26/06/2021
Georges Perros, Une vie ordinaire
Il faut beaucoup d’indifférence
ou d’amour c’est selon les goûts
pour résister à ce que l’on trouve
aimable un jour un autre non
et que revient comme rengaine
ce même amour mêlé de haine
Mais l’amour a le dernier mot
pourvu qu’on fasse acte d’absence
quoique présent Ainsi les choses
arbres ciel mer pavés des rues
se foutent de nous comme peu
d’êtres sont capables de faire
et si vous vous mettez dessus
le nez en état touristique
elles font le paon
J’aimerais
vivre ici dit la jouvencelle
Quand la retraite aura sonné
aux flambeaux de nos deux pantoufles
lui répond son urbain mari
qui a d’autres chats à fouetter
que ceux qu’on rencontre la nuit
faisant l’amour dans la nature
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.
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25/06/2021
Georges Perros, Huit poèmes, dans Œuvres
Huit poèmes, III
Si mon discours vous paraît triste
Ou dérisoire ou rien du tout
— On dit que je suis pessimiste
Mais non, cherchez un autre clou —
Descendez un peu sur la grève
La mouette y jette son cri
Puis reprend l’envol de son rêve
Immobile. Je suis ainsi.
On a beau me faire morsure
Profonde, terrible à subir
Je vais chercher de la sciure
Boucher de mon propre soupir,
La sème, afin qu’à nouveau luise
L’aube prochaine, et sa surprise.
Georges Perros, Œuvres, édition Thierry
Gillybœuf, Quarto/Gallimard, 2017, p . 1082.
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24/06/2021
Cole Swensen, Poèmes à pied
(Thoreau)
(...)
Ainsi les arbres vivent pour toujours
un ami de quiconque
est aussi un ami à tes côtés
un arbre révèle
au long de ses marches quotidiennes
de plus âpres voyages
comme la présence
a toujours été
plus intrusive que le sens
et ainsi
un paysage en sa persévérance
est un déploiement sans mesure, permettant
un assaut de lumière renouvelée
par un après-midi qui mène à un autre
et que celui-ci quelque part achève
Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain
Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.
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23/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
que la ville au soleil s’éveille ou se rendorme
on entend sur les seuils les ombres des défunts
timides murmurer que la beauté des mortes
comme la dentelle est dans la graine du lin
nous ne saurons jamais de quels cris étouffés
nous naissons à la mort dans nos rêves de lymphes
ou de quels souvenirs nos lendemains sont faits
ni de quels crimes nos mains nues gardent l’empreinte
et saurons-nous jamais quel souffle nous emporte
ou quel trouble désir de futures étreintes
mènent nos jours éteints vers des nuits où les mortes
infidèles sans fin vivent leurs amours feintes
(lisant joubert)
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,
La Table ronde, 2012, p. 773 .
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22/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
le mal des anges
un jour je suis parti
pour ne plus revenir
les gendarmes m’ont pris
et je suis revenu
une autre jour encore
plus tard un vingt octobre
j’ai descendu la Meuse
le vieux fleuve impassible
et j’ai quitté ses rives
pour les rives du Rhin
et le bac du passeur
qui n’avait pas de chien
car ce n’était pas l’heure
de la dernière obole
mais celle d’un ailleurs
magique et sans école
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,
La Table ronde, 2012, p. 293.
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21/06/2021
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique
Paysages, 2
le pays que j’habite est un pays perdu
comme tous les pays que le siècle déserte
avec les vieux clochers les murs qui se délabrent
et les pommiers tordus redevenus sauvages
l’horloge s’est arrêtée les chemins ne vont plus
aux granges que l’oubli dans le silence étreint
cependant nous marchions (dis-tu) dans le matin
quand au. bord des étangs rêvaient les fiancées
mais cela n’eut pas lieu qui nous était promis
ce bonheur ces baisers la tiédeur des fruits mûrs
et le grand ciel flambant des étés revenus
voici nos souvenirs au pied des arbres nus
Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique, La Table ronde, 2009, p. 701.
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20/06/2021
Étienne Faure, Penchants aux fenêtres
L’été, fenêtre ouverte, nous voyageons avec les avions
qui s’en vont, quittant le territoire en vrombissant
comme soulevés d’un destin trop lourd — deux août,
même chaleur anniversaire qui jour pour jour
avait saisi les aïeux de fureur
dans la mobilisation des corps soudain
suspendus à des déclarations d’amour, non, de guerre,
peaux empourprées aux moindres caresses,
une dernière fois sous le soleil posant
la tête sur la patrie qu’est la poitrine
à susurrer ça va vous coûter cher., l’amant, autant dire
la vie, moissons défaites, toutes faux passées
et des poèmes écrits à la dernière minute
dans la poussière de l’été, cette saison
à jamais révolue, enfermée dans le passé
d’un mot qui ce jour-là aura
été, à Paris maintenant démobilisé
énième deux août à Paris
Étienne Faure, Penchants aux fenêtres, dans
Contre-Allées, N° 43, printemps 2021, p. 8
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19/06/2021
Isabelle Lévesque, en découdre
Demain départ
Demain, terre où les graines avivent les sons. Toute ordonnance sillonne et attache l’écorce brune que nous soulevons. Un arbre de plus, et la route.
