17/06/2021
Au bord de l'Atlantique
Photos Chantal Tanet
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16/06/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
La peau des dieux
Le temps est un puits profond profond
Où l’on se jette corps et âme l’eau noir
Ressemble à la nuit ô ciels nocturnes
L’onde est sans espoir mais il faut toujours
Vivre je dérive en barque comme sur une mer
Azurée les vagues des gloires passées rafraîchissent
Mon torse mes membres mon visage je plonge nu
Et savoure la nage l’embrun qui m’enrobe sont
La peau des dieux je m’étends sous un soleil
Aux rayons capiteux je m’étire je prends des teintes
Chaudes d’or fondu j’ouvre en grand ma bouche
Je me frotte à l’infini ah l’infini vieille lune
Paumée qui me rire avec ses guenilles
D’étoiles j’attends des fontaines d’eau fraîche
Des pains dorés des pousses de blé vert
Des oranges des citrons mûrs des olives
J’attends le jour qui éponge la sueur glacée
De mon front pour lui sussurer un avenir
Radieux où le corps respire le soleil
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits, Gallimard,
2021, p. 48.
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15/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Dans cette maison pleine d’affection
ignorant l’hiver
le décorticage du riz, un bruit de grêle
Oreiller d’herbes —
est-il triste trempé par l’averse d’hiver
ce chien hurlant à la nuit ?
Neige sur neige —
ah ! cette lumière de décembre,
celle de la lune claire
Errant comme un corbeau —
les pruniers en pleine floraison
comme autrefois
Sur le chemin montagneux
une violette me fascine
sans raison
Bashô, Seigneur ermite, traduction Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 104,111,112, 118, 121.
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14/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Regagnant la côte sur une feuille, le petit insecte où dort-il ?
Denuit sous la lune un ver secrètement creuse une châtaigne
Pareils aux herbes de pampas les épis de blé invitent-ils les coucous dans le vent ?
Que les couvertures superposées sont lourdes ! il doit neiger ce soir dans un lointain pays de montagne.
Poètes élus par les cris des singes, entendez-vous l’enfant abandonné dans le vent d’automne ?
Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Keemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 79, 79, 85, 94, 99.
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13/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Amoureux mélancoliques —
l’éclosion des fleurs
dans le champ hivernal
Contemplant les fleurs sans lassitude
mon carnet de haïkus
rarement sorti du sac
Lee vent souffle
— le cerisier sauvage a l’air d’un chien
remuant la queue
Revenant au pays natal
— à cent lieues sous les nuages
profitant de la fraîcheur
Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 44, 47, 49, 51, 62.
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12/06/2021
Marie de Quatrebarbes, Les vivres
22
Si je conjugue ces moments hors de moi passés si loin de toi avec ce loin qui est « je vois » et toi qui est « si loin de moi », plus ces moments-)là sont lointains plus ils existent en dehors de moi, mieux je les sens. Comme parfois je te sens vivante, je te cueille et j’en ai plein les poches. Ce serait une belle idée de remplir nos poches de toutes les présences qu’on aurait connues pour les retrouver. Et quand je marche avec au-devant, toi, quand je marche aveuglément, empéguée dans mon ombre qui est mon projet, aveugle et aveuglée, les papiers collent à ma marche et crépitent au fond de mes poches. Mais moi, ça ne me dérange pas, tu sais, quand quelque chose s’échappe de mes poches avec ton rire qui vient vers moi.
Marie de Quatrebarbes, Les vivres, PO.L, 2021, p. 65.
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11/06/2021
Bashô, Friches (2)
À l’ombre des fleurs
la nuit passée en voyage
évoque le chant
D’herbes l’appuie-tête
trempé par l’averse un chien
hurle dans la nuit
En voyage donc
j’aurai vu de ce bas monde
le grand nettoyage
De mes père et mère
le souvenir m’envahit
au cri du faisan
Ah le pays natal
sur mon cordon ombilical je pleure
au déclin de l’an
Bashô, Friches (2), traduction René Sieffert, Presses orientalistes de France, 1992, p. 51, 61, 65, 67, 73.
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10/06/2021
Bashô, Jours d'hiver
De notre malheur
ne résoudra le mystère
le chant du coucou
Jusqu’aux fleurs des champs
butine le papillon
aux ailes froissées
De la creuse cigale
d’automne le cri sans voix
s’élève en silence
Ne pouvant la couvrit
elle fait tomber la lune
l’averse d’hiver
Joyeusement
gazouille l’alouette
tire-lire-li
Bashô, Jours d’hiver, traduction
René Sieffert, Presses orientalistes
de France, 1987, p. 21, 25, 33, 37, 41.
