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24/11/2015

Georg Trakl, Poèmes, traduits par Guillevic —— Écrire après ?

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Dans un vieil album

 

Tu reviens toujours, mélancolie,

O douceur de l’âme solitaire.

Pour sa fin s’embrase un jour doré.

 

Humblement devant la douleur

S’incline celui qui s’est fait patience.

Résonnant d’harmonie et de tendre folie.

Vois ! Il va faire noir déjà.

 

La nuit revient, quelque chose de mortel se plaint

Et quelque autre souffre avec elle.

 

Tremblant sous les étoiles d’automne

Chaque année la tête penche davantage.

 

Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés

par Guillevic, Obsidiane, 1981, p. 11.

 

Écrire après ?

 

Face à des innocents lâchement assassinés par d'infâmes fanatiques, la poésie peut peu, pour le dire à la façon de Christian Prigent. Ça, le moderne ? Quoi, la modernité ? Cois, les Modernes… Face à l'innommable, seul le silence fait le poids ; comme à chaque hic de la contemporaine mécanique hystérique, ironie de l'histoire, l'écrivain devient de facto celui qui n'a rien à dire. Réduit au silence, anéanti par son impuissance, son illégitimité. Son être-là devient illico être-avec les victimes et leurs familles.Nous tous qui écrivons ne pouvons ainsi qu'être révoltés par l'injustifiable et nous joindre humblement à tous ceux qui condamnent les attentats du 13 novembre. Et tous de nous poser beaucoup de questions.

Surtout à l'écoute des discours extrémistes, qu'ils soient bellicistes, sécuritaires, islamophobes ou antisémites sous des apparences antisionistes.  C'est ici que ceux dont l'activité – et non pas la vocation – est de mettre en crise la langue comme la pensée, de passer les préjugés et les idéologies au crible de la raison critique, se ressaisissent : le peu poétique ne vaut-il pas d’être entendu autant que le popolitique ? Plutôt que de subir le bruit médiatico-politique, le spectacle pseudo-démocratique, les mises en scène scandaculaires – si l'on peut dire -, ne faut-il pas approfondir la brèche qu'a ouverte dans le Réel cet innommable, ne faut-il pas appréhender dans le symbolique cette atteinte à l'entendement, ce chaos qui nous laisse KO ? Allons-nous nous en laisser conter, en rester aux réactions immédiates, aux faux-semblants ?
Une seule chose est sûre, nous CONTINUERONS tous à faire ce que nous croyons devoir faire. Sans cesser de nous poser des questions.

 

Ce communiqué, signé de Pierre Le Pillouër et Fabrice Thumerel, est publié simultanément sur les sites :

Libr-critique

Littérature de partout

Sitaudis

03/10/2015

André Frénaud, Hæres,

André Frénaud, Hæres, sur la route, automne, nuages, lumière

 

             Sur la route

 

Douce détresse de l’automne,

des abois très lointains,

une échauffourée de nuages, comme un remuement

de souvenirs qui se cachent.

Et la lisière des peupliers pour donner figure

à la lumière qui va venir.

 

André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 91.

22/02/2015

Basho seigneur ermite, l'intégrale des haïkus

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« Est-il aveugle ? »

ainsi me voit-on —

Admiration de la lune.

 

Que mangent ces pauvres gens ?

La petite maison d’automne

à l’ombre d’un saule.

 

 

L’odeur de fleur d’orchidée

persistante dans le beau rideau —

Sa chambre privée.

 

Fin d’automne

je tire sur moi

une étroite couverture.

 

Impossible amour —

D’une femme contemplant le soir

rêve mélancolique.

 

 

Basho seigneur ermite, l’intégrale des haïkus,

édition bilingue de Makotu Kemmoku et

Dominique Chipot, La Table ronde,

2012, p. 369, 370, 371, 372, 383.

