02/07/2021
Jean Genet, L'Ennemi déclaré
Le plus important, ce qui était le plus important pour moi, je l’ai mis dans mes livres. Pas parce que je parle à la première personne ; le ‘’je » » dans ce cas-là n’est pas autre chose qu’un personnage un peu magnifié.
Je suis plus proche de ce que j’ai écrit parce que vraiment, je l’ai écrit en prison, et j’étais persuadé que je ne sortirai pas de prison.
Pourquoi j’aimais de retourner en prison, je vais essayer de vous donner une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, je ne sais pas. J’ai l’ompression que vers la trentaine, trente trente-cinq ans, j’avais, en quelque sorte, épuisé le charme érotique des prisons, des prisons pour hommes, bien sûr, et si j’ai toujours aimé l’ombre, même gosse, je l’ai aimé peut-être jusqu’à aller en prison. Je ne vais pas dire que j’ai commis les vols pour aller en prison, bien sûr, je les ai commis pour bouffer. Mais enfin, ça me conduisait peut-être intuitivement vers l’ombre, vers la prison.
Jean Genet, Entretien avec Antoine Bourseiller, dans L’Ennemi déclaré, Gallimard, 1991, p. 217-218.
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01/07/2021
Jean Genet, Le secret de Rembrandt
Sauf Titus — c’est son fils — souriant, pas un visage qui soit serein. Tous semblent contenir un drame extrêmement lourd, épais. Les personnages, presque toujours, par leurs attitudes ramassées, rassemblées, sont comme une tornade pendant une seconde tenue en respect. Ils contiennent un destin très dense, exactement évalué par eux, et que, d’un moment à l’autre, ils vont « agir » jusqu’au bout. Tandis que le drame de Rembrandt semble n’être que son regard sur le monde. Il veut savoir de quoi il retourne, pour s’en délivrer. Ses figures, toutes, connaissent l’existence d’une blessure, et elles s’y réfugient. Rembrandt sait qu’il est blessé, mais il veut guérir. D’où cette impression de vulnérabilité quand nous regardons ses autoportraits et l’impression de force confiante quand nous sommes en face des autres tableaux.
Jean Genet, Le secret de Rembrandt, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 33.
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30/06/2021
Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...
C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.
Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.
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29/06/2021
Jean Genet, L'étrange mot d'...
Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.
Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.
Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.
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28/06/2021
Kafka, Journaux
Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)
Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.
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27/06/2021
Kafka, Journaux
Il est certain que le dimanche ne me sera jamais plus utile qu’un jour de semaine, car la disposition particulière des heures renverse et brouille toutes mes habitudes et j’ai besoin de temps libre en excédent pour m’organiser un tant soit peu dans ce jour particulier.
Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 257.
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26/06/2021
Georges Perros, Une vie ordinaire
Il faut beaucoup d’indifférence
ou d’amour c’est selon les goûts
pour résister à ce que l’on trouve
aimable un jour un autre non
et que revient comme rengaine
ce même amour mêlé de haine
Mais l’amour a le dernier mot
pourvu qu’on fasse acte d’absence
quoique présent Ainsi les choses
arbres ciel mer pavés des rues
se foutent de nous comme peu
d’êtres sont capables de faire
et si vous vous mettez dessus
le nez en état touristique
elles font le paon
J’aimerais
vivre ici dit la jouvencelle
Quand la retraite aura sonné
aux flambeaux de nos deux pantoufles
lui répond son urbain mari
qui a d’autres chats à fouetter
que ceux qu’on rencontre la nuit
faisant l’amour dans la nature
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.
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25/06/2021
Georges Perros, Huit poèmes, dans Œuvres
Huit poèmes, III
Si mon discours vous paraît triste
Ou dérisoire ou rien du tout
— On dit que je suis pessimiste
Mais non, cherchez un autre clou —
Descendez un peu sur la grève
La mouette y jette son cri
Puis reprend l’envol de son rêve
Immobile. Je suis ainsi.
On a beau me faire morsure
Profonde, terrible à subir
Je vais chercher de la sciure
Boucher de mon propre soupir,
La sème, afin qu’à nouveau luise
L’aube prochaine, et sa surprise.
Georges Perros, Œuvres, édition Thierry
Gillybœuf, Quarto/Gallimard, 2017, p . 1082.
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24/06/2021
Cole Swensen, Poèmes à pied
(Thoreau)
(...)
Ainsi les arbres vivent pour toujours
un ami de quiconque
est aussi un ami à tes côtés
un arbre révèle
au long de ses marches quotidiennes
de plus âpres voyages
comme la présence
a toujours été
plus intrusive que le sens
et ainsi
un paysage en sa persévérance
est un déploiement sans mesure, permettant
un assaut de lumière renouvelée
par un après-midi qui mène à un autre
et que celui-ci quelque part achève
Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain
Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.
