25/10/2018
Édith Azam, Le temps si long
Parfois ça nous reprend
ce drôle de sanglot
tout bas
qui nous secoue la cage.
On n’y cède pas
non
ce serait déjà
beaucoup trop
beaucoup trop
être soi-même.
Ce serait beaucoup trop
accepter d’écouter
ce que nous dit la vie
du vide tout autour.
Alors alors…
On ferme à double tour
le corps
sa tentative.
On devrait lâcher prise
on se crispe
le mou !
Édith Azam, Le temps si long,
Atelier de l’agneau, 2018, p. 46.
©Photo Chantal Tanet
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21/04/2018
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir
Des hommes dont le vent fait claquer le pardessus
Nos vies — mais nous n’en pleurons pas —
Sont comme ces cigarettes au hasard
Que, par les journées de tempêtes,
Les hommes allument en les protégeant du vent
D’un geste adroit de la main qui fait écran ;
Puis elles brûlent toutes seules aussi vite
Que s’aggravent les dettes qu’on ne peut pas payer,
Elles se fument si vite toutes seules
Qu’on a à peine le temps d’allumer
La vie suivante, qu’on espère mieux roulée
Que la première, et sans arrière-goût+
Au fond, elles n’ont pas de goût —
Et la plupart, on les jette au rebut..
Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction
J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La Différence,
1976, p. 81.
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10/01/2018
Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
je suis ce cours de sable qui glisse
entre le galet et la dune
la pluie d’été pleut sur ma vie
sur moi ma vie qui me fuit me poursuit
et finira le jour de son commencement
cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule
où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants
et vivrai le temps d’une porte
qui s’ouvre et se referme
Samuel Beckett, Poèmes , suivi de mirlitonnades,
Editions de Minuit, 1978, p. 22.
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02/12/2017
Valérie Rouzeau, Va où
Il faut m’arracher allumer d’une autre étoile de chance pas bêcheuse
Quitter ce jardin de palabres où pour un peu me serais crue sans savoir
ni quand ni comment ni bien quoi semer à tout vent
Croquemorte de moi-même quelle idée ici je rends mon tablier mon
houx ma haie ma mauvaise pioche
Je m’en vais trouver de la vie par tous les temps
Cela commence à présent je change lalalère change d’air là
Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu’il fait, 2002, p. 85.
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23/06/2017
Henri Thomas, La joie de cette vie
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages.
J’ai l’impression d’appartenir à ma vie plus que ma vie ne m’appartienne, qu’il lui reste peu de choses à faire pour m’avoir tout à fait. Je ne lui échapperai pas — mais ce ne sera pas moi, cette vie qui m’a eu.
Si la mort est la solution du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c’est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 22, 25, 29.
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11/05/2017
Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert
Pratiquer l’écriture c’est pratiquer, sur sa vie, une ouverture par laquelle la vie se fera texte. Le vocable est l’étape vers l’inconnu où l’esprit paiera le prix de sa témérité ; cet inconnu sans lequel la pensée ne serait qu’une pensée morte et jamais une pensée à mourir, au plus vif, au plus écartelé de sa mort.
Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 81.
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16/01/2017
Andrea Zanzotto, Vocatif, suivi de Surimpressions, traduction Philippe Di Meo
Vide des toiles d’araignée
par les fissures et les vallées,
vide de naissance et de sang.
De l’eau et quel verbe pierreux
tu déposes au pied de ces monts, de ces collines,
et quel vert sans pitié
vous révélez dans un feu
inégal et néfaste
ou — c’est égal — dans un feu
effilé, équilibré
contre le mur où je pleure ; et le mur s’élève
depuis la tête lasse
lasse de naître et de naître encore
dans l’atroce vie bourdonnante.
Andrea Zanzotto, Vocatif suivi de Surimpressions,
traduit de l’italien et présenté par Philippe Di Meo,
Maurice Nadeau, 2016, p. 79.
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27/12/2016
Eugène Savitzkaya, À la cyprine
Crosse de la fougère née de la décomposition du monde, volubilis issu des boues, âpre arum urticant, ortie comme bouclier, boucle du liseron se propageant selon le métré précis qu’indique l’amas des racines, et coiffant les buissons de cassis, enroulement et déroulement, vie après mort, mort après vie, semant, perdant, poussant contre les murs du vide et du néant et rompant la pierre comme pain sec
Eugène Savitzkaya, À la cyprine, les éditions de Minuit, 2015, p. 60.
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08/12/2016
Jean de Sponde, Œuvres littéraires
Qui sont, qui sont ceux-là, dont le cœur idolâtre,
Se jette aux pieds du Monde, et flatte ses honneurs ?
Et qui sont ces valets, et qui sont ces seigneurs ?
Et ces Ames d’Ébène, et ces Faces d’Albastre ?
