31/12/2017
Norge, La langue verte
Ode aux vaches
Allez-y, vaches sacrées,
Je suis seul à vous entendre.
Votre chant s’est retiré
De leurs oreilles de cendre.
Donnez votre lait qu’on guette
Aux ordinaires barattes,
Gardons nos secrets, fillettes
Par le Tigre et par l’Euphrate.
L’homme rond, l’homme carré,
Tout l’homme géométrique
N’écoute d’un cœur zélé
Que le sifflement de trique.
Inutile de beugler
Si haut ! J’ai compris, mes vaches,
Et nos destins sont réglés
Par une même cravache.
Ruminez les gazons bêtes,
C’est encore loin l’empyrée
Après quoi vous soupirez
Comme l’ours et le poète.
Ce qui fait votre langage
Si noble et si riche de ton,
C’est qu’il puise dans l’herbage
Le cri même du limon.
Tu rêves, je rêve, ils rêvent.
Ô, ma vache ensommeillée,
Crois-tu que les nuis s’achèvent,
Crois-tu qu’on va s’éveiller ?
Norge, La langue verte, Gallimard,
1954, p. 119-120.
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30/12/2017
Friederike Mayröcker, Bonsoir, Bonjour
Image arrêtée
Sans amour lieu
Sans amour se traiter
soi-même, attendre
n’importe quelle promesse :
facteur téléphone
direction lune
couleur de ciel
progressivement la nature
couronne la clôture
de rose
Plusieurs fois par jour l’heure (l’alarme)
ce temps en éclats ! chaque fois
vers une prochaine charité
se tourner
à la fin le dernier
soleil ourle en la dorant
l’oreille
réconfortant, flamme de cire
en nonchalant rose
Friederike Mayröcker, Bonsoir, Bonjour,
traduction de l’allemand Gabrielle Ross
et Marcelle Fonfreide, dans
Le Nouveau Commerce, automne 1982, p. 41.
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29/12/2017
Jacques Lèbre, L'immensité du ciel
C’est soudain, c’est toujours soudain,
rien d’une glissade, finalement,
rien d’une pente quand on arrive au fond
quelque chose comme une corde qui casse
ce qui nous lie, ce qui nous liait,
que faire d’une relation désœuvrée ?
Des larmes autour
comme la corde qui s’effiloche
à l’endroit cassé
et mettre des mots là-dessus ?
Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, La Nouvelle
Escampette, 2016, p. 41.
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28/12/2017
Sergueï Essenine, Journal d'un poète
Ne m’en veuillez pas, c’est ainsi !
je ne barguignerai pas avec les mots :
elle est alourdie, affaissée,
ma jolie tête dorée.
Ne plus aimer ni la ville, ni mon village
comment le souffrirais-je ?
Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.
Et je vais bourlinguer en Russie.
J’oublierai livres et poèmes,
j’irai le ballot sur l’épaule
— au noceur dans la steppe, on le sait,
le vent fait fête comme à nul autre.
Je puerai le raifort et l’oignon.
Et troublant la torpeur du soir
me moucherai bruyamment dans les doigts.
Partout je ferai l’idiot.
Je ne réclame d’autre bonheur
que de me perdre dans le blizzard :
car sans ces extravagances
je ne puis vivre sur terre.
Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction
du russe Christiane Pighetti, éditions de la
Différence, 2014, p. 91.
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27/12/2017
Brumes d'automne
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26/12/2017
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes, poèmes 1941967
Mes cris, je les perds
comme un autre perd
son argent, ses pièces de monnaie,
son cœur, mes grands cris
je les perds
à Rome, partout, à
Berlin, je perds
dans la rue des cris, authentiques, jusqu’à ce que
mon cerveau devienne rouge sang
à l’intérieur, je perds tout,
il n’y a que la terreur
que je ne perde pas, que
l’on puisse perdre ses cris
chaque jour et
partout
Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe
a des ailes, poèmes 1942- 1967, édition Françoise
Rétif, Poésie / Gallimard, 2015, p. 503.
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25/12/2017
Images de l'eau et reflets
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24/12/2017
Fabienne Courtade, corps tranquille étendu
Je choisis une année en été
Pour lire les papiers collés
je n’en dis pas un mot
le livre m’est apparu
au cours des nuits
devant moi
posé sur l’étagère
l’année n’en finit pas
septembre 2012
Il perd se voix
Je tiens sa main
le souffle manque
il ne tient plus rien
rien ne tient à moi
Il s’assoit à grand-peine sur le bord du lit
Dans l’échelle de douleur
on peut s’installer dans la case 7
La première fois que je l’ai vu
Il avait un large tache rouge
Sur sa chemise
Au milieu du cœur
Un verre de vin renversé
Fabienne Courtade, corps tranquille étendu,
Flammarion, 2017, p. 14-15.
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23/12/2017
Franz Kafka, Derniers cahiers
Je m’étais complètement perdu dans une forêt. Perdu d’une manière incompréhensible, car peu de temps auparavant encore j’avais marché non pas sur un chemin mais à proximité d’un chemin, qui m’était toujours resté visible. Mais maintenant j’étais perdu, le chemin avait disparu, toutes les tentatives de le retrouver avaient échoué. Je m’assis sur une souche d’arbre et je voulus réfléchir à ma situation, mais j’étais distrait, je pensais toujours à autre chose qu’à l’essentiel, j’échappais aux soucis par le rêve. Alors je fus cerné par les riches buissons de myrtilles, j’en cueillis quelques-unes et les mangeai.
