05/10/2017
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune
Portrait de voix
– À l’aube je dormirai avec ma poupée entre les bras, ma poupée aux yeux bleu or, ou celle à la langue aussi merveilleuse qu’un poème à ton ombre. Poupée, tout petit personnage, qui es-tu ?
– Je ne suis pas si petite. C’est toi qui es trop grande.
– Qu’es-tu ?
– Je suis un moi, et cela qui semble si peu, est suffisant pour une poupée.
Petite marionnette de la bonne chance, elle se débat à ma fenêtre au gré du vent. La pluie a mouillé ses vêtements, son visage et ses mains, qui se décolorent. Mais il lui reste son anneau, et avec lui son pouvoir. En hiver, elle frappe à la vitre de ses petits pieds chaussés de bleu et elle danse, danse de froid, d’allégresse, elle danse pour réchauffer son cœur, son cœur de bois, son cœur de la bonne chance. Dans la nuit elle lèvre ses bras suppliants et crée à volonté une petite nuit de lune.
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet, Ypsilon, 2012, p. 88.
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18/04/2012
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette
I
Les cheveux et la gorge noués,
Un ruban bleu posé sur le front.
La petite fille trempe une araignée dans l'eau bouillante.
Jambes croisées,
à l'ombre d'un roseau,
elle jaunit de la tête aux pieds.
Ses crampes la reprennent.
Des mangues épluchées,
le noyau avalé par mégarde,
un rosbif cru.
C'est tout.
V
Au milieu de la pièce, elle recopie l'énoncé de la main gauche. Avec le dos strié, l'air triste.
Elle n'a pas mangé depuis deux jours. Les joues en feu (le banc est dur), les cheveux emmêlés, la dentelle sale.
Le repentir inscrit sur du papier de soie. Dédicace de l'enfant droite, assise au milieu d'une pièce. Lettres déliées, une boucle dans les yeux, elle éternue à la cinquième page.
Et se repend une dernière fois.
(Enfance d'une comtesse russe)
XII
(Cheveux de bataille)
Elles avaient le pied fin
Les idées claires
Se reposaient la nuit pour être en forme le jour
Buvant le jus d'une orange très sanguine
La manière forte pour ne pas trébucher
La mèche rebelle cingle dans la nuque
Enroulées
À trois
— Comme autrefois
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette, Poésie / Flammarion,
1997, p. 11, 15 et 22.
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