17/03/2021
Virgile, Le souci de la terre (nouvelle traduction des Géorgiques)
Oh quelle chance les paysans
Ils ne connaissent pas leur bonheur
Loin des rames ennemies, la terre très juste leur offre d’elle-même une nourriture facile
Ils n’ont pas de grandes maisons qui vomissent par de magnifiques portes dès les saluts du matin un flot gigantesque de courtisans
Ils ne rêvent pas de linteaux ouvragés en belle écaille
Ni d’habits brodés d’or
Ni de cuivres d’Éphyre
Pour eux, on ne teint pas la laine blanche de pigments d’Assyrie
On ne sert pas une huile d’olive pure, gâchée par la cannelle
Mais repos sans soucis
Vie sans mensonges, riche de ressources variées
Pouvoir paresser devant les grandes étendues
Grottes, lacs, eaux vives, vallées fraîches
Mugissement des bœufs
Siestes molles sous un arbres
Rien ne manque
Bois, tanières des bêtes
Jeunesse endurante, travailleuse et habituée à peu
Culte des dieux et des Anciens vénérés
Ici dernières traces de la Justice abandonnant la terre
Virgile, Le souci de la terre, traduction des Géorgiques par Frédéric Boyer, Gallimard, 2018, p. 141-142.
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15/09/2019
Joseph Joubert, Carnets, II
Pour bien présider un corps d’hommes médiocres et mobiles, il faut être mobile et médiocre comme eux.
Il vaut mieux être voyant que dialecticien ou tâtonneur.
Virgile n’eût été, au temps de Numa, qu’un villageois joueur de chalumeau.
Pour bien faire, il faut oublier qu’on est vieux quand on est vieux et ne pas trop sentir qu’on est jeune quand on est jeune.
Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 462, 481, 483, 491.
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07/09/2019
Virgile, Le souci de la terre
La terre ouverte par le croc de la bêche donne assez d’humidité, et par le soc, des fruits lourds
Nourrir ainsi l’olive grasse, si chère à la paix
Les arbres fruitiers aussi, ils sentent s’affirmer la vigueur d e leur tronc puissant, ils se tendent vigoureusement vers les étoiles, sans besoin de notre aide
Et c’est toujours la forêt qui se charge de fruits
Les bois sauvages qui rougissent de baies de sang
Les troupeaux dévorent les cytises
Les hautes forêts fournissent des torches et alimentent les feux de la nuit pour répandre la lumière
Oh les hommes hésitent à planter des arbres et à en prendre soin
Virgile, Le souci de la terre, traduction du latin Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, p. 138.
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30/12/2012
Pierre Michon, Les Onze
Je vous prie, Monsieur, d'arrêter votre attention sur ceci : que savoir le latin quand on est Monseigneur le Dauphin de la Maison de France et le fils de Corentin la Marche, ne sont pas une seule et même chose ; ce sont même deux choses diamétralement opposées : car quand l'un, le dauphin, lit à chaque page, à chaque désinence, à chaque hémistiche, une glorieuse ratification de ce qui est et doit être, dont il fait lui-même partie, et que levant les yeux par ailleurs entre deux hémistiches, il voit par la fenêtre des Tuileries le grand jet d'eau du grand bassin et derrière le grand bassin sur les chevaux de Marly la Renommée avec sa trompette, l'autre, François Corentin, qui relève la tête vers des futailles et de la terre de cave gorgée de vin, l'autre voit dans ces mêmes désinences, ces mêmes phrases qui coulent toutes seules et trompettent, à la fois le triomphe magistral de ce qui est, et la négation de lui-même, qui n'est pas : il y voit que ce qui est, même et surtout si ce qui est paraît beau, l'écrase comme du talon on écrase une taupe.
De cela , Monsieur — et surtout de ce que Corentin le père bien sûr ne savait pas lire, mais encore à peine parler, et seulement patois, excellait seulement dans le savant mélange de vins violets et d'alcools blancs ; de ce que sa présence, sa vie, était à elle seule pour qui lit Virgile, une honte inexpiable (ce qui bien sûr quand on lit Virgile, quand vraiment on le lit avec le cœur, et non pas à la façon déboussolée d'un écolier limousin, est un solécisme inexpiable, mais ceci est une autre affaire) ; de ce que, privé de langage, le père l'était aussi de ce qu'on appelle l'esprit ; que d'ailleurs s'il s'était avisé d'avoir de l'esprit et de jurer lui aussi que Dieu est un chien cela aurait donné quelque chose d'informe qu'on peut transcrire à peu près par Diàu ei ùn tchi, une sorte d'éternuement — de cela tout découle, tout ce qui nous intéresse : la curiosité intellectuelle, la volonté, l'âpreté littéraire, et pour finir l'impeccable réversion de l'injure patoise en petits sonnets anacréontiques ; le grand couteau limousin tout à fait dissimulé dans des bouquets de fleurs versifiables [...]
Pierre Michon, Les Onze, Verdier, 2009, p. 39-41.
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