17/10/2014
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'oiseau
« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,
Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.
— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,
Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre
Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement
Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.
— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.
— Sans doute pouvez-vous approcher les distances
Si vos yeux 'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.
— Pourtant vous êtes là puisque vous répondez.
— Je réponds à la peu que j'ai toujours de l'homme
Je nourris mes petits, je n'ai d'autre loisir,
Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre
Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.
Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,
Je crains votre pensée comme un coup de fusil.
— Calmez donc votre cœur qui m'entend sous la plume.
— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure
Ah ! vous m'avez tué, je tombe de mon arbre.
— J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau !...
— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! »
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes, édition sous la direction de Michel Collot, Pléiade, Gallimard, 1996, p. 300-301.
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02/07/2014
J. M. G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre
On sait ce qu'il y a à l'intérieur des arbres; On ne le voit pas vraiment avec les yeux, mais on le sent. C'est là, devant moi, comme une armature raidie à l'intérieur du tronc. Les arbres sont immobiles, bien calmes, dans le vent, dans la lumière. Oui, ils sont ainsi. Et pourtant, on sent les flammes dures et brillantes qui sont à l'intérieur de leurs troncs. Jamais on n'a senti à ce point la force cruelle et obstinée de l'existence. Les arbres sont droits et solides. Partout, sur la terre sèche, brûlent les flammes solitaires. Elles sont dressées, debout, pareilles à des flammes, pareilles à des statues, et ces flammes brûlent, à la fois chaudes et froides, denses, faisceaux de lumière concentrée. Autour d'elles, l'espace est nu, vide, silencieux. Toute la vie organique est dans ces flammes qui brûlent sans vaciller.
J. M. G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre, "Le Chemin", Gallimard, 1978, p. 102.
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19/06/2014
Lou Raoul, Else avec elle
L'or Else
la campagne parfois ne dit pas un mot
et les voitures, toutes, s'éloignent
les animaux furtivement dans les taillis, tapis
puis le sifflement des rapaces nocturnes tout près, Else, de ton sommeil
parfois la campagne ne dit pas un mot
mais le matin, Else, tu regardes l'arbre du bout du champ, il vieillit aussi
mais tu rassembles des cailloux
des tas très petits c'est pas grand-chose ça ne pèse pas lourd
ou même c'est rien
mais toi tu vois, Else, leur or
l'or des cailloux
pour que ta vie te serve un peu
Lou Raoul, Else avec elle, éditions isabelle sauvage, 2012, p. 25.
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18/05/2014
Les 99 haïku de Ryokan
Dans la touffeur verte
une fleur de magnolia
en pleine floraison
Le ciel clair d'automne
des milliers de moineaux —
le bruit de leurs ailes
La fenêtre ouverte
tout le passé me revient —
bien mieux qu'un rêve !
Allons, c'est fini !
et moi aussi je m'en vais —
crépuscule d'automne
Sur la branche encore
aujourd'hui — mais plus demain —
le fleurs du prunier
Le vent de l'été
apporte dans ma soupe
des pivoines blanches
Les 99 haïku de Ryokan (1758-1831),
traduits par Joan Titus-Carmel,
Verdier, 1986, np.
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21/12/2013
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace
La folie de Hölderlin
Anecdote
Sur ce dernier rebord
On le voit poser une main qui ne tremble pas
La gentillesse de ce fleuve retrouvé
Ne plus se pencher vers elle, mais rester droit
Sébastien stupéfait de patience.
Les peupliers de Bordeaux
Et la rive glissante de la Garonne
Que suivent les femmes aux dimanches de soie
Maintenant sont plantés sans vibrer
Dans le flanc maintenant immobile
Ce nœud coulant ajuste deux poignets sans les mordre.
Même le soleil
N'est plus ce poignard qui sonne.
Il faut à celui-ci
Un regard qui fraîchisse son front comme une aube
Si tu posais ta main sur ces mains jointes
Le poids tendrait cette corde affilée.
Feins de poser tes yeux avec lui
Sur cet orme qui n'ose plus lui faire signe
Pour ne pas l'éveiller de sa pitoyable divinité.
Ce miel est indulgent à ses lèvres brûlées
Sur la gorge de l'écorché le jour simule une douceur
Mais cet arc tombé de ses mains
L'homme immobile voit peut-être le fleuve où il danse
Le pilier de quel pont il frappe à cette minute
Quel chasseur aux yeux aigus
Le ramasse.
Le 22.IX.38
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace et autres textes, Le temps qu'il fait, 1982, p. 23-24.
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14/04/2013
Tiphaine Samoyault, Bête de cirque
La première fois que j'ai vu tomber un arbre entier, quand le dernier coup porté l'a cassé en deux après que ses branches ont été déposées une à une et que son bruit a précédé sa chute, je ne crois pas avoir plaint l'arbre mais moi qui le voyais tomber. Tandis que debout il était un géant dont la crête m'apaisait, au sol il devenait sans ressemblance. Sa tête n'était plus l'ombre des nuages, il ne ferait plus l'ombre de cette ombre. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Peut-être toutes les ombres que cette chose a portées. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, j'ai vu brusquement tomber du temps, pourtant si lent. On n'entend pas le temps passer dans l'arbre qui pousse mais on l'entend s'effondrer dans l'arbre qui tombe. Le tronc ouvert permet de compter les âges de cet arbre qui ne vieillira plus. Les yeux s'égarent dans cette spire si difficile à suivre qu'on en perd l'âge de l'arbre, de toute façon si vieux. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Un souvenir par seconde et l'âge que nous n'aurons jamais. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, quand la perspective matinale d'une journée d'hiver fut soudain dévisagée par sa chute progressive, j'en ai vu tomber un deuxième peu après. Pareillement la cime puis le houppier puis en deux fois le tronc. On se bouche les oreilles pour ne pas voir, sans pouvoir malgré tout s'empêcher de regarder la stèle qui tombe. Et quand on voit combien aussi celui-là manque, on se dit qu'on a vécu près d'un arbre, qu'on n'y a pas été assez sensible.
Tiphaine Samoyault, Bête de cirque, "Fiction & Cie", Seuil, 2013, p. 151-153.
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29/01/2013
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Donner
I
Donner un arbre est-il possible ?
Cet arbre là, que j'avais sous la main,
Je l'ai donné ou j'ai cru le donner.
J'aurais donné des feuilles de laurier tout aussi bien.
J'ai demandé autour de moi
quelque chose à donner, la première venue.
J'ai vu l'arbre et j'ai dit : l'arbre.
Il résonnait comme un silence où la parole est prête.
L'ai-je coupé ? je ne l'ai pas coupé.
Ai-je parlé de chaque feuille ?
La nuit était di grande ! On aurait dit qu'avec son clair de lune,
elle avait chaque feuille à elle ;
et elle a emporté dans son silence mon silence intact.
Qu'ai-je donné ? Est-ce qu'on donne ?
La moindre pierre ne m'appartient pas.
C'est par la nuit que tu me tiens, ma belle.
C'est par la nuit que je disparaîtrai.
II
Qui ne s'est retourné dans sa nuit
étonné d'être noir aussi ?
J'ai reconnu l'immensité
sans être immense.
J'ai dit : venez puisque le ciel
semble sur moi pour qu'on en vienne !
Trop fort à quelques draps peut-être j'ai tenu ;
trop fort à ma chaleur contre les vents étranges.
Dans la nuit j'ai construit ma nuit,
j'ai couché mon ombre avec l'ombre.
Le plaisir a pris mon plaisir.
Mon souffle m'a donné au vent.
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966,
p. 112-113.
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