13/07/2021
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood
Ce que le cœur reconnaît, la raison le nie.
Un rêve, mais est-il rien de plus réel qu’un rêve ?
Faut-il se résigner à vivre sans rêver
Que l’enfant aimantée vers ses lieux familiers
Vient dans ce jardin de roses, et chaque nuit
Revient remplir la chambre de sa flamme candide
Qu’elle nous tend comme une offrande et une prière ?
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, Fata Morgana, 1988, p.13.
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12/07/2021
Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud
Celui qui a vidé sa conscience de tous les images de notre faux monde qui n’est pas un vase clos peut attirer en lui, happées par la succion du vide, d’autres images venues hors de l’espace où l’on respire et du temps où le cœur bat, souvenirs immémoriaux ou prophéties fulgurantes, qu’il atteindra par une chasse d’angoisse froide. En un instant l’univers de son corps est mort pour lui : je n’ai jamais pu crfoire quand je fermais les yeux que tout restait en place. Je ferme les yeux. C’est la fin du monde. Il ouvre les yeux. Et quand tout fut détruit, tout était encore en place, mais l’éclairage avait changé. Quel silence, bon dieu, quel silence.
Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud, Lurlure, 2021, p.30.
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10/07/2021
Christian Prigent, Chino au jardin
[Chino] monte et descend le long de son jardin comme un élastique énervé avec des pétarades de pancartes à la mitraillette :
Toute l’écriture
est de la cochonnerie
ou
La poésie : merde pour ce mot
ou
Poésie ?
La Haine !
ou
La poésie ?
Inadmissible !
*d’ailleurs n’existe pas !
On n’y co :=prend rien si on n’est pas du coin. Passe ton chemin, touriste au doigt vissé à la tempe ! Si tu lèves le nez vers le bleu du ciel, tu verras circuler dans les courants oscillants quelques parapentistes impatients. Ils attendent een tournicotant qu’on débarrasse le plancher pour atterrir les pieds dans le plat. À moi Antonin ! Francis ! Georges ! Denis ! appelle d’en bas époumoné d’extase de midinet Chino. Qu’on égaille un peu les familles classées par affinités qui patouillent la vase poétiquement dans des crottes de vers ! Et sans transition, il va au-devant d’une petite troupe gaie qui se tord les pieds dans le cailloutis. Car entre les bruyères qui crient les voici ! et les tamaris qui pleurent que tant pis ! s’amènent échevelée de coiffures christiques la clique aux flancs creux en pétard contre tout et rien dont le capital exploiteur du monde, les cloches de Sorbonne qui tout amochissent et la poésie perte de la pensée.
Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 214-216.
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09/07/2021
Christian Prigent, Chino au jardin
Mais pressons pressons. Déjà cent étoiles au ciel. Prends ton chapeau, mets tes bretelles : si tu rates la messe, la soupe après c’est pas l’oignon, c’est la grimace. On se précipite, pite, patte, deux pattes quatre à quatre au trot toutes jambes caro cari cara caracole hop là au galop. Qui botte en tra tra versant cataclop le carré tchouc tchouc aux choux tagada le cul de qui qui encombre ? GM, de Ki, le chien qu’a un œil qui dit kaoc’h à l’autre. S’il en avait deux qui diraient merde, ce serait Kiki. Avait qu’à pas japper beurton en large sur le seuil en plus d’aboyer chinot en long dans l’allée : va voir si y a pas du lapin ailleurs dans les Pointus d’Hiver.
Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 175.
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08/07/2021
Jude Stéfan, Faux journal
« Revu à la télévision... », tel est le style insupportable du journal intime, quand le seul intéressé note pour les autres ce qui ne concerne que lui-même (« revu X qui m’a paru bien changé, rencontré Z à la réception, etc.) Comment se croire intéressant à ce point ? Toute la suffisance est dans cet aveu : vu, lu, observé, entendu — participe passé qu’on essaie de rendre présent, durable à la lecture, redoublement narcissique de soi, non content d’avoir vécu la minute, il faut la répéter, la reprendre, l’embellir, en faire du roman sans l’insolence de ce genre avoué, au contraire dissimulé sous des apparences de simples notations. Entrer dans l’intimité de qui que ce soit, quelle turpitude !
Jude Stéfan, Faux journal, le temps qu’il fait, 1986, p. 14. Photo T. Hordé, 2012
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07/07/2021
André Spire, Poèmes juifs
Jardins
Jardins, jardins, comme j’aimerais
Vos calmes ordonnances,
Si derrière vos arbres taillés je ne sentais
Comme une absence, une éternelle absence.
Si, sans cesse, vos fleurs ne me disaient : Va t’en !
Il y a un désert au pied d’une montagne
Cherche, sans l’y trouver, une voix qui te parle,
Au milieu des épines, dans un buisson ardent. »
André Spire, Poèmes juifs, Albin Michel, 2020 (1908), p. 73.
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06/07/2021
Jean Paulhan, Les Causes célèbres
Les Passagers
Le mendiant vient chanter vers onze heures et ma mère dit : « Comme sa musique est triste aujourd’hui ». _ Non, la chanson n’était pas triste, mais insaisissable ; ce mendiant, qui s’entêtait à chanter, n’avait pas de voix.
