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10/06/2021

Bashô, Jours d'hiver

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De notre malheur

ne résoudra le mystère

le chant du coucou

 

Jusqu’aux fleurs des champs

butine le papillon

aux ailes froissées

 

De la creuse cigale

d’automne le cri sans voix

s’élève en silence

 

Ne pouvant la couvrit

elle fait tomber la lune

l’averse d’hiver

 

Joyeusement

gazouille l’alouette

tire-lire-li

 

Bashô, Jours d’hiver, traduction

René Sieffert, Presses orientalistes

de France, 1987, p. 21, 25, 33, 37, 41.

09/06/2021

Bashô, Friches (2)

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La bise un instant

retient son souffle et c’est

le petit printemps

 

Le soleil couchant

qui tremble à l’horizon

fait mal à la tête

 

Quand souffle la bise

ramasseur d’aiguilles de pin

lui tient compagnie

 

Au vent du printemps

la ceinture relâchée

visage ensommeillé

 

Moustiques de la chambre

à la fumée des offrandes

tous s’en sont allés

 

Bashô, Friches (2), traduction René Sieffert,

presses orientalistes de France, 1992, p. 21, 23, 25, 27, 29.

08/06/2021

Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï

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Un court moment

S’attarde sur les fleurs

Le clair de lune

 

Bruit d’étourneaux

Du micocoulier tombent des fruits

Tempête du matin

 

Viens me voir ici

De sous la magnanerie

Une voix de crapaud

 

Dans la nuit sombre

À la recherche de son nid

Le pluvier pleure

 

Les rossignols

De derrière les saules

De devant les broussailles

 

Matsuo Bashô,  Cent cinq haïkaï,

traduction Koumiko Muraoka et

Fouad El-Etr, La Délirante, 1979, np.

07/06/2021

Esther Tellermann, Un versant l'autre

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(...)

Jadis très loin

furent

     des voilures

     des myrtilles

     et le câprier

même crête du monde

qu’un été brûle

même ambre

     qui vous enferme

Poème creusait

chaque interstice

     où vinrent

la lettre

et la blessure

(...) 

Esrher Tellermann, Un versant

l’autre, Flammarion, 2019, p. 62.

06/06/2021

Mariella Mehr, Arrivée, mais où ?

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Arrivée, mais où ?

Aucun phare ne signale l’endroit.

 

De loin l’appel des marées rengaine

rythmée, tels des feux de joie

salamandrins dans la nuit.

 

Un poisson me happe,

écorche ce qui me restait du jour.

Le déchiquète, mâche

et le recrache intact dans le vent,

 

comme si j’étais le cœur de Prométhée

et lui, l’aigle éternel des Dieux.

 

Devant la mort je passe,

trop hardiment me semble-t-il,

car la voici qui rit, qui rit

en jouant sur sa flûte

la mélodie de mort.

 

Et toi, époque démontée,

où me fais-tu échouer ?

 

Quelques instants

fatals plus tôt,

tu la sais, la vie

m’attend encore et

un lumineux bourgeon soleil.

 

Mariella Mehr, traduction de l’allemand

Camille Luscher, dans la revue de belles-lettres

2020, 1-2, p. 37.

05/06/2021

Christine Lavant, « Terre, si tu avais deux lèvres »

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          « Terre, si tu avais deux lèvres »

 

Terre, si tu avais deux lèvres 

et une langue, et une heure amicale,

voudrais-tu parler avec moi

même quand je piétine avec colère

mon chicot de raison parmi les flocons de n eige ?

Terre, pourrais-tu rire ?

Je me suis vantée des ton amitié,

Racontant que j’aime habiter près des racines,

Que je parle du temps avec les pierres

Et que, ton sang, je peux l’interpeller.

Mentir était comme ces maladies

qu’on attrape souvent avant les grandes pestes,

et mon cœur a toujours tout gobé de moi.

Maintenant le voilà pestiféré

qui ne sait plus rien que crier vers toi,

il ne veut pas mourir, ni dire à personne d’autre

ce qu’il mijote, ce qui le tourmente,

ni qui il voudrait bénir encore à la fin.

