25/09/2017
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood
Une ombre peut-être, rien qu’une ombre inventée
Et nommée pour les besoins de la cause
Tout lien rompu avec sa propre figure.
Se faire entendre une voix venue d’ailleurs
Inaccessible au temps et à l’usure
Se révèle non moins illusoire qu’un rêve
Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure
Même après que s’en est perdu le sens
Son timbre vibre encore au loin comme un orage
Dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va.
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood,
Fata Morgana, 1988, p. 44.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-rené des forêts, poèmes de samuel wood, ombre, voix, temps | Facebook |
13/06/2017
Christophe Manon, Au nord du futur
Au milieu de la nuit, le jour
3.
à redire ou bien est-ce le murmure de la terre ondulant
sous l’averse ? Franchissant l’enceinte sacrée du temps et avançant en circonvolutions sur un chemin de traverse, suivant telle bifurcation, puis telle autre, puis revenant à un point qui n’est pas
exactement comme celui du départ, comme les émigrants, ils s’adonnent au mouvement et à l’errance, empruntant avec souplesse les méandres labyrinthiques du récit. Et cependant, l’amour est un éclat fugace que les mots ne font qu’effleurer. Il se manifeste par un flux d’intensité lorsque nous vibrons. J’entends
par là qu’il ne s’agit pas d’une disparition : quelque chose demeure et accompagne nos gestes et nos pensées, c’est pourquoi, parfois le cœur semble si lourd. Voici ce que démontre l’axiome de l’empathie qui se matérialise par un équilibre précaire et fragile à mesure
qu’il s’évapore provoquant des taches de hasard sombres et pensives, des frémissements syntaxiques, de légères vibrations dans les lignes de terre, des tremblements de l’atmosphère comme sous l’effet d’une chaleur intense. […]
Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 49.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christophe manon, au nord du futur, averse, temps, départ, amour, équilibre | Facebook |
13/04/2017
e. e. cummings, 95 poèmes
16
au temps des jonquilles (au courant
que l’on vit pour devenir grand)
oubliant pourquoi, rappelle-toi comment
au temps des lilas qui conseillent
c’est afin de rêver qu’on veille
rappelle-toi comment (oubliant pareil)
au temps des roses (qui stupéfient
notre ici maintenant de paradis)
oubliant les mais, rappelle-toi les oui
au temps de ces choses bien plus douces
que tout ce qui à l’esprit touche
rappelle-toi chercher (oubliant qu’on trouve)
et dans un mystère qui sera
(quand le temps du temps nous délivrera)
m’oubliant rappelle-toi de moi
e. e. cummings, 95 poèmes, traduit et présenté
par Jacques Demarcq, Points/Seuil, 2006, p. 44.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Cummings, Edward Estlin | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : e. e. cummings, 95 poèmes, ; jacques demarcq, oubli, temps, mystère, recherche | Facebook |
28/03/2017
Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages et bestiaires en surimpression,
Le vent a troussé les ombrelles
le lac est sombre, le parc s’égoutte.
Aux eaux, où il s’est établi
quelques semaines voici trois mois,
la pluie rebute les curistes
pour le plaisir d’irréductibles
qui, comme lui, ont cette prétention,
la seule, d’apprivoiser le temps.
La bulle, comme l’éprouvette,
la trouvaille plus ou moins gonflée
mais repues de gaz, de vapeur.
On avance, oui, on avance
et vous aurez bientôt un bruit
d’une saloperie inouïe.
Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages et
bestiaires en surimpression, suivi de, BÂT.B2, Le
bruit du temps, préface de Jean Roudaut,
2017, p. 68 et 96.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèmes costumés avec attelages et bestiaires en surimpression, pluie, temps, bruit | Facebook |
24/03/2017
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau
À Bagdad
il y a des yeux comme des soleils voilés
à Bagdad partout sur la terre
il y a des yeux comme des soleils voilés
mais c’est si loin à Bagdad
parce qu’on ne tue pas que le temps…
tu disais hier encore
nous étions tous des anges
aujourd’hui je ne vois plus le paysage
j’appelle je dis ce n’est qu’un geste
comme si l’ombre venait de la parole
parce qu’on ne tue pas que le temps
cette voix qui n’en finissait pas
d’être et de se perdre
là où le cœur est sans pourquoi
cette voix qui n’en finissait pas…
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau, sérigraphies
D’Élisabeth Bard, Æncrages & Co, 2015, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gilbert vautrin, anges et corbeau, bagdad, yeux, paysage, temps, voix | Facebook |
06/02/2017
Louis Dubost, Fin de saison
Au lever du jour
la nuit se vide d’un coup
chaque matin
c’est comme ça
la bouche sèche
dès que le corps
petit à petit consent
à se mettre à jour
à remplir le temps
comme une brouette
puis le verser en vrac
encore plus loin
l’ombre l’accompagne
en peau de chagrin
un peu plus recroquevillée
sous le soleil toujours plus haut.
Louis Dubost, Fin de saison,
le phare du cousseix, 2017, p. 8.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis dubosc, fin de saison, lever du jour, corps, temps, ombre | Facebook |
03/02/2017
Laurent Fourcaut, Arrière saison
Pas d’histoire
À toute force il faut narrer sinon on crève
le sens est à ce prix quel ennui ! le mouvant
cours des êtres des choses pris dans ce carcan
dépérit. On raconte tant de trucs sur Ève
comment la jouerez-vous ailleurs qu’en la vie brève ?
Sanglante fin d’été de ce sang qu’écrivant
on tire sans arrêt du petit pélican,
il hante le regard lutte contre le rêve.
Ne me parlez pas d’histoire je n’en veux point
je veux l’effondrement dans la meule de foin
l’abrupte samba des corps danse imperceptible
à qui danse le goût qu’on prend au doux comptoir
où le temps se la coule sans faire d’histoir
e où l’on existerait enfin hors de la Bible.
Laurent Fourcaut, Arrière saison, Le Miel de l’Ours, 2016, p. 9.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laurent fourcaut, arrière saison, histoire, narration, vie brève, été, temps | Facebook |
14/12/2016
John Clare (1793-1864), Poèmes et proses de la folie
Je sens que je suis
Je sens que je suis je sais seulement que je suis
Que je foule la terre non moins morne et vacant
Sa geôle m’a glacé de sa ration d’ennui
A réduit à néant mes pensées en essor
J’ai fui les rêves passionnés dans le désert
Mais le souci me traque — je sais seulement que je suis
J’ai été un être créé parmi la race
Des hommes pour qui ni temps ni lieux n’avaient de bornes
Un esprit voyageur qui franchissait l’espace
De la terre et du ciel comme une idée sublime —
Et libre s’y jouait comme mon créateur
Une âme sans entraves — comme l’Éternité
Reniant de la terre le vain le vil servage
Mais à présent je sais que je suis — voilà tout
John Clare, Poèmes et proses de la folie de John Clare, traduction
Pierre Leyris, Mercure de France, 1969, p. 81.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john clare, poèmes et proses de la folie, terre, rêve, temps, lieu | Facebook |
21/11/2016
John Taylor, Hublots / portholes, peintures de Caroline François-Rubino
On pourrait sans difficulté relire une partie de la littérature française (pas seulement, mais soyons modestes) à partir du thème de la fenêtre, passage entre le dedans et le dehors. On se souvient du duc de Nemours voyeur, la nuit, de son aimée dans La Princesse de Clèves, et de l’invitation de Baudelaire, dans Le Spleen de Paris, à découvrir l’intime, également la nuit : « Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. » ("Les Fenêtres"). Aussi souvent la fenêtre ouvre sur le public, parfois l’inconnu, et l’on pense à la prison de Fabrice, aux Fenêtres de Mallarmé, à Emma Bovary, etc. Paul de Roux, à Paris, regardait de sa fenêtre le mouvement des nuages, la lumière, pour relire un poème d’ Apollinaire : « Tu soulèveras le rideau. Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre. (…) La fenêtre s’ouvre comme une orange. Le beau fruit de la lumière ». Le hublot est aussi une fenêtre, d’un genre particulier puisqu’elle n’est pas ouverture sur un dehors public.
