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09/07/2014

Alain Veinstein, Scène tournante

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À haute voix mon nom

impossible de le prononcer

Je me cache pour ne pas me faire prendre

 

J'ai l'impression que ses lettres vont être écartées

afin que son secret en soit extirpé

et jeté en pâture aux chiens,

sans aucune pitié.

Quelques lettres ici, tournent à la haine.

 

Chaque fois, aujourd'hui,

que je décline mon identité,

j'entends et aboiements

et voient des projecteurs lancer leurs poursuites

du haut de formes indistinctes

que je prends pour des miradors.

 

Alain Veinstein, Scène tournante, "Fictions & Cie",

Seuil, 2012, p. 39.

 

01/07/2014

Joseph Guglielmi, Chanson pour Guillevic

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Chanson pour Guillevic

 

Tout poème

emblématique

Même la nuit de Carnac

Même le jour de Carnac

 

And the sea

the ruled page

d'une poussière pratique

 

Comme séparer

deux noms

deux couleurs

complémentaires

 

Et lynchage

poétique

ou tracer

un ciel de paille

 

L'eau nue

ruisseau de l'étreinte

argumente

une autre strophe

 

Une étoile

dans la bouche

jet blanc

dressé comme un fouet

 

Mouchoir de tête

brillant

au canular émotif

 

À la fièvre

sur mesure

aux adjectifs

adjectifs

 

Ville

sous le ciel

des villes

solitude

 

N'a cas d'astre

comme sous la jupe

assise

une corolle gainée

 

Ose dire

ouvrant le livre

sa frange

de prophétie

 

Joseph Guglielmi, dans Correspondances,

Art-Poésie-Littérature, "Cahier Guillevic",

L'Heur de Laon, 1993, p. 71-72.

28/06/2014

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon, mer, équipage, billard, castor, nom, oubi

                             Crise première

                              L'atterrissage

 

L'endroit rêvé pour un Snark cria l'Homme à la Cloche

Qui débarquait l'équipage avec soin

Soutenant chaque homme à la crête des vagues

Par un doigt pris dans ses cheveux

 

L'endroit rêvé pour un Snark Ça fait deux fis que je le dis

C'en serait assez pour encourager l'équipage

L'endroit rêvé pour un Snark Ça fait trois fois que je le dis

Ce que je vous dis trois fois est vrai

 

L'équipage était au complet Il comprenait un Bottier

Un faiseur de Bonnets et Capuces

Un Avocat pour aplanir leurs différends

Et un Agent de Change pour faire valoir leurs biens

 

Un Champion de Billard dont l'habileté était immense

Il se peut bien qu'il ait gagné plus que son dû

Mais un Banquier engagé à prix d'or

Avait la garde de tout leur pécule

 

Il y avait aussi un Castor qui arpentait le pont

Quand il ne faisait pas de la dentelle sur l'avant

Et qui les avait souvent à en croire l'Homme à la Cloche

                  sauvés du désastre

Bien qu'aucun des marins ne sût comment

 

Il y en avait un réputé pour le nombre de choses

Qu'il avait oubliées en mettant le pied sur le navire

Son parapluie sa montre tous ses bijoux et bagues

Et les habits achetés pour l'expédition

 

Quarante deux malles qu'il avait Toutes soigneusement faites

Avec son nom en toutes lettres sur chacune

Mais comme il avait oublié de le dire

Elles étaient toutes restées sur la rive

 

[...]

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon, dans

Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, édition sous la direction

d'Olivier Barbarant, Pléiade, Gallimard, 2007, p. 379-381.

 

21/11/2013

François Rannou, Rapt

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                                         confluence des rives

                      (mon atelier avec, dans la lumière, Max Jacob sur le pont de fer)

 

 

 

                                                 prendre cette main

                                                 qui appelle

deux rivières se rejoignent le nom      ne résout rien          se mêle aux ponts de fer

                                                 les mots toujours sont

                                                 cette main

                                                 étrangère

                                                 découverte sienne

                                                 hors de soi

                                                  ou :

 

 

                                                            tessitures placées

                                                            projettent

                                                            un autre visage sans

                                                            reconnaissance ni

« je suis dans cette maison d'angle » sans     aucune

                                                            ressemblance je

                                                            ne sais pas

                                                            d'où

                                                            vient la nuit l'accentuation se fait

 

 

sur un temps faible pour     que soir ravivée

                                      la blessure

                                      plutôt que

                                      le

                                      commentaire     c'est la confluence d'un rythme

 

[...]

 

 

François Rannou, Rapt, La Termitière / La Nerthe, 2013, p. 55-57.

06/07/2013

Maurice Benhamou, Tréfonds du temps — éditions Unes (2)

 

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                 I

 

Gorge de nuit

buveuse d'étoiles.

 

Pourrons-nous jamais

concevoir

ce qui se passe ?

 

Se voiler.

Elle se voile,

la face des mots.

Éplorée

elle pleure

plongeant au fond des nuits.

 

Nuit qui anéantis

notre ardente attente

de la nuit.

 

Le corps de l'espace

s'étire

indéfiniment

élargissant nos plaies.

 

Voici

de tout son long

le nuit

exaltant la lunule de l'ongle.

 

Nuit rêche

dans la bouche.

 

Proche

ce qui n'a pas de nom.

.

Mais au Noir

le regard n'atteint pas.

