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17/10/2018

Jean Roudaut, Littérature de rêve

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                                       Vu d’ici 

  Les rêves rendent vaniteux. Jamais, éveillé, je ne serais capable de dessiner la nuit. Mais en rêve, je découvre, à mesure que je les fais, des fresques merveilleuses. Je construis des palais et des villes imprévisibles. La clarté du jour, partout où je me promène est plus douce qu’une peau de dame. De part et d’autres de la rue, hiératiques, se dressent en ancêtres, Atlante et Caryatide. Ils s’aimeraient, s’ils avaient encore des yeux pour voir. En veillant, ils dorment.

   La même nuit, après le faux temps du changement de décor, de la fenêtre je vois à la rue une enfant immobile et attentive. Quand je la rejoins, elle est devenue aussi grande que moi. Elle porte des bottes cavalières, une robe légère, voile ou zéphyr, que le vent serre contre ses jambes. Malgré son chapeau à larges bords, je vois les yeux, siennois, le sourcil prolongé vers la tempe par  un trait noir.

   Je l’accompagne jusqu’au palais fermé, sa demeure royale.

  Elle passe le portail, comme si elle le traversait,et disparaît entre les statues qui lui rendent les honneurs.

  Une seconde fois perdue.

 Jean Roudaut, Une littérature de rêve, fario, 2017, p. 24-25

                                     *

                                          ce jeudi 18 octobre, à partir de 19 h,

                                    Soirée autour de Tête en bas d’Étienne Faure,

                                  avec un hommage à Julien Bosc, éditeur et poète

                                   librairie Liralire, 116, rue Saint-Maur, 75011, Paris.

 

08/03/2017

Pierre Michon, Le Roi du bois

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Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.

 

Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.