04/10/2021
L'abbaye de la Sauve Majeure (Gironde)
Photos T.H.
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03/10/2021
Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer
Éloge de la mauvaise opinion de soi
Le busard n’a vraiment rien à se reprocher.
Les scrupules sont étrangers à la panthère.
Les piranhas ne doutent jamais de leurs actions.
Le serpent à sonnette s’approuve sans réserve.
Personne n’a jamais vu un chacal repenti.
La sauterelle, l’alligator, la trichine et le taon
Vivent bien comme ils vivent, et en sont très contents.
Un cœur d’orque pèse bien cent kilogrammes, maIS
Sous tpout autre aspect demeure fort léger.
Non, rien de plus bestial
que la conscience tranquille
sur la troisième planète diu Soleil.
Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer, traduction Piotr Kaminski, 2018, p. 173.
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02/10/2021
Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir
Sonnet
D’un sommeil plus tranquille à mes amours rêvant,
J’éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,
Et cette longue nuit si durement passée,
Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.
Demi désespéré je jure en me levant
D’arracher cet objet à mon âme insensée,
Et soudain de ses vœux ma raison offensée
Se dédit et me laisse aussi fol que devant.
Je sais bien que la mort suit de près ma folie,
Mais je vois tant d’appas en ma mélancolie
Que mon esprit ne peut souffrir sa guérison.
Chacun à son plaisir doit gouverner son âme,
Mithridate autrefois a vécu de poison,
Les Lestrigons de sang et moi de je vis de flamme.
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir,
Poésie/Gallimard, 2002, p. 119.
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01/10/2021
Christian Viguié, Fusain
Cherche l’ombre
comme une lanterne
ou un papillon.
Le vent
autour du puits
s’étonne qu’aucune parole
n’en sorte.
Un oiseau
s’envole
avant toute parole.
C’est à l’intérieur de toi
que les roses
ferment les yeux.
Le brouillard
ne nous demande pas
de voir les choses
mais l’attente des choses.
Christian Viguié, Fusain, le cadran ligné,
2021, p. 19, 20, 23, 24, 32.
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30/09/2021
Marie de Quatrebarbes, Les vivres
Décembre 13
Images indistinctes démêlées du fond. Lieux communs mille fois traversés. Idiomes intacts. On voudrait s’assécher, former autour d’elles un pur esprit de mailles. On laisse les portes entrebâillées. Elles ne changent pas d’aspect avec le temps. Autre découverte : si vous êtes le cœur, il faut rêver les membres. La marque d’une fiction change, un rien superficiel. Maintenant avance, charge ta viande. Travaille-la soigneusement, fût-elle avariée. Avec un papier plié dans la bouche pour dévier ton souffle, tu ne peux pas faire de bruit.
Marie de Quatrebarbes, Les vivres, P.O.L, 2021, p. 80.
