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22/03/2022

Mina Loy, Manifeste féministe et écrits modernistes : recension

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L’œuvre de Mina Loy (1882-1966 reste méconnue, peut-être, suggère Olivier Apert, qui la traduit depuis une vingtaine d’années, « contribua [-t-elle] à ce silence en s’effaçant peu à peu de la vie publique à partir de 1936 (à New York) puis en s’installant à Aspen, Colorado, en 1953 ». Ce retrait suit une participation, active aux avant-gardes de son époque, du futurisme italien au surréalisme — elle est photographiée aux côtés de Man Ray, Tristan Tzara, Ezra Pound, elle a connu Joyce, etc. Liliane Giraudon, dans sa postface, rappelle que Mina Loy eut comme « protectrices et proches amies de nombreuses femmes inséparables des mouvements d’avant-garde mais souvent aussi du milieu lesbien » ; elle les connut aux États-Unis et à Paris, de Gertrude Stein et Djuna Barnes à Adrienne Monnier et Colette. Apert a rassemblé des textes brefs écrits entre 1914 et 1919, comme le Manifeste féministe, daté de 1914 qui ouvre le livre.

Les revendications des féministes au début du XXème siècle, le droit de vote et l’égalité homme-femme, apparaissent insuffisantes à Mina Loy, donc dérisoires : il faut selon elle un « arrachement », une rupture complète par rapport au passé, au « monceau d’ordures de la tradition ». Elle dénonce dans son manifeste l’illusion d’une égalité strictement économique par l’accession des femmes aux mêmes postes que les hommes. Elle refuse totalement de calquer le devenir de la femme sur le statut de l’homme ; ce qui serait positif pour la femme n’est pas dans l’imitation de l’homme, d’où l’injonction : « cherchez au-dedans de vous-mêmes pour découvrir ce que vous êtes ».

Mina Loy s’élève aussi contre la division mère/maîtresse (cf. la Maman et la Putain), toute femme étant une. Provocatrice même aux yeux des féministes, pour défaire cette idée de la « valeur » de la virginité, elle propose une défloration chirurgicale à la puberté. On entend aujourd’hui la force politique de l’idée, comme le souligne justement Liliane Giraudon, quand on pense au statut des femmes à Kaboul et qu’est revenue en France « la mode des tenues nuptiales ». On comprend que Mina Loy considère le mariage comme un marché dont la femme retire peu d’avantages ; puisque s’y refuser, c’est renoncer « au droit à la maternité », il faudrait que la conception n’implique pas le commerce qu’est le mariage. Par ailleurs, toute femme doit se convaincre « qu’il n’y a rien d’impur dans le sexe — à l’exception de l’attitude mentale le concernant ». En attendant des jours meilleurs, la femme doit rendre visible ce que la société lui attribue, la fragilité, mais tout en ayant « une volonté indomptable, un courage irréductible ».

Les aphorismes de Mina Loy ont le tranchant propre au genre. On y retrouve des principes affirmés dans son manifeste, comme « Oublie que tu vis dans des maisons, que tu pourrais vivre en toi-même — ». Sous des formes différentes, elle reprend ce qui constitue le noyau de sa pensée, la nécessité pour toute femme de « construire [s]a personnalité » et de l’affirmer, de ne jamais limiter sa recherche d’indépendance d’esprit. Les aphorismes sur le modernisme, moins nombreux, apparaissent plus radicaux, avec par exemple cette définition de la morale, « excuse pour assassiner le voisinage », et celle de l’ordre moral, « système destiné à simplifier la bureaucratie », Elle fait l’éloge des « anarchistes en art [qui] en sont les aristocrates immédiats ». S’interrogeant à propos de ce qui est apparent de la personnalité de chacun, elle écrit dans "Notes sur l’existence" qu’il s’agit d’une façade sociale, « un mannequin composé par hasard » ; il faut chercher sans cesse à devenir ce que l’on est, mais s’en approcher ne devrait pas faire oublier que « nous ne sommes qu’un édifice en ruine autour d’une exaltation éternelle ». S’il est nécessaire d’être toujours en éveil, il faut savoir que l’on retire peu, « La jeunesse est attente — l’âge, regret. Pour rien. » Il y a souvent un côté désabusé dans les réflexions de Mina Loy : ainsi, elle dont la vie amoureuse a été sereinement libre, écrit : « Chercher l’amour, et toutes ses catastrophes, est une expérience moins risquée que de le trouver »

On peut lire dans la pensée de Mina Loy une portée politique. On accepte, analyse-t-elle, de s’épuiser en travaillant et cela seulement pour maintenir notre organisme en vie ; elle voit dans ce fait une « Névrose cosmique, dont la Peur est le symptôme majeur ». C’est dire que la société est analysée à partir de critères psychologiques ; dans la relation Dominant/Dominé, la classe dominante est définie comme « un noyau psychologique qui, progressivement, absorbe tous les éléments qui lui ressemblent » ; changer la société pour construire une « Démocratie intrinsèque » exige donc d’« élucider la psychologie du Dominant à l’égard du Dominé ». Dans cette utopie, il est nécessaire de transformer la psychologie individuelle en orientant les forces propres à l’homme autrement : il s’agit de substituer l’héroïsme intellectuel à l’héroïsme physique. Ce serait, par l’éducation, le moyen de construire une société de citoyens libres et heureux puisque, par ailleurs, « La terre offre la surabondance à Tous ». Cependant, le hiatus entre l’artiste et le public semble difficilement franchissable : le premier voit toujours les choses pour la première fois, le second n’est satisfait que d’une œuvre comparable à d’autres déjà classées selon une échelle de valeurs.

On ne prétend pas que les textes de Mina Loy n’ont, comme on dit, "rien perdu de leur actualité". Certains autour de la psychologie, peu clairs, ne sont guère convaincants. Cependant, des questions qu’on imaginait neuves, reçoivent ici des réponses. On reprend volontiers le conseil de Liliane Giraudon : puisque les livres de Mina Loy sont disponibles*, « il nous faut entreprendre, inlassablement, de [les] déchiffrer.

 Mina Loy, Manifeste féministe et écrits modernistes, traduction et préface Olivier Apert, postface Liliane Giraudon, NOUS, 2022, 80 p., 10 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 15 février 2022.

 

* Olivier Apert a traduit depuis 2000 plusieurs livres de Mina Loy, dont Il n'est ni vie ni mort : Poésie complète, NOUS, 2017.

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