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19/07/2021

Samuel Beckett, mirlitonnades

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samedi répit

plus rire

depuis minuit

jusqu’à minuit

pas pleurer

 

        *

 

chaque jour envie

d’être un jour en vie

non certes sans regret

un jour d’être né

 

         *

 

rien nul

n’aura été

pour rien

tant été

rien

nul

 

Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)

mirlitonnades, éditions de Minuit

1978, p.37, 37, 38.

18/07/2021

Samuel Beckett, mirlitonnades

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en face

le pire jusqu’à ce

qu’il fasse rire

        *

rentrer

à la nuit

au logis

allumer

 

éteindre voir

la nuit voir

collé à la vitre

le visage

 

       *

somme toute

tout compte fait

un quart de milliasse

de quarts d’heure

sans compter

les temps morts

        

           *

 

fin fond du néant

au bout de quelle guette

l’œil crut entrevoir

remuer faiblement

la tête le calma disant

ce ne fut que dans ta tête

 

Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)

mirlitonnades, éditions de Minuit,

1978, p. 33-34.

 

17/07/2021

Emmanuel Fournier, Tactacus infinitivo-poeticus

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                         s’être longtemps trompé en croyant

                         ne pouvoir avancer qu’en nommant

 

s’abstenir d’habiter

s’abstenir de nommer

 

sembler manquer

sembler avoir à compléter

à substantiver à qualifier à dire

 

et compléter

et succomber à maîtriser

 

Emmanuel Fournier, Tractacus infinitivo-poeticus, Éric Pesty éditeur, 2021, np.

16/07/2021

James Sacré, Broussaille de bleus

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           Fontaine de mémoire

 

Une fontaine fait son bruit de fontaine

Donne son eau claire

Au silence des buissons, on ne sait plus

Si le jour est grand bleu ou larges avancées de nuées

Tout s’efface ou brille un peu

Parmi des débris de mémoire.

 

Des pays traversés s’emmêlent

En quelques mots familiers qui furent

Ceux donnés par une enfance oubliée.

 

Quels paysages reviendraient dans le courant d’une écriture ?

Un poème fait son bruit de poème, son bruit de poème.

 

James Sacré, Broussaille de bleus, dessins de Jacques Barral, Le Réalgar, 2021, p. 43.

15/07/2021

Pierre Reverdy, En vrac

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Bien connaître le passé pour pouvoir feindre de prévoir l’avenir, les meilleurs politiques n’ont jamais réussi un tour plus habile que celui-là.

 

On s’use à vivre et sans pouvoir comprendre quoi que ce soit à ce que peut signifier la vie. On en use autant qu’elle nous use et c’est tout.

 

Il ne faut pas écrire pour son temps mais dans son temps. Et celui qui ne se mêle que de son temps meurt plus vite que son temps. C’est qu’il n’écrit au fond que pour lui-même — un peu trop peu.

 

Vivre et vieillir pour qui et quoi que ce soit, êtres et choses, sont synonymes. Mais on ne se rend bien compte de cette évidence que lorsque le phénomène vieillir a déjà très nettement pris le pas sur celui qu’on appelle vivre.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 856, 858, 851, 863.

14/07/2021

Pierre Reverdy, En vrac

 

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N’ayant besoin de rien, comme il serait facile de n’avoir besoin de personne.

 

Le véritable opium du peuple, c’est le spectacle, sous toutes ses formes, qui l’a toujours été. Et il y a un très important côté de spectacle dans les manifestations politiques, aussi bien que dans celles des religions.

 

Ne rien préférer, aimer et haïr alternativement tout avec la même intensité, il n’est peut-être pas de meilleure ou de pire condition de malheur.

 

La place des vieux, la place des jeunes, on se la dispute avec tant d’âpreté et, depuis que le monde est monde, tout cela tient finalement dans quelques cimetières qui sont, après tout, assez petits.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 834, 835, 846, 848.

13/07/2021

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood

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Ce que le cœur reconnaît, la raison le nie.

Un rêve, mais est-il rien de plus réel qu’un rêve ?

