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28/05/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues : recension

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Le centenaire de la naissance de Jack Kerouac a remis en librairie plusieurs de ses ouvrages, dont Mexico City Blues, seul livre de poèmes édité de son vivant. Écrit au mois de juillet 1955, publié en 1959, Mexico City Bluesa paru en français en 1976 (Christian Bourgois), traduit par Pierre Joris et c’est cette traduction qui est reprise. Le livre est une longue suite divisée en 242 chorus, qui se voulait en poésie ce qu’était l’improvisation en jazz. Le préfacier, Yves Buin, définit l’ensemble comme « Écriture spontanée qui exige la désinhibition, l’absence de censure, l’usage des processus de l’automatisme et de l’association libre ». Ces principes étaient pour l’essentiel partagés par un groupement d’écrivains réunis sous le nom de Beat Generation (nom introduit par Kerouac), qui comprenait notamment William Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg ; ils sont tous présents dans les chorus, avec un aîné, William Carlos Williams, et des écrivains classiques comme William Blake et Samuel Johnson, Pope et Oscar Wilde.

 

Les poèmes rendent aussi hommage à de grandes figures du jazz des années 1950, en particulier à Charlie Parker, considéré par Kerouac comme « le Musicien Parfait », « un grand musicien et créateur de formes », « Musicalement aussi important que Beethoven / Mais sans être reconnu comme tel ». Comment restituer le rythme du jazz avec des mots ? Kerouac use de vers très courts et abandonne souvent la cohérence, la logique du discours, ce qui peut correspondre à l’improvisation du saxophoniste ou du pianiste : « As-tu vraiment besoin / du mot juste / As-tu vraiment besoin / Évidemment c’est / Complètement stupide ». La question du sens ne doit pas se poser, ce qu’affirme clairement Kerouac, « Ne cherche pas le sens », et qu’il met en œuvre, par exemple dans ces vers : « Pan Matador / Pazatza cuaro / Mix-technique / Poop / Indio / Yo yo catlepol / Hurlement lune / Indien / Ville & Cité ». À l’improvisation qui n’est pas réglée dans le temps peut correspondre l’énumération, procédé très fréquemment employé dans les chorus ; mais elle est également imitée quand, dans une suite, un fil relie les mots : à partir de « aigre-doux » on passe à « chou », puis « soupe au chou » et « choucroute ». La traduction ne rend pas complètement compte de l’influence de la musique et il est intéressant de relire les poèmes originaux :

                I know I am dead

                I wont camp. I’m dead now.

                What am I waiting to vanish ?

                      The dead dont vanish ?

                            Go up in dirt ?

                How do I know that I’m dead.

                            Because I’m alive

                               And I got work to do

                                  Oh me, Oh my,

                                       Hello - Come in –

(dernière partie du chorus 235)

               

À côté de cet aspect, dominant, pour être en phase avec le jazz, Kerouac ne néglige    pas des formes plus classiques, avec même celle du récit, par exemple pour rendre hommage à Charlie Parker. Cependant, le récit entrepris sur un sujet (« Mais maintenant je vais décrire / les fous que j’ai connus ») s’engage sur une autre voie, introduisant la mère, puis la langue se dérègle (« et plouffant et / blouffant ») et la possibilité du récit est rejetée, il n’a pas sa place dans les chorus : « c’est facile de devenir fou / parfois je deviens fou. Ne peux continuer mon histoire, / j’écris en vers. / Pire / N’ai pas d’histoire, rien que des vers ». Rapportant à sa manière un extrait du Satiricon de Pétrone, Kerouac le termine par « Est-ce vrai ? » et conclut « Petronius Arbitum - / élégant pédé, / mon cher » [pour Petronius Arbiter].