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29/09/2021
Philippe Beck, sur la notion de bifurcation
L'une des notions contemporaines les plus intéressantes et passionnantes, et pour ainsi dire apéritives, est la notion de la bifurcation. Imaginons la vie contemporaine sous sa forme réelle, comme dans l'étang de Leibniz : il s'agit d'un ensemble de rencontres plus ou moins fortes, où chacun approche d'autres êtres et s'en éloigne, où tous représentent un ensemble de forces variables avec leurs ondes croisées. Quelqu'un est une force; ce qui signifie qu'il est une promesse. Quelle promesse? L'être que je rencontre est la silhouette d'un bonheur (d'une augmentation de la beauté ou de la puissance de vivre) ou d'un malheur (d'une diminution ou d'un affaiblissement). Chacun suscite les ondulations d'une rêverie, et cette flottante excitation qu'on appelle une rêverie, fantastique entre deux moments d'existence, est à la fois intense et aléatoire. En ce rêve intermédiaire où s'anticipent les mouvements, l'imagination réelle, qui accorde à l'autre une force particulière (elle se contracte dans une image, une idée sensible faite de jugements, d'impressions etc.), bifurque régulièrement comme un poisson aérien : l'ordinaire de la vie, c'est l'orientation de la silhouette dans telle direction, près ou loin des rencontrés, selon les besoins de la persistance. La plasticité de l'espace est la ressource du rêve. Chacun est un chemin qui mène quelque part, de demi-jour en demi-jour. Le fait de savoir qu'à tout moment le chemin peut devenir autre ne rassure en rien, mais il atteste le champ de forces où sourires, écoutes, contacts voluptueux, poignées de mains, etc., sont chaque fois la promesse ou le rejet d'un mieux. Le rythme d'élaboration de ce mieux est tissé d'apparitions et de disparitions. Des décisions se prennent en chacun pour aller ici ou là, sous la loi de l'espace un et multiple. Sans doute, le réel contemporain est-il déterminé par le règne du tremblement de terre : le sol peut à tout instant se dérober sous nos pas, compromettant la possibilité d'un chemin. Sans doute, une vie tremble désormais sur ses bases, ou bien encore : les bases ne se maintiennent que sous la forme du tremblement. Pourtant, rien n'est plus beau et suscitant qu'une bifurcation, puisqu'elle signifie qu'un monde possible a failli ne pas exister. Elle veut dire aussi qu'un monde ancien, en chaque vie, vient de s'enfoncer dans les ténèbres où disparaît ce qui n'a pas interdit la transformation de la balade terrestre. Et cette balade particulière, émouvante, se trame auprès des rencontrés, des estompés, des éloignés. Elle constitue l'extraordinaire vie générale divisée et commune, mobile et immobile comme une hilarotragédie.
(Publié le 27 septembre dans Sitaudis)
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28/09/2021
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Le cœur serré sans préavis
entre les murs du bâtiment gris public
d’où les cris fusent, on croirait une enfance
à cause des barreaux qui restreignent
la vue du ciel
les origines restituées
comme on s’en trouve à même les livres
enracinés dans la mémoire
avec l’ennui et les récitations
— craie, encrier, cire d’abeille —
la cour d’école au gravier jaune où crisse
une espèce de véracité française,
racines, à force d’être lues, plausibles
et crues finalement, oui, avec effet rétroactif
tant le désir de croître est commun aux souvenirs
d’une enfance implantée au hasard des sols,
l’autre en papier relue, comme apprise.
Papier relu
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 88.
Photo Chantal Tanet
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27/09/2021
Étienne Faure, Ciné-plage
Sous d’apatrides vêtements aux couleurs
perdues dans la bataille
ils arrivaient par l’Europe en neige,
alors champ équivoque où germaient les victoires défaites,
puis repartaient pour cause de guerre en sens inverse,
pour les beaux yeux d’une patrie disant des mots d’adieu
dans une langue occasionnelle,
n’importe quoi qui comblât l’écart
en train de se creuser depuis l’arrière
jusqu’à l’amovible première ligne
approchée la nuit dans l’éclat d’armes blanches,
la lutte acharnée des chairs pour quelques mètres,
ici ressortissants drapés dans la boue
des gisants d’avant-hier autre époque,
en d’identiques raideurs nationales.
quelques mètres
Étienne Faure, Ciné-plage, Champ Vallon, 2015, p. 126.
Photo Chantal Tanet
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26/09/2021
Étienne Faure, Tête en bas,
Sur les tombeaux d’Europe autrefois de l’Est
éclairés d’une mèche en flamme
les morts réclamaient la mémoire
alerte et vacillante
de ceux demeurés en surface, et des pensées profondes
gravées au burin dans la pierre
qui rappelleraient l’objet perdu de leur combat,
explicitant leur vie au fond du marbre
en quelques mots, numéros, ceux qu’on marque
ordinairement sur la peau pour ne pas
oublier ce qu’on devait faire
ce jour-là de sa vie, de son temps
— passer la frontière, défendre un pays —
sous la répétition des oies dans le ciel
avant l’énième migration en V
ou WW selon la langue.
vacille la mèche
Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, p. 132.