 

 

11/12/2014

Georg Trakl, Grodek : deux traductions

                             Georg Trakl, Grodek : deux traductions, guerre, cadavre, douleur, automne, sœur

On peut lire dans le numéro de printemps de la revue de belles-lettres treize traductions d'un poème de Georg Trakl (dont une en tchèque, une en slovène et une en grec). En voici deux :

 

Grodek

 

Vers le soir les forêts de l'automne retentissent

D'armes tueuses, les plaines d'or

Et les lacs bleus où s'abîme un soleil

Plus lugubre ; la nuit cerne

Des guerriers mourants, la farouche plainte

De leurs bouches brisées.

Mais sans bruit, dans le creux des pâturages,

Rouge nue où trône un dieu courroucé,

S'amasse le sang répandu, fraîcheur de lune ;

Tous les chemins débouchent dans une noire pourriture.

Sous les ramures d'or de la nuit et des étoiles

L'ombre de la sœur s'en vient par le bois muet, chancelante,

Saluer les âmes des héros,

les têtes ensanglantées,

Et doucement sonnent aux roseaux les sombres flûtes de l'automne.

O deuil où la fierté s'exalte ! O vous autels d'airain !

Une vaste douleur nourrit en ce jour la flamme ardente de l'esprit,

Les descendants non nés encore.

 

Georg Trakl, Vingt-quatre poèmes, préface et traduction de

Gustave Roud, La Délirante, 1978, dans la revue de belles-lettres, p. 179.

 

Grodek

 

Le soir résonnent les fêtes automnales

D'armes et de mort, les plaines dorées,

Les lacs bleus, plus sinistre le soleil

Roule au-dessus d'eaux ; la nuit entoure

Des guerriers mourants, la plainte sauvage

De leurs bouches cassées.

Cependant se rassemble sans bruit dans les pâtures du vallon

De la nuée rouge où habite un Dieu furieux,

Le sang versé, du froid lunaire ;

Toutes les routes débouchent sur la pourriture noire.

Sous les ramures dorées de la nuit et des étoiles

L'ombre de la sœur chancelle à travers le bois silencieux,

Pour saluer les esprits des héros, les têtes ensanglantées ;

Et doucement résonnent dans les roseaux les sombres flûtes de

                                                                            [l'automne.

O deuil plus fier, vous autels d'airain !

Une douleur puissante nourrit aujourd'hui la chaude flamme de

                                                                                [l'esprit,

Les descendants qui ne sont pas nés.

 

Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, Obsidiane, 1989, dans la revue de belles-lettres, p. 182..

 

 

Grodek

 

Am Abend tönen die herbstlichen Wälder

Von tödlichen Waffen, die goldnen Ebenen

Und blauen Seen, darüber die Sonne

Düstrer hinrollt; umfängt die Nacht

Sterbende Krieger, die wilde Klage

Ihrer zerbrochenen Münder.

Doch stille sammelt im Weidengrund

Rotes Gewolk; darin ein zürnender Gott wohnt

Das vergoßne Blut sich, mondne Kühle,

Alle Straßen münden in schwarze Verwesung.

Unter goldnem Gezweig der Nacht und Sternen

Es schwankt des Schwester Schatten durch den schweigenden Hain.

Zu grüßen die Geister der Helden, die blutenden Häupter;

Und leiser tönen im Rohr die dunklen Flöten des Herbstes.

O stolzere Trauer! ihr ehernen Altäre,

Die heiße Flamme des Geistes nährt heute ein gewaltiger Schmerz,

Die ungebornen Enkel.

 

la revue de belles-lettres, 2014, I, Lausanne, p. 176.

 

 

 

 

 

30/10/2014

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit & J.-. Schneider

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                     La tristesse

 

Quelle violence, bouche sombre,

Au-dedans de toi, forme faite

Des années d'automne,

Du calme d'or du soir ;

Un torrent au reflet verdâtre

Dans les cercle d'ombre

Des pins fracassés ;

Un village

Qui meurt pieusement en des images brunes.

 

Voici que bondissent les chevaux noirs

Sur le pâturage brumeux.

O soldats !

De la colline où mourant le soleil roule

Se déverse le sang rieur —

Sous les chênes

Sans voix ! Ô tristesse grondante

De l'armée, un casque étincelant

Est tombé en sonnant d'un front pourpre.

