04/06/2019
John Clare, Poèmes et proses de la folie
Je suis
Je suis ce que je suis pourtant personne ne le sait ni n’en a cure
Mes amis m’ont abandonné comme on perd un souvenir
Je vais me repaissant moi-même de mes peines —
Elles surgissent pour s’évanouir —armée en marche vers l’oubli
Ombres parmi les convulsives les muettes transes d’amour —
Et pourtant je suis et je vis — ainsi que vapeurs ballotées
Dans le néant du mépris et du bruit
Dans la vivante mer des rêves éveillés
Où nul sentiment de la vie ne subsiste ni du bonheur
Rien qu’un grand naufrage en ma vie de tout ce qui me tient à cœur
Oui même mes plus chers soucis — les mieux aimés
Sont étrangers — plus étrangers que tout le reste
Je languis après un séjour que nul homme n’a foulé
Un endroit où jamais encore femme n’a souri ni pleuré —
Pour demeurer avec mon Dieu mon Créateur
Et dormir de ce doux sommeil dont j’ai dormi dans mon enfance
Sans troubler — moi-même introublé où je repose
L’herbe sous moi — couvert par la voûte du ciel
John Clare, Poèmes et proses de la folie, traduction Pierre Leyris, 1969, p. 77 et 79.
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02/03/2019
John Clare, Poèmes et proses de la folie
Solitude
Il y a dans la solitude un charme heureux
Un sentiment dont le monde ne connaît rien
Un vert délice que chérit l’esprit blessé
Une fois retranché de ce monde brutal
Dont la joie criminelle est de railler le bien
Sa verte geôle lui procure du plaisir
La renarde ne le fuit pas les oiseaux rient
Il vie en Crusoë de son champ dont les chênes
Abritent vert foncé son méridien loisir
John Clare, Poèmes et proses de la folie, traduction
Pierre Leyris, Mercure de France, 1969, p. 91.
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14/12/2016
John Clare (1793-1864), Poèmes et proses de la folie
Je sens que je suis
Je sens que je suis je sais seulement que je suis
Que je foule la terre non moins morne et vacant
Sa geôle m’a glacé de sa ration d’ennui
A réduit à néant mes pensées en essor
J’ai fui les rêves passionnés dans le désert
Mais le souci me traque — je sais seulement que je suis
J’ai été un être créé parmi la race
Des hommes pour qui ni temps ni lieux n’avaient de bornes
Un esprit voyageur qui franchissait l’espace
De la terre et du ciel comme une idée sublime —
Et libre s’y jouait comme mon créateur
Une âme sans entraves — comme l’Éternité
Reniant de la terre le vain le vil servage
Mais à présent je sais que je suis — voilà tout
John Clare, Poèmes et proses de la folie de John Clare, traduction
Pierre Leyris, Mercure de France, 1969, p. 81.
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