Faut-il se résigner à vivre sans rêver

Que l’enfant aimantée vers ses lieux familiers

Vient dans ce jardin de roses, et chaque nuit

Revient remplir la chambre de sa flamme candide

Qu’elle nous tend comme une offrande et une prière ?

 

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, Fata Morgana, 1988, p.13.

 

 

12/07/2021

Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud

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Celui qui a vidé sa conscience de tous les images de notre faux monde qui n’est pas un vase clos peut attirer en lui, happées par la succion du vide, d’autres images venues hors de l’espace où l’on respire et du temps où le cœur bat, souvenirs immémoriaux ou prophéties fulgurantes, qu’il atteindra par une chasse d’angoisse froide. En un instant l’univers de son corps est mort pour lui : je n’ai jamais pu crfoire quand je fermais les yeux que tout restait en place. Je ferme les yeux. C’est la fin du monde. Il ouvre les yeux. Et quand tout fut détruit, tout était encore en place, mais l’éclairage avait changé. Quel silence, bon dieu, quel silence.

 

Roger Gilbert-Lecomte, Rimbaud, Lurlure, 2021, p.30.

10/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

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[Chino] monte et descend le long de son jardin comme un élastique énervé avec des pétarades de pancartes à la mitraillette :

 

                           Toute l’écriture

est de la cochonnerie

 

            ou

 

                      La poésie : merde pour ce mot

 

                                       ou

 

                                    Poésie ?

                                  La Haine !

 

 

                                       ou

 

                                    La poésie ?

                                  Inadmissible !

                                                              *d’ailleurs n’existe pas !

 

On n’y co :=prend rien si on n’est pas du coin. Passe ton chemin, touriste au doigt vissé à la tempe ! Si tu lèves le nez vers le bleu du ciel, tu verras circuler dans les courants oscillants quelques parapentistes impatients. Ils attendent een tournicotant qu’on débarrasse le plancher pour atterrir les pieds dans le plat. À moi Antonin ! Francis ! Georges ! Denis ! appelle d’en bas époumoné d’extase de midinet Chino. Qu’on égaille un peu les familles classées par affinités qui patouillent la vase poétiquement dans des crottes de vers ! Et sans transition, il va au-devant d’une petite troupe gaie qui se tord les pieds dans le cailloutis. Car entre les bruyères qui crient les voici ! et les tamaris qui pleurent que tant pis ! s’amènent échevelée de coiffures christiques la clique aux flancs creux en pétard contre tout et rien dont le capital exploiteur du monde, les cloches de Sorbonne qui tout amochissent et la poésie perte de la pensée.

 

Christian Prigent,  Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 214-216.

 

09/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

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Mais pressons pressons. Déjà cent étoiles au ciel. Prends ton chapeau, mets tes bretelles : si tu rates la messe, la soupe après c’est pas l’oignon, c’est la grimace. On se précipite, pite, patte, deux pattes quatre à quatre au trot toutes jambes caro cari cara caracole hop là au galop. Qui botte en tra tra versant cataclop le carré tchouc tchouc aux choux tagada le cul de qui qui encombre ? GM, de Ki, le chien qu’a un œil qui dit kaoc’h à l’autre. S’il en avait deux qui diraient merde, ce serait Kiki. Avait qu’à pas japper beurton en large sur le seuil en plus d’aboyer chinot en long dans l’allée : va voir si y a pas du lapin ailleurs dans les Pointus d’Hiver.

 

Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 175.

08/07/2021

Jude Stéfan, Faux journal

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« Revu à la télévision... », tel est le style insupportable du journal intime, quand le seul intéressé note pour les autres ce qui ne concerne que lui-même (« revu X qui m’a paru bien changé, rencontré Z à la réception, etc.) Comment se croire intéressant à ce point ? Toute la suffisance est dans cet aveu : vu, lu, observé, entendu — participe passé qu’on essaie de rendre présent, durable à la lecture, redoublement narcissique de soi, non content d’avoir vécu la minute, il faut la répéter, la reprendre, l’embellir, en faire du roman sans l’insolence de ce genre avoué, au contraire dissimulé sous des apparences de simples notations. Entrer dans l’intimité de qui que ce soit, quelle turpitude !