 

La nuit d'automne vient si fraîche,

Avec les étoiles s'illumine

Au-dessus des débris d'os humains

La moniale silencieuse.

 

Georg Trakl,  Œuvres complètes, traduites de l'allemand

par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard,

1972, p. 155.

19/09/2014

Yosa Buson, Haiku, traduction Joan Titus-Carmel

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Buson : Paysage 

 

    La pauvreté

m'a saisi à l'improviste

  ce matin d'automne

 

    Près d'un poirier

je suis venu solitaire

  contempler la lune

 

    Le batelier —

sa perche arrachée des mains

  tempête d'automne

 

    Il brama trois fois

puis on ne l'entendit plus

   le cerf sous la pluie

 

      Une solitude

plus grande que l'an dernier

    fin d'un jour d'automne

 

      Le mont s'assombrit

éteignant le vermillon

des feuilles d'érables

 

Yosa Buson, Haiku, traduits du japonais et

présentés par Joan Titus-Carmel, Orphée/

La Différence, 1990, n.p.

18/05/2014

Les 99 haïku de Ryokan

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Dans la touffeur verte

une fleur de magnolia

en pleine floraison

 

Le ciel clair d'automne

des milliers de moineaux —

le bruit de leurs ailes

 

La fenêtre ouverte

tout le passé me revient —

bien mieux qu'un rêve !

 

Allons, c'est fini !

et moi aussi je m'en vais —

crépuscule d'automne

 

Sur la branche encore

aujourd'hui — mais plus demain —

le fleurs du prunier

 

Le vent de l'été

apporte dans ma soupe

des pivoines blanches

 

Les 99 haïku de Ryokan (1758-1831),

traduits par Joan Titus-Carmel,

Verdier, 1986, np.

14/04/2014

Gerard Manley Hopkins, Reliquae

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      Printemps et automne

 

                                  À une jeune enfant

 

Marguerite, mènes-tu deuil

Sur le Bois-Doré qui s'effeuille ?

Ainsi, de feuilles, comme humaines,

Voici tes frais pensers en peine ?

Ah ! quand le cœur vient à vieillir

C'est, peu à peu, pour s'endurcir

Sans plus gratifier d'un soupir

Un monde effeuillé de bois mort ;

Alors pourtant tu pleureras

Sans laisser de savoir pourquoi.

Mais quelque nom qu'on donne aux peines,

Enfant leurs sources sont les mêmes.

L'âme a deviné, le cœur ouï

Ce qu'esprit ni lèvres n'ont dit :

Si l'homme naît, c'est pour qu'il meure,

C'est Marguerite que tu pleures.

 

            Spring and Fall

 

                                    To a young child

 

Margaret, are you grieving

Over Goldengrove unleaving ?

Leaves, like the things of man, you

With your fresh thoughts care for, can you ?

Ah! as the heart grows older

It will come to such sights colder

By and by, not spare a sigh

Though worlds of wanwood leafmeal lie ;

And yet you will weep and know why.

Now, no matter, child, the name :

Sorrow's springs are the same.

Nor mouth had, no nor mind, expressed

What heard heart of, ghost guessed :

It is the blight man was born for,

It is Margaret you mourn for.

 

Gerard Manley Hopkins, Reliquae, vers proses dessins

réunis et traduits par Pierre Leyris,  Seuil, 1957, p. 79 et 78.

 

 

 

 

 

 