Terre, accepte ma langue,

de grâce, terre ­ et mes deux lèvres !

Viens me parler sous les flocons de neige

de la chaleur fidèle de l’amour.

 

Christine Lavant, traduction de l’allemand

Philippe Jaccottet, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 57.

04/06/2021

Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits

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Une ombre rêvant des dieux

 

Ô jour je soupire il n’est pas assez d’alléluias

De baisers au monde qui éclot blanc

Comme un cyclamen sauvage parlez-moi

Des jonquilles qui annoncent le printemps

La marche dans les prés est fleurie la luzerne

Mauve le crépuscule des coquelicots l’aube

Des pâquerettes et les blés agités de vent

Me font avancer en souriant je pose mes pas

Sur la terre pour louanger Cérès et Flore

Je rêve de leur carnet de bal suis-je le fiancé

D’une danse mes membres seront pétales

Pour les déesses et les dieux je vais pleurer

Des larmes de pollen doré comme la pisse

De Zeus qui féconde Danaé des gouttes

Perlent de mes sourcils l’ombre des chênes

Les parfums des sous-bois animent mes jambes

Mes bras les paroles de l’Olympe piquent le tain

Sombre de mes yeux ô miroirs adorés où se reflètent

L’argent des mots et l’alambic des espoirs raffinés

Je suis une ombre rêvant des dieux

 

Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits,

Gallimard, 2021, p. 31

03/06/2021

Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges, suivi de Autres stèles

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Georges Perros à Douarnenez

 

Papiers collés, décollés, rapiécés

avec du scotch, de la colle, papiers

mâchés, rongés, érodés, échancrés,

cousus paresseusement, tout cela finit

par faire un beau livre, Monsieur Perros,

un livre qu’on tient comme un galet

avec une main fraternelle.

 

Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges,

suivi de Autres stèles, Gallimard, 2021, p. 57.

02/06/2021

Olivier Domerg, Le Manscrit

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Curieusement, repartant de mes notes, que je mets au propre dans l’ordre où elles ont été prises, je revois et revis nos différents séjours ici et aux alentours du Puy. C’est une sensation curieuse, quelques années ou mois après, de se replonger dans le quotidien, les menus faits et gestes, les questionnements, les déplacements, les découvertes, de remettre ses pas dans ses pas ; de voir comment les éléments, presque fortuitement et parfois instinctivement, se mettent en place et se complètent ; d’assister aux avancées et reculs de ce qui prend souvent la forme d’un parcours ou d’une enquête.

 

Olivier Domerg, Le Manscrit, le corridor bleu, 2021, p. 99.

01/06/2021

Étienne Faure, Jours de repos

 

D’une ville arasée naguère, ce qui reste au sol,

toute hauteur perdue, c’est le socle,

fondation arrachée jamais

à la terre, empirique emprise

où la cité embryonnaire, aboutie, détruite

endure à présent la tracé des fleurs rudérales

au lieu des pas qui résonnèrent

sur la place herbue du théâtre — y jouaient

d’antiques tragédiens avançant pour dire

je suis ici ô dieu du temps qui fait tomber les pluies

désormais sur nos bras dressés pour quérir le ciel,

relier cette parole diluvienne à nos gestes

et trouver un terrain d’entente

pour nos vies, nos corps tandis que l’herbe

sous nos pieds repousse, herbe à chats,

vieux acteurs au soleil qui éloignent

tout ce qui ronge, les idées noires

entre les gradins.

 rêves de chats dans les gradins

 

Étienne Faure, Jours de repos, dans Europe, n° 1106-1107-1108, Juin-juillet-août 2021, p. 279.

31/05/2021

Cole Swensen, Poèmes à pied

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Une promenade le 17 mai

 

C’est une rue tranquille, étroite, une rue où s’alignent les boutiques et peu de monde pour le moment, une nuit où traîne encore une douce lumière et tout est calme.

 

Je marche vers l’est dans une rue tranquille, 21 h., et un jeune homme extrêmement bien habillé, et même élégant et très beau — à peine 40 ans, souriant, m’arrête, pensé-je, pour me demander son chemin, et me demande un peu d’argent.