Des barbelés d'étoiles

l'accrochent et le déchirent.

 

Inaccessible

entre les cordes du jour

fut aussi le visage de l'aimée.

 

Quelle voix de personne

dans l'épaisse forêt de la nuit

appelle

frémit

selon les souffles anciens

de la terre furtive ?

[...]

 

Maurice Benhamou, Tréfonds du temps, suivi de

Trait-fond, encres de chine de Jean Degottex,

éditions Unes, 2013, p. 9-10.

Les éditions Unes, fondées par Jean-Pierre Sintive en 1981,

ont été reprises par François Heusbourg en 2013.

20/06/2013

Leonardo Rosa, Épigraphe pour un amour

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Épigraphe pour un amour

 

Nos jours ont été si brefs et si hauts dans le ciel ami

les rêves de la maisonnette blanche

avec l'ombre tendre du cerisier

qui s'élargit dans le jardin pour nous protéger

En toi il ne restera de moi que les larmes

ensevelies dans la région d'enfance et peut-être le nom

qui fut le premier don de mon père

et que tu aimais dire jadis

comme une chose à toi.

 

Pour les nuits du froid dans le cœur

il ne me restera que l'ombre de ton corps dénudé.

 

 

Epigrafe per un amore

 

Furono brevi i nostri giorni e alti nel cielo amico

i sogni della bianca piccola casa

con l'ombra molle del ciliego

adagiata in giardino a coprirci.

In te di mio non resterà che il pianto

sepolto nell'angolo d'infanzia e forse il nome

che fu il primo dono di mio padre

e che tu amasti pronunciare un tempo

come cosa tua.

 

Per le notti fredde nel cuore

io non avrò che l'ombra del tuo corpo nudo.

 

 

Leonardo Rosa, dans NU(e) n° 29, "Leonardo Rosa", coordination Raphaël Monticelli, p. 83.

17/05/2013

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose]

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose], Martine Broda, amante, nom

Avec toutes les pensées je suis sorti

hors du monde : tu étais là,

toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —

tu nous reçus.

 

Qui

dit que tout est mort pour nous

quand notre œil s'éteignit ?

Tout s'éveilla, tout commença.

 

Grand, un soleil est venu à la nage, claires,

âme et âme lui ont fait face, nettes,

impératives, elles lui ont tu

son orbe.

 

Sans peine,

ton sein s'est ouvert, paisible,

un souffle est monté dans l'éther,

et ce qui s'est nué, n'était-ce pas,

n'était-ce pas forme, et sortie de nous,

n'était-ce pas

pour ainsi dire un nom ?

 

 

Mit allen Gedanken ging ich

hinaus aus der Welt : da warst du,

du meine Leise, du meine Offne, und —

du empfingst uns.

 

Wer

sagt, dass uns alles erstarb,

da uns das Aug brach ?

Alles erwachte, alles hob an.

 

Gross kam eine Sonne geschwommen, hell

standen ihr Seele und Seele entgegen, klar,

gebieterisch schwiegen sie ihr

ihre Bahn vor

 

Leicht

tar sich dein Schoss auf, still

stieg ein Hauch in den Äther,

und was sich wölkte, wars nicht,

wars nicht Gelstalt und von uns her,

wars nicht

so gut wie ein Name ?

 

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose], traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 [1963], p. 31 et 30.

29/07/2012

James Sacré, Le paysage est sans légende

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                           Malgré des mots qu'on y met

 

Je me rappelle très bien, près d'une ville dont on pourrait dire le nom

La forme d'un village courant sur l'arête d'un long rocher

On le voit à partir d'un autre parvis de pierre

De ce côté-ci de la faille avec du vert qui suit un cours d'eau

Il y a eu soudain la présence d'un jeune garçon

Dans un vêtement blanc, son invite à traverser. Quelques mots.

On pourrait dire son nom et donner une adresse.

Une autre année le village est resté dans la solitude de nos yeux.

Dans son peu de vert, avec le brillant d'un souvenir.

 

Une autre année presque tout

Disparaît dans un poème.

 

                                            *

 

Je m'en retourne où je ne verrai pas

Ce qui ressemble à du paysage déchiré dans la montagne ;

Si le vif des pentes nues

En cette fin d'octobre, et quelques silhouettes dans le lointain

Peut-être une ou deux mules, la pointe d'un capuchon

Ou le geste qui dresse

Un outil agricole dans un endroit plus cultivé du pays

Vont pas quand même

Récrire dans l'œil de ma mémoire

Ce dessin broussaillé qui déchire le temps ?

 

James Sacré, Le paysage est sans légende, dessins de Guy Calamusa,

Al Manar, éditions Alain Gorius, 2012, p. 20-21.

28/04/2012

Alain Veinstein, Scène tournante

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À haute voix mon nom

impossible de le prononcer

Je me cache pour ne pas me faire prendre

 

J'ai l'impression que ses lettres vont être écartées

afin que son secret en soit extirpé

et jeté en pâture aux chiens,

sans aucune pitié.

Quelques lettres ici, tournent à la haine.

 

Chaque fois, aujourd'hui,

que je décline mon identité,

j'entends et aboiements

et voient des projecteurs lancer leurs poursuites

du haut de formes indistinctes

que je prends pour des miradors.

 

Alain Veinstein, Scène tournante, "Fictions et & Cie",

Seuil, 2012, p. 39.