04/09/2021
Denise Le Dantec, Ô Saisons
la fenêtre s’ouvre comme un hymne sur un sentier
— les tables de ferme fleurissent
tête la première dans l’eau de la citerne
les pommiers portent un double fruit
mon cœur vieillit
toujours plus loin là-bas
au-delà du pont
parmi les cris
la splendeur des tournesols
autour des pieux
réparer
dormir
fermer
marcher à travers les arbres
le choral des rameaux des rosiers d’autrefois
comme quand on s’en va
Denise Le Dantec, Ô Saisons, éditions des instants,
2021, p. 73.
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03/09/2021
Jacques Réda, L'herbe des talus
Tombeau de mon livre
Livre après livre on a refermé le même tombeau.
Chaque œuvre a l’air ainsi d’une plus ou moins longue allée
Où la dalle discrète alterne avec le mausolée.
Et l’on dit, c’était moi, peut-être, ou bien : ce fut mon beau
Double infidèle et désormais absorbé dans le site,
Afin que de nouveau j’avance et, comme on ressuscite —
Lazare mal défait des bandelettes et dont l’œil
Encore épouvanté d’ombre cligne sous le soleil —
Je tâtonne parmi l’espace vrai vers la future
Ardeur d’être, pour me donner une autre sépulture.
Jusqu’à ce qu’enfin, mon dernier fantôme enseveli
Sous sa dernière page à la fois navrante et superbe,
Il ne reste rien dans l’allée où j’ai passé que l’herbe
Et sa phrase ininterrompue au vent qui la relit.
Jacques Réda, L'herbe des talus, Gallimard, 1984, p. 208.
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02/09/2021
Robert Coover, Rose (L'Aubépine)
Qui suis-je ? voudrait-elle savoir. Que suis-je ? Pourquoi cette malédiction d’une stupeur sans fin et la persécution des baisers de prétendants ? Leurs assauts incessants mais inopérants sont-ils vraiment la préfiguration de celui qui sera efficace, ou bien mon anticipation crédule (je n’ai pas de mémoire !) n’est-elle qu’une partie de la plaisanterie stuporeuse et stupéfiante ? Voilà le genre de questions enfantines auxquelles la fée doit répondre tout au long de la longue nuit de sommeil de cent ans lorsque la princesse, toujours fraîchement affligée, surgit et resurgit dans ce qu’elle croit être l’ancien office du château ou encore sa chambre d’enfant ou la galerie des musiciens dans le grand hall, ou un peu chacune de ces pièces, et pourtant aucune. Patience, mon enfant, lui dit la fée en la tançant. Je sais que cela fait mal. Mais cesse de pleurnicher. Je vais te dire qui tu es. Viens ici, dans ce passage secret, par cette porte qui n’est pas une porte. Tu es une porte comme celle-ci, accessible seulement aux initiés, tu es un passage secret comme celui-ci, qui ne mène qu’à lui-même. Bien, tu vois cette fente étroite dans le mur, d’où les archers défendent le château ? On lui donne, comme à toi, le nom de meurtrière. Si tu regardes par là, peut-être verras-tu les os de tes victimes, cliquetant dans les ronces en contrebas. Comme toi, cette fente est depuis longtemps à l’abandon, et, regarde, une jolie araignée noire y a tendu sa toile. Tu es cette créature immobile, attendant silencieusement ta malheureuse proie. Tu es cette fenêtre, tissée d’envoûtement mortel, ce corridor jamais emprunté, cet escalier dérobé en colimaçon qui mène à la tour interdite. Tu es celle qui a renoncé aux fonctions naturelles, celle qui envahit les rêves des innocents, celle qui héberge les forces sauvages et ainsi définit et provoque l’héroïsme, et pourtant tu es l’épouse magique, de tout ce qui est bon le calice et la fleur, celle au travers de laquelle toute gloire s’acquiert, tout amour se découvre, la racine par laquelle tout besoin peut germer. Tu es celle à propos de qui les poètes ont écrit : La rose et l’épine, le sourire et la larme. C’est là la rengaine du chant de toute vie.
Robert Coover, Rose (L’Aubépine), traduit de l’américain par Bernard Hœpffner, avec la collaboration de Catherine Goffaus, Fictions & Cie, éditions du Seuil, 1998, p. 19-21.