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23/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
que la ville au soleil s’éveille ou se rendorme
on entend sur les seuils les ombres des défunts
timides murmurer que la beauté des mortes
comme la dentelle est dans la graine du lin
nous ne saurons jamais de quels cris étouffés
nous naissons à la mort dans nos rêves de lymphes
ou de quels souvenirs nos lendemains sont faits
ni de quels crimes nos mains nues gardent l’empreinte
et saurons-nous jamais quel souffle nous emporte
ou quel trouble désir de futures étreintes
mènent nos jours éteints vers des nuits où les mortes
infidèles sans fin vivent leurs amours feintes
(lisant joubert)
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,
La Table ronde, 2012, p. 773 .
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22/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
le mal des anges
un jour je suis parti
pour ne plus revenir
les gendarmes m’ont pris
et je suis revenu
une autre jour encore
plus tard un vingt octobre
j’ai descendu la Meuse
le vieux fleuve impassible
et j’ai quitté ses rives
pour les rives du Rhin
et le bac du passeur
qui n’avait pas de chien
car ce n’était pas l’heure
de la dernière obole
mais celle d’un ailleurs
magique et sans école
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,
La Table ronde, 2012, p. 293.
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21/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
Paysages, 2
le pays que j’habite est un pays perdu
comme tous les pays que le siècle déserte
avec les vieux clochers les murs qui se délabrent
et les pommiers tordus redevenus sauvages
l’horloge s’est arrêtée les chemins ne vont plus
aux granges que l’oubli dans le silence étreint
cependant nous marchions (dis-tu) dans le matin
quand au. bord des étangs rêvaient les fiancées
mais cela n’eut pas lieu qui nous était promis
ce bonheur ces baisers la tiédeur des fruits mûrs
et le grand ciel flambant des étés revenus
voici nos souvenirs au pied des arbres nus
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique, La Table ronde, 2009, p. 701.
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20/06/2021
Étienne Faure, Penchants aux fenêtres
L’été, fenêtre ouverte, nous voyageons avec les avions
qui s’en vont, quittant le territoire en vrombissant
comme soulevés d’un destin trop lourd — deux août,
même chaleur anniversaire qui jour pour jour
avait saisi les aïeux de fureur
dans la mobilisation des corps soudain
suspendus à des déclarations d’amour, non, de guerre,
peaux empourprées aux moindres caresses,
une dernière fois sous le soleil posant
la tête sur la patrie qu’est la poitrine
à susurrer ça va vous coûter cher., l’amant, autant dire
la vie, moissons défaites, toutes faux passées
et des poèmes écrits à la dernière minute
dans la poussière de l’été, cette saison
à jamais révolue, enfermée dans le passé
d’un mot qui ce jour-là aura
été, à Paris maintenant démobilisé
énième deux août à Paris
Étienne Faure, Penchants aux fenêtres, dans
Contre-Allées, N° 43, printemps 2021, p. 8
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19/06/2021
Isabelle Lévesque, en découdre
Demain départ
Demain, terre où les graines avivent les sons. Toute ordonnance sillonne et attache l’écorce brune que nous soulevons. Un arbre de plus, et la route.
Demain je quitterai le point fixe de la branche, mon heure aura proscrit l »immobile. Nous ferons corps des nuages. Le chant vers l’ascension. Rien contre ? Tu ne peux retenir les sons, leur écho dissout le temps. Inévitablement.
Sans qu’une faille présume du sort.
Isabelle Lévesque, en découdre, L’herbe qui tremble, 2021, p. 25.
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18/06/2021
Jean de La Fontaine, Le vieux Chat et la jeune Souris
Le vieux Chat et la jeune Souris
Une jeune Souris de peu d’expérience
Crut fléchir un vieux Chat implorant sa clémence,
Et payant de raison le Raminogrobis :
Laissez-moi vivre : une Souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?
Affamerais-je, à votre avis,
L’Hôte et l’Hôtesse, et tout leur monde ?
D’un grain de blé je me nourris ;
Une noix me rend toute ronde.
À présent je suis maigre ; attendez quelque temps
Réservez ce repas à Messieurs vos Enfants.
Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.
L’autre lui dit ; Tu t’es trompée.
Est-ce à moi que l’on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat et vieux pardonner ? cela n’arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,
Meurs, et va-t’en tout de ce pas
Haranguer les sœurs Filandières.
Mes Enfants trouveront assez d’autres repas.
Il tint parole ; et pour ma fable,
Voici le sens moral qui peut y convenir :
La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir.
La vieillesse est impitoyable.
La Fontaine, Fables, 12, V, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 771.
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