Que voit-on ? Toujours : la mer, les infinies variations de l’eau, crêtes et creux des vagues, et ce qui s’y trouve : une île, un autre bateau ; ou, à l’approche de la terre, une falaise. Selon le moment, les formes changent, nettes sous le soleil, indistinctes, troubles, devenant confuses, s’effaçant presque avec la brume ou le soir venu ; les couleurs se transforment, du gris le plus profond au bleuâtre. Tous ces mouvements disparaissent avec la nuit et seuls les mots peuvent restituer cette absence et, tout aussi bien, ce qui est imaginé, qui prend aussi diverses formes.
C’est surtout cet imaginaire construit dans l’espace du hublot que peint Caroline François-Rubino. Ici pourra-t-on reconnaître la mer et ses mouvements, là le ciel et ses transformations selon l’heure, la saison, mais toujours les nuances et les arrangements du bleu qui laissent toute latitude pour inventer tous les paysages possibles. Ces peintures suggèrent que l’on peut, en laissant errer le regard, voir derrière le hublot des mondes inconnus, ce que dit le poème : il y a, aussi, une fenêtre pour revisiter le temps,
Le hublot
de la mémoire
cercler
teinter de bleu
ce qui est
un vide blanc
Poèmes et peintures conversent, se répondent, d’une certaine manière se commentent ; l’utilisation de la seule couleur bleue est en accord avec le caractère condensé des poèmes en anglais, fort bien adaptés en français. Ce lien très fort entre image et texte donne au livre une unité que n'ont pas toujours les "livres d’artiste".
John Taylor, Hublots portholes, peintures de Caroline François-Rubino, édition bilingue, traduction de Françoise Daviet, L’œil ébloui, 2016, 32 p., 13 €.
Cet article a paru dans Libr-critique.com, revue de Fabrice Thumerel, le 7 novembre 2016.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john taylor, hublots portholes, caroline françois-rubino, fenêtre, mer, temps, mémoire, bleu | Facebook |
10/09/2016
Pascal Guignard, Sur le jadis
Chapitre LVI
Le rêve est ce qui fait apparaître comme étant là des êtres absents, ou éloignés, ou disparus, ou morts. Ils sont là mais le « là » où ils séjournent n’est pas une dimaension spatiale (pour le vivant) ni temporelle (pour le mort). Le « il est là dans le rêve » renvoie à un là qui est avant le temps (comme il est l’est dans le rêve). Ce « là » du rêve précède chez les vivipares le « là » où projette la naissance atmosphérique. Le temps qui vient déchirer le « là » ne l’apporte pas. Il y a un « jadis » distinct de l’ontogenèse dt de la phylogenèse et de l’histoire. Si je le nomme jadis, c’est en sorte de bien le distinguer de tout passé.
Pascal Quignard, Sur le jadis, Folio/Gallimard, 2004, p. 157.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, sur le jadis, rêve, le "là", naissance, temps, espace, passé | Facebook |
04/08/2016
Laurine Rousselet, nuit témoin
quelque chose ajoute à la piqûre
une densité
qui ressort de la douleur
le chemin dans le rêve
voiles
claquements
cruauté
la limite en suspens
la tête sur l’oreiller
écrire creuse
ce qui me reste de cœur
fuir avec eux
deux petits
*
le temps sur le cœur ravale
la puissance cogne sur l’aspérité
la ventre a volonté d’ébranlement
derrière la tête rien n’est fixe
à loin il y a l’immédiat accolé
le trou
l’odeur dessine la rencontre
le regard de l’autre
le sexe brûlant joue courbure
une fracture où mourir s’effondre
Laurine Rousselet, nuit témoin,
Isabelle sauvage, 2016, p. 9-10.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laurine rousselet, nuit témoin, écrire, temps, sexe | Facebook |
29/06/2016
Li Yù (937-978), Les sens de l'Absent
Tracé sur un mouchoir comme sur une tablette funéraire
Pâle et frêle
Notre vie a flotté.
