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13/06/2015

Antonio Porta, Les rapports

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                      Que peut-on justifier ?

 

                                                                             à Edoardo Sanguineti

 

I

 

Prends garde à ce mois de juin vénéneux, privé de racines et de

fourmis, ce discours n’a aucun sens, plus, tout le monde

le sait, si vous voulez savoir quelque chose des origines de la vie,

elle n’est pas d’origine, du monde, s’en moque, plus,

ce mois de juin n’est pas né, sachez-le, cessez de penser

à l’argent et choisissez, entre l’histoire et le drame ou

la tragédie, la vérité, je crois, et les faits tels quels, si

il n’y a pas de lieu, où l’on est né, ni la maison, personne

ne sait où c’est, et ainsi ne m’écoutez pas et je vous dis de

lui couper les bras, ce sera extraordinaire, qu’ils se libèrent

les grands seins, et mâchez, jusqu’au bout, dedans

la société et ses légendes, petites et grandes lèvres, dans

le parc qu’il s’invente, dans les buissons, pour enflammer le pénis,

où l’on court, au sens métaphorique, car en réalité

je suis à bout de souffle.

 

[...]

Antonio Porta, Les rapports, traduit de l’italien par Caroline Zekri, préface d’Alessandro De Francesco, postface de Judith Balso, NOUS, 2015, p. 108.

23/05/2015

Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses

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Nicolas de Staël

 

   Tellement de force dans le geste, dans la simplicité, le dépouillement des formes, tellement de violence, d’intensité dans les couleurs qu’on est comme précipité dans l’immobilité d’une tourmente, tout à la fois transporté et cloué sur place. Plénitude et gouffre.

 

Désarroi de la lecture

 

   Lire : triturer, malaxer, tordre et détordre au plus près d’une vérité qui échappe.

   Des notes de lecture éparses sur la table, réduites au strict minimum, parfois plus développées, des phrases ou bribes de phrases recopiées, des réflexions adjacentes, d’inattendus croisements de chemins, une errance sans but, inquiète et captivante : le livre lu et relu se défait, soumis à une véritable mise en pièces — en vue de quelle remise en état pour l’instant douteuse, impossible, quelle reconstitution toujours à remettre en cause ?

 

Pierre Chappuis, La rumeur de toutes choses, Corti, 2007, p. 80, 84-85.

11/04/2015

Ambrose Bierce, Épigrammes

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   La mise à l’épreuve de la vérité est la Raison, et non la Foi ; car les prétentions de la Foi doivent, elles aussi, être soumises au tribunal de la raison.

 

  Adam considérait sans doute Ève comme la femme de son choix et attendait une certaine gratitude pour l’honneur de lui avoir accordé cette préférence.

 

   La mort n’est pas la fin ; reste le litige sur l’héritage.

 

   On peut se savoir laid, mais il n’existe pas de miroir pour le comprendre.

 

   Le bonheur est perdu quand on le critique ; le chagrin, quand on l’accepte.

 

   Tant que vous avez un futur, ne vivez pas trop dans la contemplation de votre passé ; à moins que vous n’aimiez marcher à reculons, le miroir est un piètre guide.

 

Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 33, 35, 38, 43, 47, 53.

11/02/2015

Georges Braque, Le jour et la nuit, carnets 1917-1952

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Nous n’avons jamais de repos : le présent est perpétuel.

 

En art, il n’y a pas d’effet sans entorse à la vérité.

 

Le peintre pense en formes et en couleurs ; l’objet, c’est la poétique.

 

Le peintre ne tâche pas de reconstituer une anecdote, mais de constituer un fait pictural.

 

J’ai le souci de me mettre à l’unisson de la nature, bien plus que de la copier.

 

Écrire n’est pas décrire, peindre n’est pas dépeindre.

 

Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p. 11, 12, 13, 13, 14, 15.

 

22/05/2014

Octavio Paz, Liberté sur parole

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La vie tout simplement

 

Appeler le pain par son nom  et que se pose

sur la nappe le pain de chaque jour ;

faire la part du feu, donner à nos rêves,

au bref paradis, à l'enfer,

au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;

rire comme rit la mer, comme le vent rit,

sans que le rire sonne comme des bris de verre ;

boire et dans l'ivresse posséder la vie ;

danser sans perdre le tempo ;

toucher la main d'un inconnu

par un jour de pierre et d'agonie

et que cette main ait la fermeté

que n'eut pas la main de l'ami ;

passer par la solitude sans que le vinaigre

torde ma bouche, ni que le miroir

repère mes grimaces, ni que le silence

se hérisse dans un grincement de dents :

ces quatre murs — papier, plâtre,

tapis chiche, foyer jaunâtre —

ne sont pas encore l'enfer promis ;

que ne me blesse plus ce désir,

gelé par la peur, plaie froide,

brûlure de lèvres non embrassées :

l'eau claire jamais ne suspend son cours

et certains fruits tombent mûrs ;

savoir partager le pain — et le partage,

le pain d'une vérité commune à tous,

vérité de pain qui nourrit notre faim

(si je suis homme, c'est par son levain,

un semblable parmi mes semblables) ;

lutter pour que vivent les vivants,

donner vie aux vivants, à la vie,

et enterrer les morts et les oublier

comme la terre les oublie : comme des fruits...

et qu'à l'heure de ma mort j'arrive

à mourir comme les hommes et que me soit donné

le pardon, et la vie perdurable

de la poussière, des fruits, de la poussière.

 

Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,

Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.

27/02/2014

Jean de Sponde, Œuvres littéraires, Les amours

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                       Les amours

 

                           XXIII

 

   Il est vray, mon amour estoit sujet au change,

Avant que j'eusse appris d'aimer solidement,

Mais si je n'eusse veu cest astre consumant,

Je n'aurois point encor acquis ceste loüange.

 

 

   Ore je voy combien c'est une humeur estrange

De vivre, mais mourir, parmy le changement,

Et que l'amour luy mesme en gronde tellement

Qu'il est certain qu'en fin, quoy qu'il tarde, il s'en vange.

 

   Si tu prens un chemin apres tant de destours,

Un bord apres l'orage, et puis reprens ton cours,

En l'orage, aux destours, s'il survient le naufrage

 

   Ou l'erreur, on dira que tu l'as merité.

Si l'amour n'est point feint, il aura le courage

De ne changer non plus que fait la verité.

 

Jean de Sponde, Œuvres littéraires, introduction et notes par Alan Boase, Droz, 1978, p. 71.