 

Jude Stéfan, Faux journal, le temps qu’il fait, 1986, p. 14. Photo T. Hordé, 2012

07/07/2021

André Spire, Poèmes juifs

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            Jardins

 

Jardins, jardins, comme j’aimerais

Vos calmes ordonnances,

Si derrière vos arbres taillés je ne sentais

Comme une absence, une éternelle absence.

 

Si, sans cesse, vos fleurs ne me disaient : Va t’en !

Il y a un désert au pied d’une montagne

Cherche, sans l’y trouver, une voix qui te parle,

Au milieu des épines, dans un buisson ardent. »

 

André Spire, Poèmes juifs, Albin Michel, 2020 (1908), p. 73.

 

06/07/2021

Jean Paulhan, Les Causes célèbres

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                              Les Passagers

 

  Le mendiant vient chanter vers onze heures et ma mère dit : « Comme sa musique est triste aujourd’hui ». _ Non, la chanson n’était pas triste, mais insaisissable ; ce mendiant, qui s’entêtait à chanter, n’avait pas de voix.

   Un peu plus tard, elle nous dit : « Je plains ceux qui meurent ces jours-ci, ils ne verront pas la fin de la guerre. » Elle ajouta pour nous rassurer : « Oh, ce n’est pas à moi que je pense », et tomba dans cet état de distraction, où le malade ne souffre aucun des soins qu’on est forcé de lui rendre mais demande du linge propre, et prie qu’on lui ôte sa bague du doigt. Elle nous regarda patiemment. Il nous sembla qu’elle ne parlerait plus.

   Elle renonça, quelques instants plus tard, à se parler à elle-même ; sa figure fut agitée d’un tic, puis labourée d’une respiration puissante, qu’avait-elle besoin de tant d’air ? Dans la soirée, je l’embrassais encore, sans que son front ni ses mains prissent sous mes lèvres, ne fût-ce qu’un semblant de chaleur. Puis son nez se pinça, et sa bouche fit une moue un peu rêche. Moi, je tâchais de me la rappeler aux moments de fâcherie. Mais je n’en retrouvai pas.

 

Jean Paulhan, Les Causes célèbres, dans Œuvres Complètes, I, Récits, Gallimard, 2006, p. 313.

04/07/2021

Jean Genet, La Galère

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                 La Galère

 

Un forçat délivré dur et féroce lance

Un chiourme dans le pré mais d’une fleur de lance

Le marlou Croix du Sud l’assassin Pôle Nord

Aux oreilles d’un autre ôte ses boucles d’or.

Les plus beaux sont fleuris d’étranges maladies.

Leur croupe de guitare éclate en mélodies.

L’écume de la mer nous mouille de crachats.

 

On parle de me battre et j’écoute vos coups.

Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?

 

Harcamone aux bras verts haute reine qui vole

Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés

Par l’horreur de son nom ce bagnard endeuillé

Sur ma galère chante et son chant me désole.

 

Jean Genet, La Galère, dans Le condamné à mort, l’Arbalète, 1958, p. 51.

03/07/2021

Jean Genet, Un captif amoureux

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La télévision allemande nous montra cette image de Mitterand aux obsèques de Sadate : ses gardes du corps le protégeaient de si près dans son étui-cotte de mailles, qu’il fut plus porté par ses gardes que protégé si bien qu’il semblait se déplacer sans marcher, soit soutenu par les gardes, soit avançant en glissant les pieds chaussés de deux patins à roulettes ou d’une planche à roues mobiles, un jeu que les enfants ont parfaitement dompté, à quoi jouait peut-être le président de la République des Français, mais d’un jeu supérieur en quelque sorte, la rapidité des gosses, leurs trajectoires soudain différées, leur élégance, car je dois écrire ce mot, avaient été remplacées pour le haut dignitaire de qui je parle par une solennelle et farceuse lenteur.

 

Jean Genet, Un captif amoureux, Gallimard, 1986, p. 343-344.