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01/09/2021
Judith Chavanne, l'empreinte d'un instant
À la table pauvre d’un café
installée sur l’étroit trottoir de la grande ville,
l’homme un instant a quitté le dialogue
et l’ami ; il a posé les yeux
(comme le martinet en suspens
Avise le lieu enfin où s’arrêter)
Sur l’enfant pas plus haute que la table,
Qui passait ; il l’a vue, a souri.
Quelque chose alors s’est attendri
dans la chair de l’homme, son âme, l’air même,
et le temps s’est un peu alangui ;
un instant dans ce regard
avait trouvé son nid la chance de s’y épanouir.
Judith Chavanne, l'empreinte d'un instant, Potentille,
2021, p. 5.
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01/08/2021
Littérature de partout prend un peu de vacances, jusqu'au 1er septembre
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31/07/2021
Dans le marais poitevin et autour
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30/07/2021
Paysages du marais poitevin
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29/07/2021
Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses
Lacunes
Fascinant, le rêve l'est par ses lacunes bien plus que par son contenu souvent, examiné a posteriori, d'une consternante banalité.
Illusoire ?
La mémoire (n'est-elle fonction que de lanterne sourde ?), le paysage (la réalité faussement dite extérieure), les mots (leur charge affective en jeu) : autant, je le voudrais, de vases communicants, gages d'intimité.
Désarroi de la lecture
Lire : triturer, malaxer, tordre et détordre au plus près d'une vérité qui échappe.
Des notes de lecture éparses sur la table, réduites au strict minimum, parfois plus développées, des phrases ou bribes de phrases recopiées, des réflexions adjacentes, d'inattendus croisements de chemins, une errance sans but, inquiète et captivante : le livre lu et relu se défait, soumis à une véritable mise en pièces — en vue de quelque remise en état pour l'instant douteuse, quelle reconstitution toujours à remettre en cause ?
Cependant — n'est-ce pas là l'essentiel ? — il ne cesse de former un tout, de se régénérer ou métamorphoser en nous dans les moments de répit où notre volonté n'agit plus sur lui de même que, dans le reste de l'existence, chahutés par les émotions, la fatigue, la bousculade de nos journées, nous avons besoin, pour nous retrouver, d'un sommeil réparateur.
Savoir, quand un livre nous tient à cœur, si ce n'est pas plutôt lui qui poursuit en nous son exploration et, tirant à lui une part de nous-même, restaure ainsi son unité en même temps que la nôtre.
Sans ce travail sous-jacent, tout effort demeurant vain et désordonné, notre désir de comprendre, d'entrer en sympathie ne pourrait sans doute que se briser ; telle une vague venue se jeter contre des rochers, nous-même, provisoirement, nous ne serions qu'éclaboussures.
Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses, "en lisant en écrivant", José Corti, 2007, p. 74, 83, 84-85.
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28/07/2021
Wang Wen-hsing, Pensées libres à Pluie d’étoiles
Pensées libres à Pluie d’étoiles
Dans la rue, j’ai vu quelqu’un qui me ressemblait. Mais je ne sais pas comment je me suis rendu compte qu’il me ressemblait. Me serais-je déjà vu ? Je me suis vu de fac e. Mais c’est son dos que j’ai vu et reconnu comme semblable au mien. Il se penchait pour ouvrir la portière de sa voiture. Le plus étrange est que je ne fus pas du tout surpris, exactement comme André Gide l’a écrit : s’il ouvrait la porte de sa chambre et que derrière se trouvait la mer, il ne serait pas du tout étonné.
Tout plaisir prend naissance dans la curiosité.
Les hommes sont des tigres ou des loups. Ils ne peuvent se débarrasser de leur nature de loup. Méchanceté de la nature humaine.
Wang Wen-hsing, Pensées libres à Pluie d’étoiles et autres aphorismes, traduction Camille Loivier (chinois de Taïwan), dans la revue de belles-lettres, 2021-I, p. 9, 11, 15.
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27/07/2021
Francesco Scarabicchi, Par la mémoire ressaisi
La vitrine
Parfois nous revient
un nom, un visage
par la mémoire ressaisi
en un déclic d’interrupteur,
lui qui enfant
joue aux indiens
et seulement par erreur
brise avec le coude
la vitrine dans l’angle.
À genoux il recueille
les débris de verre
et qui l’observe avise
ce qu’il chuchote à peine
comment revenir en arrière ?
Francesco Scarabicchi, Par la mémoire
ressaisi, traduction Laurent Cennamo,
dans revue de belles lettres, 2021-1, p.129.