26/03/2014

Yves di Manno, Terre ni ciel

                   Yves di Manno, Terre ni ciel, enfance, école, automne, ville

   L'autobus finit par s'arrêter comme tous les matins à l'angle de deux artères, non loin de l'entrée du lycée. Que se passe-t-il dans l'esprit de l'enfant après avoir pris pied sur le trottoir, lorsque au lieu de rejoindre le portail où s'agglutinent les élèves il s'immobilise soudain, le cœur serré, et lève les yeux vers le ciel ? Le jour tarde à percer dans la pénombre de l'automne, la ville hésite encore à émerger des ténèbres où elle se calfeutre, on ne distingue même pas la ligne des montagnes au-dessus des immeubles. Pourtant, une lueur d'un bleu moins sombre est en train de gagner l'autre versant de la vallée, modelant des formes grotesques dans le volume des nuages. Sont-ce ces silhouettes traversant furtivement le ciel — ou les ombres inquiètes qu'elles répandent dans les rues engourdies ? Le froid qui l'étreint tout à coup comme en écho d'une autre scène, et vient engourdir ses phalanges ? Ou le bleu qui s'étend entre le métal et l'encre, donnant un relief étrange et une beauté fugace aux façades accablées des maisons ? Qui le saurait... D'ailleurs le cours du temps pourrait reprendre — et de l'existence ordinaire — effaçant cet instant suspendu comme un chiffon l'écriture de la veille sur le tableau du maître. C'est à cet instant pourtant que l'enfant va s'écarter pour la première fois, et s'engager sans le savoir dans le chemin qui finira par devenir el sien.

   Au lieu de traverser la rue et de rejoindre l'établissement, il fait en effet demi-tour, son cartable à la main, et part dans le sens opposé.

 

Yves di Manno, Terre ni ciel, "en lisant en écrivant", éditions Corti, 2014, p. 18-19.

17/08/2013

Jacques Réda, Châteaux des courants d'air

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                     Vers l'automne

 

     La lumière en septembre est elle-même un fruit :

     Mûre, elle se détache et, dans l'herbe, sans bruit,

     Tombe, emplissant les bois de juteuses corbeilles

     Où s'empressent les papillons et les abeilles, etc.

 

   Rien, ce soir, ne me paraît plus juste que ces vers d'un poète un peu oublié, et qui me reviennent subitement en mémoire rue Hippolyte-Maindron. On chercherait sans doute ici bien vainement des papillons et des abeilles, mais on y trouverait de l'herbe et l'équivalence d'un bois. Moins à cause des arbres, isolés mais assez nombreux (une cour de la rue du Moulin-Vert abrite même un figuier de belle venue) que de la configuration d'ensemble du quartier. Avec tous les renfoncements qu'on devine derrière l'alignement des façades, avec les passages tortueux par où ils doivent communiquer, elle évoque en effet une forêt impénétrable et ses clairières, gardées par des sentiers secrets. On n'en peut suivre que les lisières, qui donnent cependant quelque idée de ses enchantements, surtout sous le poids lumineux d'un soir de septembre ardent comme l'érable et croulant comme du raisin. Cette forêt minérale est comprise dans un grand triangle isocèle, presque équilatéral, que délimitent l'avenue du Maine, la rue Raymond-Losserand et la rue d'Alésia. On n'en saurait faire l'inventaire, sous peine d'effrayer le merveilleux de certaines  de ses apparitions. Elles ôtent toute certitude quant à la ville où l'on se promène, et qui ne se manifeste elle-même, en cet endroit, que par de rares rappels de ses principaux caractères, tels ces bons immeubles 1900, que leur isolement change à leur tout en figures insolites.

[...]

 

 

Jacques Réda, Châteaux des courants d'air, Gallimard, 1987, p. 53-54.

02/05/2013

Jacques Demarcq, Les Zozios

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                                   le vieux merle

 

Sous la fenêtre de la chambre une pergola. Où magnifique une vigne se mordore au soleil du matin. À chaque grappe, huit ou dix gouttes gorgées de transparence — on dirait du Caravage —

                                         entre des chicots noircis.

 

Les clients ont l'air d'habitués. Deux sansonnets, jeunes plumes à pointes blanches, s'attablent joyeusement face à face. En rien dérangés par la présence de trois merles — aussi ventrus que des bourgeois. De ci de là, entre deux goulées, chacun vole faire un tour dans le potager. Jusqu'au moment où, coïncidence ? tous

                                          ensemble ils se dispersent.

 

Un vieux merle alors, clopin-voletant, d'atterrir sur une patte : l'autre ratatinée dans les fripes en désordre de son plumage. Reprend pied sur la poutre ; un temps ; hoquetant du crâne au milieu des feuilles roussoyantes. Puis tente à tâtons de picorer, picoler un raisin de son bec bouffi de roses porosités — comme

                                          un nez qui aurait trop vécu.

