’elles déchireront en gestes de rafale

Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps

 

Au stupre des noyés raidis d’amour encore

Pour violer la mer vierge douce et surprise

De la rumeur des flots et des lèvres éprises

 

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans Œuvres

poétiques, Pléiade :Gallimard, 1965, p. 574.

06/03/2017

Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes

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   « Faire attention », c’est là, apparemment, un savoir commun. Nous savons faire attention à toutes sortes de choses et même ceux qui sont le plus férocement attachés aux vertus de la rationalité occidentale ne refuseront pas ce savoir aux peuples qu’ils jugent soumis à des superstitions. D’ailleurs, même les animaux aux aguets témoignent de cette capacité..

   Et pourtant, on peut dire tout aussi bien que, dès lors qu’il s’agit de ce que ‘on nomme « développement » ou « croissance », l’injonction est de surtout ne pas faire attention. Il s’agirait de ce qui commande tout le reste, nous sommes sommés de penser la possibilité de réparer les dommages qui en sont le prix. En d’autres termes, alors que nous avons bien plus de moyens de prévoir et de mesurer ces dommages, on nous demande le même aveuglement que nous attribuons à ces civilisations du passé qui ont détruit l’environnement dont elles dépendaient. Et l’on détruit de manière seulement locale et sans avoir, contrairement à ce que nous avons fait en un siècle, exploité jusqu’à la raréfaction les « ressources » constituées au cours de millions d’années d’histoire terrestre(bien plus longtemps pour les nappes aquifères).

   Ce que nous avons été sommés d’oublier, n’est pas la capacité de faire attention, mais l’art de faire attention. Si art il y a, et non pas seulement capacité, c’est qu’il s’agit d’apprendre et de cultiver, c’est-à-dire, littéralement, de faire attention. Faire au sens où l’attention, ici, ne se rapporte pas à ce qui est a priori défini comme digne d’attention, mais oblige à imaginer, à consulter, à envisager des conséquences mettant en jeu des connecions entre ce que nous avons l’habitude de considérer comme séparé. Bref, faire attention, au sens où l’attention requiert de savoir résister à la tentation de juger.

 

Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, Résister à la barbarie qui vient, La Découvete/Poche, 2013, p. 51-52.

 

 

05/03/2017

Pierre Reverdy, Le Gant de crin

 

 

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Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.

Aussi me gardé-je bien de la défendre.

J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.

 

Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

 

Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.

Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

 

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.

 

Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

04/03/2017

Jean-Christophe Bailly, La fin de l'hymne

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                                           La fin de l’hymne

 

[…] il en va des voix comme des lieux : la résonance n’est pas leur fort. Donner aux voix comme aux lieux la juste résonance, il se trouve que cela s’accorde en une seule question, lorsqu’il s’agit de créer des lieux tels que des voix puissent s’y faire entendre. Nous le voyons ici, très concrètement, un problème d’acoustique vient se greffer sur la parole envisagée dans son être le plus pur. À quoi bon parler si l’on n’est pas entendu ? Le seuil de tolérance au-delà duquel la parole est perdue est très vite atteint : aussi, dès que le nombre de personnes réunies par une situation de langage dépasse ce seuil, la parole doit perdre à la fois la spontanéité de l’échange et l’immédiateté de son élocution, elle doit organiser son espace. L’acoustique survient avec le politique, elle en est le signe. Comment se faire entendre ? Comment créer des lieux tels que la parole puisse être entendue par beaucoup ou par tous ?

 

Jean-Christophe Bailly, La fin de l’hymne, collection Titres, Christian Bourgois, 2015 (1991), p. 109-110.

03/03/2017

Walter Benjamin, Images de pensée

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                                                                    San Gimignano

        

                                                                                      À la mémoire de Hugo von Hofmannsthal

 

   Trouver des mots pour ce qu’on a devant les yeux — comme cela peut être difficile. Mais lorsqu’ils viennent, ils frappent le réel à petits coups de marteau jusqu’à ce qu’ils aient gravé l’image sur lui comme sur un plateau de cuivre. « Le soir les femmes se rassemblent à la fontaine devant la porte de la ville pour puiser de l’eau dans de grandes cruches » — c’est seulement lorque j’eus trouvé ces mots que l’image se dégagea du vécu trop aveuglant, avec des bordures dures et des ombres profondes. Qu’avais-je su auparavant des saules à la blancheur flamboyante qui veillent l’après-midi avec leurs petites flammes devant les remparts de la ville ? Auparavant, les treize tours devaient s’arranger pour vivre bien à l’étroit, et, depuis lors, elles prirent chacune sagement leur place et, entre elles, il y avait encore beaucoup d’espace.

 

Walter Benjamin, Images de pensée, traduction Jean-François Poirier et Jean Lacoste, Christian Bourgois, collection Titres, 2011, p. 113.

 

                                             ***

                                        

Après « Les huîtres en questions », les éditions Les Ateliers d’Argol publieront « Les semences en questions ».
Pour aider à publier ce livre  une campagne de financement participatif est lancée.
Cette opportunité  aujourd’hui courante pour le montage de films,  se propose désormais pour des projets personnels ambitieux d’auteurs et éditeurs.
Le livre « Les semences en questions » représente une aventure personnelle à partager,  soutenue par un réseau de futurs lecteurs et pour une sensibilisation de tous aux questions d’alimentation durable.

Rendez-vous sur :

https://www.kisskissbankbank.com/les semences-en-question?ref=category

            

Sa sortie en librairie est prévue pour le mois de septembre 2017, mais il est déjà écrit qu’il fera grand bruit. La question des semences, pierre angulaire de notre agriculture, y est abordé sous toutes ses coutures. Ce « plus petit élément de vie » est aussi le plus grand dénominateur commun d’une alimentation saine. Réglementé, privatisé, confisqué même, l’univers des semences est passionnant car il est l’objet de tous les appétits des multinationales. Lesquelles ont compris qu’en mettant la main sur la semence, ils tenaient en laisse toute la chaine, de la terre à la fourchette.

Débattre de la semence relève de la responsabilité individuelle et collective. C’est ce que propose ce livre très bien documenté et argumenté, écrit et pensé par Catherine Flohic, journaliste et éditrice. 

 

 

 

 

02/03/2017

Julien Bosc, La coupée

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Garder son cap

n’est jamais varier que très lentement

ne jamais non plus aller plus vite qu’il ne faut

bien observer tout ce qui entoure     sans se soucier de soi

aimer la lenteur     à sn corps défendant si nécessaire

l’apparence du surplace quelquefois     et s’il advient s’armer de patience

attendant sans tourments des jours meilleurs     ils reviendront tôt ou tard

être là de nuit comme de jour et

en permanence à l’écoute de ce qui se dit ou chante

comme de tout semblerait se taire

 

de quelques règles de la vie en mer

— qui pourraient être du poète

 

Julien Bosc, La coupée, Potentille, 2017, p. 14.