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02/03/2020

Pierre-Albert Jourdan, Fragments

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Ce qui s’offre au regard. Mais qu’est-ce donc cela qui s’offre au regard ? Cela me fait parfois songer à ce personnage, lors de la première représentation d’Ubu roi, qui demandait : « C’est bien une plaisanterie n’est-ce pas ? »

Sous la paisible (somme toute) nomination des choses demeure une force explosive, aveuglante. Et toutes les interrogations n’enlèvent nullement ce pouvoir d’évidence (que d’autres voies soient possibles n’y change rien). Pouvoir d’évidence, pouvoir aussi de fascination. Niveau simple ? Alors nous devons aussi nous interroger sur ce que ce mot de « simple » signifie, sur ce mystérieux donné. Cette « simplicité » fait se dresser devant l’esprit de telles murailles qu’il vaut mieux s’ouvrir à une telle venue, se disposer à une telle venue. Il y aurait là, tout aussi bien, une science terriblement ardue.

 

Pierre-Albert Jourdan, Fragments, éditions poliphile, 2011, p. 12.

02/04/2017

Jacques Borel, Commémorations

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                                      La collection

 

Pendant des années, je n’ai pas pu passer par cette étroite rue qui fait un coude, à l’angle d’une place irrégulière où saillent, au milieu, deux ou trois maisons plus anciennes et plus basses, aux hautes toitures de tuiles petites, brunies et rectangulaires comme il n’en existe plus nulle part dans la ville, mais dans des villages seulement, toujours plus reculées, aux alentours, sans m’approcher, une fois de plus, de cette boutique devant laquelle, enfant, adolescent, m’avait, au sortir du lycée, si souvent immobilisé la rêverie, et de nouveau, ramené par la même fascination, je n’étais plus que ce regard qui me quitte, franchit la cloison transparente et coule au loin, dans l’eau, dans l’air empoussiéré de la vitrine, à travers les étoiles de mer séchées, les éponges, les coquillages — corne d’abondance tarie et ridée de l’euplectelle, oreille déchiquetée de la strombe, pareille à celles, monstrueuses, démesurées , de ces idiots couverts de bave, à Ligenèse, spires, volutes, cœur pétrifié du cardium et, sur une étagère en retrait, cette conque aux lèvres entrouvertes où affleure le murmure d’une mer captive—,

(…)

Jacques Borel, Commémorations, Le temps qu’il fait, 1990, p. 165-166.

09/03/2017

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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   Qu’est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

— La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d’existence ne cessent d’empirer — serait mon vade mecum de naufrage, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d’outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n’aurai pas le cœur d’apporter le catégorique remède).

— Ou plutôt ce qui me fascine, c’est moins le résultat, et le secours qu’en principe j’en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n’est tout compte fait qu’un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au-dehors de moi, quoi d’autre que ce hobby pourrait m’empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se laisser glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 195.