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26/07/2021
Quand le grotesque envahit l'agora...
Il est difficile de lutter contre l’ignorance et la bêtise, qu’entretiennent l’extrême droite et ceux qui se prétendent d’extrême gauche ; comment faire comprendre que des maladies comme la coqueluche, la variole, etc., ont été éradiquées grâce à la vaccination à ceux qui mettent en avant leur « liberté » ou qui imaginent que la France est maintenant une dictature ? La revue Hérodote a publié le 25 juillet un bref panorama de la sottise malheureusement de plus en plus affichée et des actes imbéciles qui l’accompagnent.
Le grotesque envahit l'agora !
Chacun s’est ému à juste titre de l'étoile jaune « Sans Vaccin » arborée par des manifestants, ces derniers jours. Cette mascarade témoigne de la bêtise abyssale desdits manifestants qui placent leur légitime opposition au vaccin sur le même plan que la Shoah. Ils ont tout oublié de ce qu’ils ont appris à l’école sur les horreurs du nazisme. C'est un témoignage parmi d'autres de l'indécence qui envahit les débats publics...
Déjà, il y a quelques années, des militants immigrationnistes, valise à la main, simulaient un départ pour les camps de la mort en vue de dénoncer les contrôles d’identité d’immigrants illégaux.
Plus généralement, depuis plus de deux décennies, aux États-Unis et maintenant en France, l’Histoire est allègrement bafouée par des universitaires. Ils n’ont pas l’excuse comme Alexandre Dumas de lui « faire de beaux enfants » mais la brutalisent sans scrupule à seule fin de la rendre méconnaissable et haïssable.
Les énergumènes qui déboulonnent les statues de Schœlcher, Lincoln ou Colomb… ou décrochent le portrait d’Elizabeth II ont le visage hideux de la bêtise, celle qui sert tous les tyrans. Ce sont les frères en démonerie des jeunes nazis qui brûlaient les « écrits juifs nuisibles » en 1933 ou des gardes rouges chinois qui torturaient à mort leurs professeurs en 1966. Leur haine des uns et des autres se nourrit de la lâcheté des citoyens, de notre lâcheté.
La langue et la littérature en prennent aussi pour leur grade. Des plumitives (le féminin s’impose) ne craignent pas de soutenir que la langue de Molière serait à l’origine de leur soumission ancestrale du fait de la prévalence du masculin sur le féminin dans les accords grammaticaux. Peu importe la réalité, à savoir que la France d’Aliénor, Christine de Pisan, Jeanne d’Arc, Mme du Châtelet, George Sand, etc. etc. peut s’enorgueillir de respecter et honorer les femmes plus et mieux (moins mal en tout cas) que la plupart des autre pays !
Voilà donc notre langue à son tour martyrisée par une écriture « inclusive » qui fait écrire sur les affiches de la Mairie de Paris : « Chèr.e.s Parisien.ne.s » (avec accent grave !). Que ceux qui ne comprennent pas cette orthographe s’adressent à Madame la Maire de Paris, ville autrefois appelée Ville-Lumière.
Dans les universités ou les théâtres, lieux culturels destinés à la diffusion du savoir et financés par des travailleurs qui, eux, n’ont jamais bénéficié dudit savoir, on censure à tour de bras sous les prétextes les plus risibles ou les plus contestables.
Telle philosophe croit que la procréation médicale assistée doit rester un acte thérapeutique. Qu’elle soit brûlée ! Celui-là joue une pièce du répertoire grec avec des masques africains. Qu’il soit pendu ! Et que dire de cet éditeur néerlandais qui a voulu confier à une « blanche » la traduction d’un poème de l’Afro-Américaine Amanda Gorman ? Devant le tollé, il a dû renoncer et s’excuser. L’éditeur français Fayard n’a pas pris de risque : il a officiellement confié la traduction à une chanteuse africaine. À grotesque, grotesque et demi.
Nous n’avons pas fini de nous amuser car, selon une formule célèbre, « quand la borne est franchie, il n'est plus de limites ! » Au sein de la mouvance LGBTQIA+ (nous nous sommes renseignés, ça voudrait dire : Lesbien Gay Bi Trans Queer Intersexe Asexuel…), ne voilà-t-il pas que des trans (hommes devenus « femmes ») voudraient participer aux compétitions féminines au grand scandale des sportives ordinaires. Ca tangue dans les « luttes intersectionnelles » !