 

Toute la vie de Kerouac s’engouffre dans Mexico City Blues, les souvenirs d’enfance, la mère et le père, la nécessité de l’écriture, les angoisses. Beat signifiait « brisé, défoncé » et, dans la langue des exclus, être beatimpliquait le refus de la société américaine. Cette mise à l’écart volontaire a été liée pour Kerouac à l’usage de la drogue et, surtout, de l’alcool, et a entraîné une difficulté de vivre qui s’exprime crûment parfois dans les chorus, « Merde et misère / Je souffre absolument / attendant sans merci / Que le pire arrive, / Je suis complètement perdu / Il n’y a pas d’espoir », « Et tout est foutu sur cette scène ». Une sortie existe cependant, la tentative d’atteindre le Vide et le Rien — mots récurrents dans les chorus — du bouddhisme, religion à laquelle Ginsberg l’a initié. Le livre est nourri de références à la religion et ce n’est pas l’aspect le plus attachant aujourd’hui. Des vers ramassés rappellent le fond de la doctrine, « c’est que / rien / naît vraiment / ni meurt », doctrine qui est condition d’équilibre : « Ce qu’il me faut Solide dans / Ma tête l’image du Bouddha ». Les musiciens admirés par Kerouac ne peuvent qu’être associés au bouddhisme et, d’abord, le premier d’entre eux, « Charley Parker ressemblait à Bouddha ». Écrire à propos de la religion est par ailleurs présenté comme la tâche la plus utile, « Alors que dois-je faire / À part écrire cette poésie / Instructive ».

 

On peut ne pas apprécier ces chorus qui exhortent à « suiv[re] le vide » et à lire des dizaines de fois « Tathagata », l’une des épithètes de Bouddha ; on (re)découvre avec beaucoup d’intérêt le lyrisme sans limite de Kerouac s’essayant avec succès à écrire comme s’il improvisait au saxophone alto : il faut l’entendre lire ses chorus. Yves Buin dit justement que « coexistaient en lui la nostalgie précoce de l’infini et la marginalité libertaire ».

Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction Pierre Joris, préface Yves Buin, Poésie/Gallimard, 2022, 270 p., 10,60 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 23 avril 2022.

 

 

 

 

18/04/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues

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                                               103e Chorus

          •  
          • Mon Père dans le rouge de la basse ville
          • Se promenant comme une ombre
          • D’encre noire, avec chapeau, hochant la tête,
          • Dans les lumières immémoriales de nos rêves.
          • Car j’ai depuis rêvé de Lowell
          • Et de l’image de mon père,
          • Chapeau de paille, journal dans la poche,
          • Sentant l’alcool, cirages-coiffeur,
          • Est l’image de l’Homme Ignorant
          • Se hâtant vers sa destinée qui est la Mort
          • Quoiqu’il le sache.
          •          C’est pourquoi ils appellent Santé,
          •           une bouteille, un verre, une rasade,
          •          Une Coupe de Courage.
          •  
          • Les hommes savent que le brouillard n’est pas leur ami —
          • Ils sortent des champs et mettent leurs manteaux
          • Ils deviennent des hommes d’affaires et meurent rassis
          • La même mort rassise et écœurante
          • Ils auraient pu mourir à la campagne
          •          Collines de fumier
          • Mes souvenirs de mon père
          • dans la basse ville de Lowell
          • homme en carton marchant
          • dans les lumières perdues
          • faits de la même matière vide
          • que mon père dans sa tombe.
          •  
          • Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction
          • Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 119.

12/04/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues

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79° Chorus

 

Histoire de quoi

  (Histoire d'enfance)

En descendant

                  le boulevard

 Contemplant le suicide

Je me suis assis à une table

Et à ma grande surprise

Mon ami faisait l'idiot

                          à une table

Et à haute voix

Et voici le résultat

De ce qu'il dit.

 

Faites votre choix

 

Finit dans une situation

`Tellement fâcheuse

Vous n'saurez quoi faire de vous-mêmes

Vivre ou mourir.

 

Jack Jerouac, Mexico City Blues, traduction

Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 95.

09/04/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues

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83e Chorus

 

Ne les appelle-t-on pas

 

cat men

 

Ceux qui l’jouent

Sur la trompette

 

L’orgasme

De la lune

Et Juin

 

J’les appelle

 

   ces choses chats

 

"Vraiment marrant

     çui-là"

 

William

Carlos

Williams

 

Jack Kerouac, Mexicco City Blues, traduction

Pierre Joris, Poésie/ Gallimard, 2022, p. 99.