Demain je quitterai le point fixe de la branche, mon heure aura proscrit l »immobile. Nous ferons corps des nuages. Le chant vers l’ascension. Rien contre ? Tu ne peux retenir les sons, leur écho dissout le temps. Inévitablement.
Sans qu’une faille présume du sort.
Isabelle Lévesque, en découdre, L’herbe qui tremble, 2021, p. 25.
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18/06/2021
Jean de La Fontaine, Le vieux Chat et la jeune Souris
Le vieux Chat et la jeune Souris
Une jeune Souris de peu d’expérience
Crut fléchir un vieux Chat implorant sa clémence,
Et payant de raison le Raminogrobis :
Laissez-moi vivre : une Souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?
Affamerais-je, à votre avis,
L’Hôte et l’Hôtesse, et tout leur monde ?
D’un grain de blé je me nourris ;
Une noix me rend toute ronde.
À présent je suis maigre ; attendez quelque temps
Réservez ce repas à Messieurs vos Enfants.
Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.
L’autre lui dit ; Tu t’es trompée.
Est-ce à moi que l’on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat et vieux pardonner ? cela n’arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,
Meurs, et va-t’en tout de ce pas
Haranguer les sœurs Filandières.
Mes Enfants trouveront assez d’autres repas.
Il tint parole ; et pour ma fable,
Voici le sens moral qui peut y convenir :
La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir.
La vieillesse est impitoyable.
La Fontaine, Fables, 12, V, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 771.
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16/06/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
La peau des dieux
Le temps est un puits profond profond
Où l’on se jette corps et âme l’eau noir
Ressemble à la nuit ô ciels nocturnes
L’onde est sans espoir mais il faut toujours
Vivre je dérive en barque comme sur une mer
Azurée les vagues des gloires passées rafraîchissent
Mon torse mes membres mon visage je plonge nu
Et savoure la nage l’embrun qui m’enrobe sont
La peau des dieux je m’étends sous un soleil
Aux rayons capiteux je m’étire je prends des teintes
Chaudes d’or fondu j’ouvre en grand ma bouche
Je me frotte à l’infini ah l’infini vieille lune
Paumée qui me rire avec ses guenilles
D’étoiles j’attends des fontaines d’eau fraîche
Des pains dorés des pousses de blé vert
Des oranges des citrons mûrs des olives
J’attends le jour qui éponge la sueur glacée
De mon front pour lui sussurer un avenir
Radieux où le corps respire le soleil
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits, Gallimard,
2021, p. 48.
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15/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Dans cette maison pleine d’affection
ignorant l’hiver
le décorticage du riz, un bruit de grêle
Oreiller d’herbes —
est-il triste trempé par l’averse d’hiver
ce chien hurlant à la nuit ?
Neige sur neige —
ah ! cette lumière de décembre,
celle de la lune claire
Errant comme un corbeau —
les pruniers en pleine floraison
comme autrefois
Sur le chemin montagneux
une violette me fascine
sans raison
Bashô, Seigneur ermite, traduction Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 104,111,112, 118, 121.
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14/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Regagnant la côte sur une feuille, le petit insecte où dort-il ?
Denuit sous la lune un ver secrètement creuse une châtaigne
Pareils aux herbes de pampas les épis de blé invitent-ils les coucous dans le vent ?
Que les couvertures superposées sont lourdes ! il doit neiger ce soir dans un lointain pays de montagne.
Poètes élus par les cris des singes, entendez-vous l’enfant abandonné dans le vent d’automne ?
Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Keemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 79, 79, 85, 94, 99.
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13/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Amoureux mélancoliques —
l’éclosion des fleurs
dans le champ hivernal
Contemplant les fleurs sans lassitude
mon carnet de haïkus
rarement sorti du sac
Lee vent souffle
— le cerisier sauvage a l’air d’un chien
remuant la queue
Revenant au pays natal
— à cent lieues sous les nuages
profitant de la fraîcheur
Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 44, 47, 49, 51, 62.
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12/06/2021
Marie de Quatrebarbes, Les vivres
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Si je conjugue ces moments hors de moi passés si loin de toi avec ce loin qui est « je vois » et toi qui est « si loin de moi », plus ces moments-)là sont lointains plus ils existent en dehors de moi, mieux je les sens. Comme parfois je te sens vivante, je te cueille et j’en ai plein les poches. Ce serait une belle idée de remplir nos poches de toutes les présences qu’on aurait connues pour les retrouver. Et quand je marche avec au-devant, toi, quand je marche aveuglément, empéguée dans mon ombre qui est mon projet, aveugle et aveuglée, les papiers collent à ma marche et crépitent au fond de mes poches. Mais moi, ça ne me dérange pas, tu sais, quand quelque chose s’échappe de mes poches avec ton rire qui vient vers moi.
Marie de Quatrebarbes, Les vivres, PO.L, 2021, p. 65.
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11/06/2021
Bashô, Friches (2)
À l’ombre des fleurs
la nuit passée en voyage
évoque le chant
D’herbes l’appuie-tête
trempé par l’averse un chien
hurle dans la nuit
En voyage donc
j’aurai vu de ce bas monde
le grand nettoyage
De mes père et mère
le souvenir m’envahit
au cri du faisan
Ah le pays natal
sur mon cordon ombilical je pleure
au déclin de l’an
Bashô, Friches (2), traduction René Sieffert, Presses orientalistes de France, 1992, p. 51, 61, 65, 67, 73.
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