Ces masques desguisez, dont la troupe folastre,
S’amuse à caresser je ne scay quels donneurs
De fumées de Court, et ces entrepreneurs
De vaincre encore le Ciel qu’ils ne peuvent combattre ?
Qui sont ces lovayeurs qui s’esloignent du Port ?
Hommagers à la vie, et félons à la Mort,
Dont l’estoille est leur Bien, le vent leur Fantasie ?
Je vogue en mesme mer, et craindroy de périr,
Si ce n’est que je scay que ceste mesme vie
N’est rien que le fanal qui me guide au mourir.
Jean de Sponde, Œuvres littéraires, édition Alan Boase,
Droz, 1978, p. 261.
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13/04/2016
Italo Svevo (1861-1928), Court voyage sentimental
La mère
En une vallée close par des collines boisées, souriante, sous les couleurs du printemps, deux vastes maisons à l’aspect sévère, pierre et chaux, se dressaient l’une à côté de l’autre. On les eût dites bâties de la même main, et les jardins mêmes, enclos par des haies vives, situés devant chacune d’elle, présentaient une dimension et une forme identiques. Pourtant, qui les habitait n’avait pas le même destin.
Dans l’un des jardins, tandis que le chien enchaîné dormait et que la paysan s’affairait au verger, en un recoin, à l’écart, des poussins parlaient de leurs grandes expériences. Il s’en trouvait d’autres dans le jardin, leurs aînés, mais les plus petits, dont le corps gardait encore la forme de l’œuf d’où ils étaient sortis, se plaisaient à examiner entre eux la vie qui leur était échue : ils n’en avaient pas une telle habitude qu’ils ne pussent la voir. Ils avaient déjà éprouvé joies et souffrances car la vie de quelques jours est plus longue qu’elle ne paraît à ceux qui la subirent des années durant ; et ils en savaient long, vu qu’une part de cette grande expérience, ils l’apportaient avec eux au sortir de l’œuf. En effet, à peine avaient-ils ouvert les yeux à la lumière qu’ils avaient su qu’on devait examiner attentivement les choses, d’abord avec un œil, puis avec l’autre pour voir si on pouvait les manger ou si l’on devait s’en méfier.
[...]
Italo Svevo, Court voyage sentimental et autres récits, traduction de l’italien par Jean-Noël Schifano pour cette nouvelle, Gallimard, 1978, p. 83-84.
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18/03/2016
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
Sans amour
L’amour n’a pas peur de moi
Je lui donne ses régals,
de ma vie tout ce qu’il veut.
Je lui fais seule demande :
qu’il ait pitié, qu’il ne m’oublie.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis,
Poésie / Galliamrd, 1962, p. 171.
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11/11/2015
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
Llanover-Blaenavon
Aucun hasard ne conduit de Llanover à Blaenavon, même si la route n’est large que d’une voiture : j’ai de quoi m’y tenir. Les taillis laissent voir, par-dessus eux, la colline qu’il faudra franchir, alors que rien ne le donne à prévoir, sinon ce que j’en sais, parce que nulle route n’est visible d’ici, mais des fermes, des maisons, que je suppose être des fermes pour exister, dans cette espèce de réclusion ou de confinement, c’est difficile à dire lorsqu’on
n’est pas habitué à cette vie-là, c’est-à-dire quand on est habitué à une autre vie, si c’était possible de dire qu’il y a des vies différentes, ou qui devient possible à ce moment que j’en prends conscience, le désir profond de m’enterrer là comme si cela pouvait servir d’éternité dont la vision, pourtant menée même par les landes les plus décharnées et les plus abouties, ne peut être soupçonnée, tant il n’est rien qui ne puisse dire rien. [...]
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, décembre 2014, p. 3-4.
Cet appel s’adresse aux membres de RESF mais aussi aux sympathisant-es ainsi qu’aux citoyen-nes soucieux de justice et de démocratie.
Nous attendons aussi des réactions des élu-es et responsables politiques.
Merci de diffuser.
Réservons en priorité absolue la date du
vendredi 18 décembre, à 13h30, au tribunal de Grasse.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il est interdit de manifester sa solidarité avec les réfugiés ??!!
En juillet dernier, l’une de nous, Claire Marsol, a accompagné à la gare d’Antibes, 2 jeunes réfugiés (parmi tous ceux que nous essayons d’aider à la frontière italienne).
Elle a été arrêtée, mise en GAV, perquisition de son domicile, menottée, « conseils » biaisés de la police.
Elle passe au tribunal de Grasse le 18 dec à 13h30.
C'est quand même beaucoup pour une simple retraitée de l’Éducation Nationale qui, comme nous toutes et tous, a agi dans le cadre des activités de nos associations :
manifester sa solidarité envers des réfugiés victimes des guerres, de persécutions et de dictateurs sanguinaires.
La manœuvre d'intimidation est évidente.