Un peu plus tard, elle nous dit : « Je plains ceux qui meurent ces jours-ci, ils ne verront pas la fin de la guerre. » Elle ajouta pour nous rassurer : « Oh, ce n’est pas à moi que je pense », et tomba dans cet état de distraction, où le malade ne souffre aucun des soins qu’on est forcé de lui rendre mais demande du linge propre, et prie qu’on lui ôte sa bague du doigt. Elle nous regarda patiemment. Il nous sembla qu’elle ne parlerait plus.
Elle renonça, quelques instants plus tard, à se parler à elle-même ; sa figure fut agitée d’un tic, puis labourée d’une respiration puissante, qu’avait-elle besoin de tant d’air ? Dans la soirée, je l’embrassais encore, sans que son front ni ses mains prissent sous mes lèvres, ne fût-ce qu’un semblant de chaleur. Puis son nez se pinça, et sa bouche fit une moue un peu rêche. Moi, je tâchais de me la rappeler aux moments de fâcherie. Mais je n’en retrouvai pas.
Jean Paulhan, Les Causes célèbres, dans Œuvres Complètes, I, Récits, Gallimard, 2006, p. 313.
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04/07/2021
Jean Genet, La Galère
La Galère
Un forçat délivré dur et féroce lance
Un chiourme dans le pré mais d’une fleur de lance
Le marlou Croix du Sud l’assassin Pôle Nord
Aux oreilles d’un autre ôte ses boucles d’or.
Les plus beaux sont fleuris d’étranges maladies.
Leur croupe de guitare éclate en mélodies.
L’écume de la mer nous mouille de crachats.
On parle de me battre et j’écoute vos coups.
Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?
Harcamone aux bras verts haute reine qui vole
Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés
Par l’horreur de son nom ce bagnard endeuillé
Sur ma galère chante et son chant me désole.
Jean Genet, La Galère, dans Le condamné à mort, l’Arbalète, 1958, p. 51.
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03/07/2021
Jean Genet, Un captif amoureux
La télévision allemande nous montra cette image de Mitterand aux obsèques de Sadate : ses gardes du corps le protégeaient de si près dans son étui-cotte de mailles, qu’il fut plus porté par ses gardes que protégé si bien qu’il semblait se déplacer sans marcher, soit soutenu par les gardes, soit avançant en glissant les pieds chaussés de deux patins à roulettes ou d’une planche à roues mobiles, un jeu que les enfants ont parfaitement dompté, à quoi jouait peut-être le président de la République des Français, mais d’un jeu supérieur en quelque sorte, la rapidité des gosses, leurs trajectoires soudain différées, leur élégance, car je dois écrire ce mot, avaient été remplacées pour le haut dignitaire de qui je parle par une solennelle et farceuse lenteur.
Jean Genet, Un captif amoureux, Gallimard, 1986, p. 343-344.
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02/07/2021
Jean Genet, L'Ennemi déclaré
Le plus important, ce qui était le plus important pour moi, je l’ai mis dans mes livres. Pas parce que je parle à la première personne ; le ‘’je » » dans ce cas-là n’est pas autre chose qu’un personnage un peu magnifié.
Je suis plus proche de ce que j’ai écrit parce que vraiment, je l’ai écrit en prison, et j’étais persuadé que je ne sortirai pas de prison.
Pourquoi j’aimais de retourner en prison, je vais essayer de vous donner une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, je ne sais pas. J’ai l’ompression que vers la trentaine, trente trente-cinq ans, j’avais, en quelque sorte, épuisé le charme érotique des prisons, des prisons pour hommes, bien sûr, et si j’ai toujours aimé l’ombre, même gosse, je l’ai aimé peut-être jusqu’à aller en prison. Je ne vais pas dire que j’ai commis les vols pour aller en prison, bien sûr, je les ai commis pour bouffer. Mais enfin, ça me conduisait peut-être intuitivement vers l’ombre, vers la prison.
Jean Genet, Entretien avec Antoine Bourseiller, dans L’Ennemi déclaré, Gallimard, 1991, p. 217-218.
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01/07/2021
Jean Genet, Le secret de Rembrandt
Sauf Titus — c’est son fils — souriant, pas un visage qui soit serein. Tous semblent contenir un drame extrêmement lourd, épais. Les personnages, presque toujours, par leurs attitudes ramassées, rassemblées, sont comme une tornade pendant une seconde tenue en respect. Ils contiennent un destin très dense, exactement évalué par eux, et que, d’un moment à l’autre, ils vont « agir » jusqu’au bout. Tandis que le drame de Rembrandt semble n’être que son regard sur le monde. Il veut savoir de quoi il retourne, pour s’en délivrer. Ses figures, toutes, connaissent l’existence d’une blessure, et elles s’y réfugient. Rembrandt sait qu’il est blessé, mais il veut guérir. D’où cette impression de vulnérabilité quand nous regardons ses autoportraits et l’impression de force confiante quand nous sommes en face des autres tableaux.
Jean Genet, Le secret de Rembrandt, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 33.
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30/06/2021
Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...
C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.
Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.
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29/06/2021
Jean Genet, L'étrange mot d'...
Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.
Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.
Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.
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28/06/2021
Kafka, Journaux
Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)
Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.
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27/06/2021
Kafka, Journaux
Il est certain que le dimanche ne me sera jamais plus utile qu’un jour de semaine, car la disposition particulière des heures renverse et brouille toutes mes habitudes et j’ai besoin de temps libre en excédent pour m’organiser un tant soit peu dans ce jour particulier.
Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 257.
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