 

La rue est calme. La nuit est encore douce, et il ne fait pas encore noir. 22h15 un homme promène son chat. Improbable je sais. Il le sait aussi. Mais ça semble une routine bien établie. L’homme va d’un côté. Le chat reste au coin ; l’homme revient, chuchote des « ici, ici », le chat va de l’autre côté, l’homme aussi. La rue est calme.

 

Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Cofrti, 2021, p. 19.

30/05/2021

Alexander Dickow, Déblais

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Écrire deux versions en deux langues d’un même poème, c’est donner à voir le désir, impossible à assouvir, de se rejoindre — de coïncider avec soi-même. Ou encore celui tout aussi hors de portée de se sentir définitivement à distance.

 

L’idée que la poésie doit exclure le narratif est aussi absurde que d’exclure l’exposition discursive du roman. Mallarmé rejette le narratif sous prétexte qu’il présente quelque chose comme un simulacre du réel. Mais la virtualité domine autant le narratif que les autres types de discours. La narration est un tissu de lacunes mouvantes ; c’est par ce jeu du vide est du plein qu’elle rejoint à la fois la poésie et le réel et il s’ensuit que la poésie est simulacre au même titre que la narration.

 

Alexander Dickow, Déblais, louise bottu, 2021, p. 23, 24.

29/05/2021

Alexan der Dickow, Déblais

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À ses débuts l’œuvre se fait aux dépens de la théorie et malgré elle. Avant l’écriture, la théorie n’est qu’une voix généralisante fausse, que l’œuvre a pour tâche (entre autres choses) de démentir. La théorie d’avant l’œuvre, c’est l’idée toute faite et déjà faite : et l’œuvre, si elle se fonde sur des idées constituées et entières, meurt en naissant. 

 

Le sens saisi d’abord correspond généralement à du connu, tandis que le sens neuf dépasse les routines programmées qui constituent la majorité de nos échanges sociaux et de nos réflexions de surface. D’habitude, nous suivons des saynètes déjà écrites, dans la vie comme en lisant. Il faut pourtant lire plus loin et vivre plus haut.

 

Alexander Dickow, Déblais, louise bottu, 2021, p. 9, 13.

28/05/2021

Gabrielle Althen, La fête invisible

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                  Un souffle a déplacé la limite du foyer  Rimbaud

 

   La tentation n’est guère ordinaire pour beaucoup de savoir que le monde est une chance. Je reconnais à notre décharge commune que les couleurs alentour rentaient plutôt leurs griffes. Elles s’étaient assoupies et, sans être mièvres pour autant, tiraient sur une sorte de gris malléable. J’avais déjà couché l’attelage du vent et décidai de suivre mon désir. Il faut savoir aussi que les grandes pentes décisives commencent à nos pieds. De fait, par-dessus ce précipice, une grande boule de joie ébouriffante se présentait. C’était une offre. C’était l’offre. « Montez vite, je vous prie, montez vite », ai-je eu le temps de crier à ceux qui préféraient l’ennui, mais ils aimaient mieux demeurer des badauds. La joie laissait s’échapper l’absolu de ses flammèches et le ciel pendre ses mains languides. Bientôt fut passé ce char de lumière et de vent. On ne vit plus qu’un fût de bois, crayon ou pilier de cathédrale, dressé tout seul, juste à côté. Il semblait toutefois fiable comme un ange et je compris qu’il avait servi de tuteur à mon désir. L’océan de la création soulevait ses montagnes, elles aussi malléables, et la vie, à tous, faisait signe d’entrer.

 

Gabrielle Althen, La fête invisible, Gallimard, 2021, p. 86.

27/05/2021

Gabrielle Althen, La fête invisible

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Dans le jardin qui enlaidit

La chose déjà fanée se pose et se repose

Chaleur avec amour

En qui jamais nous n’avons cru assez

Te dévisagent

L’été a dévasté les couleurs

La moelle en est blessée

Aller suffit

Office de vie

Boire avive la flèche de la soif !

 

Gabrielle Althen, La fête invisible,

Gallimard, 2021, p. 27.