Qui dit mieux ? Hé bien, le comble de l’indécence serait à chercher chez les multimilliardaires. Richard Branson, Jeff Bezos et Elon Musk, détenteurs d’une richesse sans mesure (merci à tous les utilisateurs d’internet et du commerce en ligne), n’ont encore rien trouvé de mieux que de s’envoyer dans l’espace et ils invitent tous les Midas de la planète à en faire autant… contre espèces sonnantes et trébuchantes. Belle idée ! Quand l’humaine humanité se demande comment survivre au dérèglement climatique et à la pollution causés par nos SUV, nos écrans vidéos géants, nos aéronefs, voilà que se profile une nouvelle activité encore plus énergivore et polluante que les précédentes. Au moins, « cela créera des emplois » !
Après ce survol très incomplet de notre époque, dites-nous à qui vous attribuez la palme du grotesque.
André Larané
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25/07/2021
Stefano Simoncelli, Frôlant les murs et les lumières
Parfois je sens
qu’un vent rapace
veut m’emporter
loin de ces confins escarpés
ravis aux bonds des chevreuils,
aux vallons ourlés d’orages,
jusqu’ici, où un déséquilibre
ou un trouble du regard
fait exploser les nuances
des ombres tapageuses
que j’ai oubliées
dans les livres et sur les murs
tandis que le noir est ce noir
où chaque nuit, dans un âge hors de saison,
je m’habitue à disparaître.
Stefano Simoncelli, Frôlant les murs et les lumières, traduction Laurent Cennamo, dans revue de belles-lettres, 2021-1, p. 149.
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24/07/2021
Samuel Beckett, mirlitonnades
ce qu’ont les yeux
mal vu de bien
les doigts laissé
de bien filer
serre-les bien
les doigts les yeux
le bien revient
en mieux
*
ce qu’a de pis
le cœur connu
la tête pu
de pis se dire
fais-les ressusciter
le pis revient
en pire
Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)
mirlitonnades, traduction Édith Fournier,
éditions de Minuit, 1978, p. 39.
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23/07/2021
Samuel Beckett, Bande et sarabande
Madame bboggs avait un amant dans la Délégation à l’urbanisme, au point que de, du reste, certaines dames malveillantes de sa connaissance ne perdaient pas une occasion de souligner la disparité frappante tant en ce qui concerne le physique que le caractère entre monsieur bboggs et Thelma : lui si sanguin, si blond et trapu à tous points de vue, attributs qui, remarquez bien, pouvaient non moins servir adéquatement de prédicat à sa fille Una ; une petite créature si frêle et noiraude. Anomalie des plus étranges, pour dire le moins, et qu’aucun ami de la famille ne pouvait vraisemblablement ignorer.
Le coucou présomptif, s’il n’était pas précisément l’un de ces petits bureaucrates sémillants dont on jurerait qu’ils sont venus au monde vêtus par Austin Reed,(1) présentait cependant quelques-unes des particularités spécifiques les mieux connues : le menton à fossette, les yeux de toutou si attirants, bruns et brillants, la surface sans ride d’un vaste front pâle dont la superficie était au moins le double de celle du bas du visage.
Samuel Beckett, Bande et sarabande, traduction Édith Fournier, éditions de Minuit, 1994 (More Pricks than Kicks, 1934), p. 186-187.
1. Chaîne britannique de vêtements.
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22/07/2021
Samuel Beckett, L'innommable
(...) ce sont les derniers mots, les vrais derniers, ou ce sont les murmures, ça va être les murmures, je connais ça, même pas, on parle de murmures, de cris lointains, tant qu’on peut parler, on en parle avant, on en parle après, ce sont des mensonges, ce sera le silence, mais qui ne dure pas, où l’on écoute, où l’on attend, qu’il se rompe, que la voix le rompe, c’est peut-être le seul, je ne sais pas, il ne vaut rien, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas moi, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas le :mien, c’est le seul que j’aie eu, ce n’est pas vrai, j’ai dû avoir l’autre, celui qui dure, mais il n’a pas duré, je ne comprends pas, c’est-à-dire que si, il dure toujours, j’y suis toujours je m’y suis laissé, je m’y attends, non, on n’y attend pas, on n’y écoute pas, je ne sais pas, c’est un rêve (...)
Samuel Beckett, L’innommable, éditions de Minuit, 1953, p. 260-261.
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