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09/06/2021
Bashô, Friches (2)
La bise un instant
retient son souffle et c’est
le petit printemps
Le soleil couchant
qui tremble à l’horizon
fait mal à la tête
Quand souffle la bise
ramasseur d’aiguilles de pin
lui tient compagnie
Au vent du printemps
la ceinture relâchée
visage ensommeillé
Moustiques de la chambre
à la fumée des offrandes
tous s’en sont allés
Bashô, Friches (2), traduction René Sieffert,
presses orientalistes de France, 1992, p. 21, 23, 25, 27, 29.
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08/06/2021
Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï
Un court moment
S’attarde sur les fleurs
Le clair de lune
Bruit d’étourneaux
Du micocoulier tombent des fruits
Tempête du matin
Viens me voir ici
De sous la magnanerie
Une voix de crapaud
Dans la nuit sombre
À la recherche de son nid
Le pluvier pleure
Les rossignols
De derrière les saules
De devant les broussailles
Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï,
traduction Koumiko Muraoka et
Fouad El-Etr, La Délirante, 1979, np.
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07/06/2021
Esther Tellermann, Un versant l'autre
(...)
Jadis très loin
furent
des voilures
des myrtilles
et le câprier
même crête du monde
qu’un été brûle
même ambre
qui vous enferme
Poème creusait
chaque interstice
où vinrent
la lettre
et la blessure
(...)
Esrher Tellermann, Un versant
l’autre, Flammarion, 2019, p. 62.
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06/06/2021
Mariella Mehr, Arrivée, mais où ?
Arrivée, mais où ?
Aucun phare ne signale l’endroit.
De loin l’appel des marées rengaine
rythmée, tels des feux de joie
salamandrins dans la nuit.
Un poisson me happe,
écorche ce qui me restait du jour.
Le déchiquète, mâche
et le recrache intact dans le vent,
comme si j’étais le cœur de Prométhée
et lui, l’aigle éternel des Dieux.
Devant la mort je passe,
trop hardiment me semble-t-il,
car la voici qui rit, qui rit
en jouant sur sa flûte
la mélodie de mort.
Et toi, époque démontée,
où me fais-tu échouer ?
Quelques instants
fatals plus tôt,
tu la sais, la vie
m’attend encore et
un lumineux bourgeon soleil.
Mariella Mehr, traduction de l’allemand
Camille Luscher, dans la revue de belles-lettres
2020, 1-2, p. 37.
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05/06/2021
Christine Lavant, « Terre, si tu avais deux lèvres »
« Terre, si tu avais deux lèvres »
Terre, si tu avais deux lèvres
et une langue, et une heure amicale,
voudrais-tu parler avec moi
même quand je piétine avec colère
mon chicot de raison parmi les flocons de n eige ?
Terre, pourrais-tu rire ?
Je me suis vantée des ton amitié,
Racontant que j’aime habiter près des racines,
Que je parle du temps avec les pierres
Et que, ton sang, je peux l’interpeller.
Mentir était comme ces maladies
qu’on attrape souvent avant les grandes pestes,
et mon cœur a toujours tout gobé de moi.
Maintenant le voilà pestiféré
qui ne sait plus rien que crier vers toi,
il ne veut pas mourir, ni dire à personne d’autre
ce qu’il mijote, ce qui le tourmente,
ni qui il voudrait bénir encore à la fin.
Terre, accepte ma langue,
de grâce, terre et mes deux lèvres !
Viens me parler sous les flocons de neige
de la chaleur fidèle de l’amour.
Christine Lavant, traduction de l’allemand
Philippe Jaccottet, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 57.
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04/06/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
Une ombre rêvant des dieux
Ô jour je soupire il n’est pas assez d’alléluias
De baisers au monde qui éclot blanc
Comme un cyclamen sauvage parlez-moi
Des jonquilles qui annoncent le printemps
La marche dans les prés est fleurie la luzerne
Mauve le crépuscule des coquelicots l’aube
Des pâquerettes et les blés agités de vent
Me font avancer en souriant je pose mes pas
Sur la terre pour louanger Cérès et Flore
Je rêve de leur carnet de bal suis-je le fiancé
D’une danse mes membres seront pétales
Pour les déesses et les dieux je vais pleurer
Des larmes de pollen doré comme la pisse
De Zeus qui féconde Danaé des gouttes
Perlent de mes sourcils l’ombre des chênes
Les parfums des sous-bois animent mes jambes
Mes bras les paroles de l’Olympe piquent le tain
Sombre de mes yeux ô miroirs adorés où se reflètent
L’argent des mots et l’alambic des espoirs raffinés
Je suis une ombre rêvant des dieux
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits,
Gallimard, 2021, p. 31
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03/06/2021
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges, suivi de Autres stèles
Georges Perros à Douarnenez
Papiers collés, décollés, rapiécés
avec du scotch, de la colle, papiers
mâchés, rongés, érodés, échancrés,
cousus paresseusement, tout cela finit
par faire un beau livre, Monsieur Perros,
un livre qu’on tient comme un galet
avec une main fraternelle.
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges,
suivi de Autres stèles, Gallimard, 2021, p. 57.
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