Que cherche ce gouvernement ? Tenter, en vain, de museler la solidarité exprimée par de nombreuses associations, citoyens et citoyennes, envers les réfugiés ?
Avec un collectif d’organisations de défense des droits humains,
nous sommes en train d’organiser une grande mobilisation locale mais aussi nationale
en plusieurs temps et lieux.
Tenez-vous prêt-es à réagir rapidement aux appels qui vont vous parvenir.
Et faites le maximum pour diffuser autour de vous et vous libérer pour être à Grasse le 18 décembre.
Toutes et tous avec Claire !
Il n'y a pas que Claire !
Nous aussi, nous avons aidé des réfugié-es : nous les avons renseignés ou nourris ou accompagnés ou soignés ou hébergés…
Evidemment, comme elle, sans contrepartie aucune !!! sinon le respect mutuel et le bonheur de voir le sourire retrouvé des enfants.
Tout cela au nom, selon les cas,
- De la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
- De la Convention Internationale des Droits de l'Enfant,
- Du respect de traditions familiales d'hospitalité,
- De la mise en pratique des valeurs de l'Evangile,
- De la conscience de l'égale dignité des êtres humains peuplant cette minuscule planète sans frontières visibles des confins de la galaxie...
Devons-nous nous dénoncer nous-mêmes au Procureur de la République ?
Sinon, il pourrait nous inculper de non assistance à personne en danger !!!
http://www.educationsansfrontieres.org/
Pour vous joindre à nous : Resf06@gmail.com
https://www.facebook.com/groups/239092159470486/
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18/08/2015
Cummings, 95 poèmes
72
je veux bien que la vie
ne vaille de mourir, si
(et quand) les roses se plaignant
que leurs beautés sont vaines
mais pour l’espèce humaine
juger toute mauvaise graine
une rose, les roses (j’en suis
sûr) aussitôt sourient
Cummings, 95 poèmes, traduit
et présenté par Jacques Demarcq,
Points/Seuil, 2006, p. 105.
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31/07/2015
Antonin Artaud, Lettre à personne
Lettre à personne
Cher Monsieur,
Je vous ai envoyé une suite de phrases tendues qui essayaient de se rapprocher de l’idée de suicide mais ne l’entamaient en réalité aucunement. La vérité est que je ne comprends pas le suicide. J’admets qu’on se sépare violemment de la vie, de cette espèce de promiscuité des choses avec l’essence de notre moi, mais le fait lui-même, le caractère aventuré de ce détachement m’échappe.
Depuis longtemps la mort ne m’intéresse pas. Je ne vois pas très bien ce que l’on peut détruire de conscient en soi : même en mourant volontairement. Il y a une irruption obligée de Dieu dans notre être qu’il faudrait détruire avec cet être, il y a tout ce qui touche cet être et qui est devenu partie intégrante de sa substance, et qui cependant ne mourra pas avec lui. Il y a cette contamination irréductible de la vie. Il y a cette invasion de la nature qui par un jeu de réflexes et de compromissions mystérieuses pénètre beaucoup mieux que nous-même jusqu’au principe de notre vie. De quelque côté que je regarde en moi-même, je sens qu’aucun de mes gestes, aucune de mes pensées ne m’appartient.
Je ne sens la vie qu’avec un retard qui me la rend désespérément virtuelle.
[...]
(1946)
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I**, Gallimard, 1976, p. 55.
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26/07/2015
Georges Perros, Papier collés, notes
La terre est belle. Le visage de l’homme parfois proche de l’idée qu’on se fait d’un Dieu à notre image. Et malgré tout ce bonheur qui nous entoure, qui nous fait signe, quelqu’un, un jour, a osé parler du courage de vivre. Quelqu’un, un jour, s’est suicidé. Les plus grandes têtes ont répondu non au questionnaire suprême. Pas un homme, peut-être, depuis toujours, pas un homme prêt à recommencer sa vie. La mort effraie, et presque tous les hommes s’en vont sans cris, sans larmes, sans terreur. Tous les charmes que dispensent l’écoulement des jours, et les jeux proposés ici-bas, rien ne résiste à l’ennui, à la fatigue, à l’usure de notre sensibilité. Le temps d’aménager en hâte notre intérieur, et déjà la cloche sonne. Il faut partir. Tout laisser, tout perdre, cette femme que l’on a aimée, cette nature qui nous a bouleversé. Comment ne pas comprendre les milliers d’à quoi bon qui éclatent et s’évaporent dans l’indifférence de l’espace. À quel degré de chaleur, de souffrance, de déchirement, l’à quoi bon lui-même s’annule-t-il, laissant son homme sans autre ressource que celle de vivre sous ses ruines et ne plus trouver force que dans sa respiration, dans sa présence même ?
Georges Perros, Papiers collés, Le Chemin, Gallimard, 1960, p. 28-29.
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