Franz Kafka, Derniers cahiers, traduction Robert Kahn, NOUS, 2017, p. 136-137.
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22/12/2017
Edmond Jabès, Le Livre de Yukel
Journal de Sarah, III
11 décembre
Chaque flamme était une note de musique et, de cette gamme insoupçonnée, un compositeur triste comme la boue de la route, avait tiré sa musique ; une valse sans issue où le rassurant savoir du monde abdiquait.
J’ai vu danser le reptile et l’insecte, le quadrupède et l’oiseau.
J’ai vu danser le poisson et la plante.
Et la mort était une fête éclairée où les rires doublaient les râles ; de sorte que je ne savais plus si elle se déroulait en moi ou devant et si la plainte n’avait pas toujours eu pour partenaire le plaisir.
La folie, avec sa chevelure de chanvre où les rêves attardés s’accrochaient s’était installée dans la salle. Ses mains décharnées contrastaient violemment avec son corps d’adolescente éprise de matins. Elle brandissait le candélabre et se moquait de mon émotion.
J’avais peur d’être morte comme les sept nuits qui venaient de s’écouler.
Edmond Jabès, Le Livre de Yukel, Gallimard, 1964, p. 85.
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21/12/2017
René Char, Aromates chasseurs
Sous le feuillage
Frapper du regard, c’est se dessiner dans les yeux des autres, y découvrir leurs traits modifiés auprès des nôtres, mais pour ombrer notre ceinture de déserts.
Celui qui prenait les devants s’appuya contre un frêne, porta en compte la récidive de la foudre, et attendit la nuit en désirant.
René Char, Aromates chasseurs, Gallimard 1976, p. 35.
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20/12/2017
David Bosc, Relever les déluges
Mirabel
Tout me plaît en ce monde et il ne me va pas. Je voudrais que tout change sans que rien ne se perde. Mon nom est Mirabel. Je sais lire et signer, je suis valet de ferme à la bastide Sarturan — laquelle se lève et dîne et fait son lit quand le lui dit la cloche de Saint-Jean-du Désert, près de Marseille, entre la Veaune et le Jartet.
Mademoiselle Sartran, qui est vieille, m’a donné à faire dans ses vergers. J’ai le poignet trop fin pour les travaux de force, mais j’ai l’air franc, mes dents sont fortes encore à casser des amandes : elle aura jugé, la vieille, que je m’entends à finasser dans les amours des plantes. Le bastidon n’est pas bien grand. Les femmes y couchent sous le toit, défendues par une cuisinière aux pognes de grès rouge et qui ne dort jamais. Le palefrenier, les deux laquais, les domestiques dont on hérite avec les meubles ont au-dessus des écuries tout un arrangement de cloisons et de rideaux tirés qui leur fait des stalles come celles des chevaux (les chevaux tapent du pied la nuit, surtout s’il fait du vent). Pour moi, j’ai dû trouver à me loger et on me donne pour ça un rabiot de gages.
David Bosc, Relever les déluges, Verdier, 2017, p. 21.
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19/12/2017
Cécile A. Holdban, Battements, dans I rouge
Battements
tu noues chaque matin brin par brin
veine par veine
ton corps au monde
mais derrière le rideau de nuit comme de hauts cyprès
tes mains demeurent suspendues hors du don
Cécile A. Holdban, Battements, dans I rouge, "L’invisible", revue en ligne, 2017, p. 35.
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18/12/2017
Jean Ristat, Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés
I
Te voici donc monsieur emporté sous nos yeux
Par l’arme des ombres en un éclair qui s’enflamme
Et passe avant de rendre à la nuit sa guenille
Te voici théâtre Ô théâtre de la mort
Avec ton cortège de figurants sourds et
Muets l’orchestre des oiseaux soudain s’est tu
L’acteur a oublié son texte le souffleur
Quitté sa cave il n’y aura pas de reprise
D’où vient-il
Le vent enfourné dans ta bouche comme un poing
Et ton corps livré aux chiens masqués des ténèbres
Maintenant
Te voici empire du silence
*
Ah j’ai vu une ombre qui portait sue sa bosse
Un homme comme un fagot de bois et le feu
A l ‘odeur de sang lorsqu’il déchire les arbres
Ne demandaient qu’à fleurir une fois encore
[…°
Jean Ristat, Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés,
dessins de Gianni Burattoni, Gallimard, 2017, p. 9-11.
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17/12/2017
Joseph Joubert, Carnets, I
Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.
On ne devrait écrire ce qu'on sent qu'après un long repos de l'âme. Il ne faut pas s'exprimer comme on sent, mais comme on se souvient.
Enseigner, c'est apprendre deux fois.
Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs ni de leurs besoins sont à plaindre.
Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
Les uns disent bâton merdeux, les autres fagot d'épines.
L'un aime à dire ce qu'il sait, l'autre à dire ce qu'il pense.
Évitez d'acheter un livre fermé.
Ce monde me paraît un tourbillon habité par un peuple à qui la tête tourne.
Joseph Joubert, Carnets, I, textes recueillis par André Beaunier, avant-propos de J.P. Corsetti, préface de Mme A. Beaunier et A. Bellesort, Gallimard, 1994 [1938], p. 73, 79, 143, 143, 161, 165, 172, 176, 183, 183, 211.
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