Photo Chantal Tanet.
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25/09/2021
Étienne Faure, Et puis prendre l'air
L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues, infime : un nuage effilé par le vent, la vitesse de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin et lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vitre avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.
Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p. 103.
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24/09/2021
Cioran, Aveux et anathèmes
Il m’est impossible de savoir si je me prends ou non au sérieux. Le drame du détachement, c’est qu’on ne peut en mesurer le progrès. On avance dans un désert et on ne sait jamais où on en est.
La profondeur d’une passion se mesure aux sentiments bas qu’elle enferme et qui en garantissent l’intensité et la durée.
De tout ce qui nous fait souffrir, rien, autant que la déception, ne nous donne la sensation de toucher enfin au Vrai.
Un rien de pitié entre dans toute forme d’attachement, dans l’amour et même dans l’amitié, sauf toutefois dans l’admiration.
J’espérais de mon vivant assister à la disparition de notre espèce. Mais les dieux m’ont été contraires.
Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1068, 1070, 1071, 1072, 1073.
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23/09/2021
Cioran, Aveux et anathèmes
Chaque fois que je vois un clochard ivre, sale, halluciné, puant, affalé avec sa bouteille sur le bord du trottoir, je songe à l’homme de demain s’essayant à sa fin et y parvenant.
C’est sous l’effet d’une humeur suicidaire qu’on s’entiche généralement d’un être ou d’une idée. Quelle lumière sur l’essence de l’amour et du fanatisme !
Ce qui date le plus, c’est la révolte, c’est-à-dire la plus vivante de nos réactions.
J’aimerais mieux offrir ma vie en sacrifice que d’être nécessaire à qui que ce soit.
Les nuits où l’on se persuade que tous ont évacué cet univers, même les morts, et qu’on y est le dernier vivant, le dernier fantôme.
Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 1060, 1062, 1063, 1063, 1064.
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22/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Vitalité de l’amour : on se saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.
Deux victimes besogneuses, émerveillées de leur supplice, de leur sudation sonore. À quel cérémonial nous astreignent la gravité des sens et le sérieux des corps !
Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette.
Les événements tumeur du Temps.
L’insomnie est la seule forme d’héroïsme compatible avec le lit.
Cioran, Les syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, p. 235, 237, 238, 242, 255.
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21/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Il est aisé d’être « profond » : on n’a qu’à se laisser submerger par ses propres tares.
Modèles de style : le juron, le télégramme et l’épitaphe.
Les « sources » d’un écrivain, ce sont ses hontes, celui qui n’en découvre pas en lui, ou s’y dérobe, est voué au plagiat ou à la critique.
Le public se précipite sur les auteurs dits « humains » ; il sait qu’il n’a rien à en craindre : arrêtés, comme lui, à mi-chemin, ils lui proposeront un arrangement avec l’Impossible, une vision cohérente du Chaos.
La peur de la sénilité conduit l’écrivain à produire au-delà de ses ressources et à ajouter aux mensonges vécus tant d’autres qu’il emprunte ou forge. Sous des « Œuvres complètes » gît un imposteur.
Cioran, Les syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 173, 173, 174, 175, 176.
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20/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Tant de pages, tant de livres qui furent aux sources d’émotion et que nous relisons pour y étudier la qualité des adverbes ou la propriété des adjectifs.
Combien j’aime les esprits de second ordre (Joubert, entre tous) qui, par délicatesse, vécurent à l’ombre du génie des autres et, craignant d’en avoir, se refusèrent au leur !
L’histoire des idées est l’histoire de la rancune des solitaires.
Rater sa vie, c’est accéder à la poésie — sans le support du talent.
Ne cultivent l’aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots.
Cioran, Syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 169, 170, 170, 172, 173.
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