 

Couple et trio restent à l'écart. Perchés sur un toit ou le sapin, ils le laissent vaquer à ses souvenirs fanés. De l'autre côté de la fenêtre ma tante, qui a 89 ans, devient aveugle. De plus en plus

                                           seule dans sa maison.

 

                                                                     Compiègne, octobre 1994

 

Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 40.

24/04/2013

Pierre Chappuis, À portée de la voix

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Avril, embellie

 

   Clarté, soudain de partout rayonne une même clarté.

 

   Elle se laisse emporter à regret, dirait-on, glisse, alanguie, joueuse, enjouée, s'attarde à des embrassades, éprise d'elle-même, disperse ses reflets aussitôt rassemblés que fractionnés ; bientôt se lance à corps perdu dans des rapides, rejaillit de ruade en ruade, impatiente de s'envoyer en l'air.

 

   Ou encore : frondaison de gouttelettes en suspension au-dessous d'une large verrière prenant tout le toit, à l'instant dégagé de son vélum.

 

                                                     *

 

Cortège d'automne

 

   Entre des rives jonchées de confetti et autres cotillons, sans bruit, quels esquifs légers, on dirait aériens défileraient, portant couleur, chacun à son allure ?

 

En réalité, se pressant en foule, se bousculant pour se mettre en place, tout juste s'ils ne chavirent pas.

 

   Un instant pris dans des tourbillons, défaits, dispersés, soudain sans éclat, plus loin de nouveau s'égaient dans le courant apaisé.

 

Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2002, p. 21, 48.

21/11/2012

Lorine Niedecker, Louange du lieu et autres poèmes

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Paul

      quand les feuilles

               tombent

 

leurs tiges

      tapissent

               l'allée

 

à la lumière

       de la ronde tenue

                la lune

 

joue

        pour les feuilles

                  quand elles perdent

 

ces petites

         choses ténues

                   Paul

 

Lorine Niedecker, Louange du lieu

et autres poèmes, traduit par Abigail

Lang, Maïtreyi et Nicolas Pesquès,

Corti, 2012, p. 48.

 

Paul

       when the leaves

              fall

 

from their stems

       that lie thick

              on the walk

 

in the light

       of the full note

              the moon

 

playing

       to leaves

              when they leave

 

the little

       thin things

              Paul

 

Lorine Niedecker, Lorine Niedecker,

Collected Works, edited by Jenne

Penberthy, Universityof California

Press, 2002.

 

 

 

07/08/2012

Ludovic Degroote, Les marronniers

 

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à l'automne les marronniers

font un grand vide

ils désertent la terre

à laquelle ils reviennent

 

eux aussi avaient un ventre

avec une histoire sous les feuilles

et de la mémoire vieillie

qui tombe en s'en allant

 

peut-être même vivent-ils

tant qu'ils tombent

comme nous tombons

tant que nous vivons

 

dans ce grand moment

des disparitions inabouties

nous nous taisons à demi

sans nous perdre tout à fait

 

à l'automne les marronniers

ou je ne sais quoi

dans le retrait de la vie

le silence incomplet de ma mélancolie

 

Ludovic Degroote, Les marronniers, Poètes

au potager, Contre-allées, 2012, 5 €.

Commande : Contre-allées, 16 rue Mizault, 03100 Montluçon

20/07/2012

Marc Guyon, Volis agonal

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Il y a des roses

sous le givre, et le lilas

bourdonne, le jour s'ouvre

d'une caresse.

 

Luxe, chasteté, l'année

vient : à sa surface

la nue calme,

le roseau ivre.

 

          *

 

Saisir le jour

à sa douleur ;

combien l'automne

est doux, grande

l'envolée des oiseaux.

Sommes dignes

d'une joie ?

 

            *

 

Est-ce l'homme

que je croise, pense-t-il

l'avenir, sans une boucle

tendre, sans regard précieux

un instant ?

Les filles

jadis parfumées ?

 

Le bienfait

nous ne le voyons pas,

mais par le songe

illuminé.

 

Marc Guyon, Volis agonal, Gallimard,

1972, p. 18, 37, 75.