Mes années de vigueur
Ont perdu ta grâce et ta beauté.
[Le mouchoir] essuie la sueur
De ta main. Reste une tache
Qui embaume.
Il te touche le sourcil.
Demeure la ténèbre du fard.
Li Yù (937-978), Les sens de l’Absent, traduit
du chinois et présenté par Thierry Faut, dans
L’étrangère, n° 40-41, décembre 2015.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : li yù (937-978), les sens de l’absent, temps, usure | Facebook |
10/02/2016
Antoine Emaz, Soirs
accorder la langue
sur peu de choses
là ce soir
seul
avec
le jour en vrac
tout est passé
restent l'herbe
quelques feuilles tordues sèches
le froid clair encore le mur
entre l'herbe et le mur
la lumière glace
à chaque fois renvoie
une paroi de froid
à la fin le crépi
craque gris
dans le soleil qui baisse
voilà
peu de choses
dans un temps bref où passent
beaucoup de morts trop
vite
la vie dure
poser le peu comme simple
autant que possible
l'œil ras
dans l'herbe courte
les mots
on ne sait pas trop
ils tracent comme des bouclettes
des mèches de sens sans
tête
même hors vent ils frisent
quand sur la table
une bouteille tient nette
sa forme
pour bien faire il faudrait
des mots cendriers lourds
des pavés de verre clair quand
dehors brûle
[...]
Antoine Emaz, Soirs, Tarabuste,
1999, p. 74-77.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, soirs, langue, temps, vents | Facebook |
09/01/2016
Eugène Savitzkaya, Nouba
[...]
y a-t-il quelqu’un
à côté d emoi ?
qui partagera ma couche ?
où serai-je demain ?
demain sera-t-il ?
serai-je demain ?
où demain sera-t-il ?
qu’en sera-t-il demain ?
de qui sont ces os ?
qui tient à ses os ?
où serons-nous demain ?
qui boit mon sang ?
ai-je du sang ?
que dit le sang ?
qui saigne ?
à quelle heure saigne-t-on ?
saigne-t-on à sa guise ?
où est mon mari ?
mon mari est-il ?
est-il mon mari ?
qui est contre mon cœur ?
contre qui est mon cœur ?
qui contient mon cœur ?
que contient mon cœur ?
où est ma fiancée ?
qui est ma fiancée ?
ai-je une fiancée ?
on se fiance ?
qui se fiance ?
se fiance-t-on ?
fiance-t-on ?
comment faire ?
on nous flétrit ?
nous flétrit-on ?
qui est au timon ?
qui nous émascule ?
qui est l’homme ?
qui est la femme ?
quel temps fait-il ?
fait-il du temps ?
du temps se fait-il ?
comment se fait le temps ?
où se fait-il ?
[...]
Eugène Savitzkaya, Nouba, Yellow Now
(Crisnée, Belgique), 2007, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Savitzkaya Eugène | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eugène savitzkaya, nouba, aimer, fiancée, temps, sang, cœur, demain | Facebook |
29/11/2015
James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne
J’ai bien conscience souvent que j’écris en mêlant les temps verbaux comme si je voulais mettre ensemble dans un temps présent aussi bien le passé que ce qui ressemble à du futur quand on se prend à rêver, à dire les mots « demain », « plus tard » : le désir d’un présent qui serait aussi bien l’infini que l’éternité dans le plus fugitif arrêt du temps qu’on s’imagine pouvoir vivre. Ce présent, qui ne peut exister pour nous qui n’en finissons pas de vieillir, n’est-il pas la pupille de cet œil de l’oubli dans laquelle je n’ai jamais rien vu pour la bonne raison que n’existant sans doute pas je ne peux que penser ce présent comme une tache aveugle de mon existence, un trou noir dans lequel toute celle-ci s’engouffre lentement jusqu’à la mort.
James Sacré, Dans l’œil de l’oubli suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 16-17.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, dans l’œil de l’oubli, présent, passé, écriture, temps, mort | Facebook |