26/03/2014
Yves di Manno, Terre ni ciel
L'autobus finit par s'arrêter comme tous les matins à l'angle de deux artères, non loin de l'entrée du lycée. Que se passe-t-il dans l'esprit de l'enfant après avoir pris pied sur le trottoir, lorsque au lieu de rejoindre le portail où s'agglutinent les élèves il s'immobilise soudain, le cœur serré, et lève les yeux vers le ciel ? Le jour tarde à percer dans la pénombre de l'automne, la ville hésite encore à émerger des ténèbres où elle se calfeutre, on ne distingue même pas la ligne des montagnes au-dessus des immeubles. Pourtant, une lueur d'un bleu moins sombre est en train de gagner l'autre versant de la vallée, modelant des formes grotesques dans le volume des nuages. Sont-ce ces silhouettes traversant furtivement le ciel — ou les ombres inquiètes qu'elles répandent dans les rues engourdies ? Le froid qui l'étreint tout à coup comme en écho d'une autre scène, et vient engourdir ses phalanges ? Ou le bleu qui s'étend entre le métal et l'encre, donnant un relief étrange et une beauté fugace aux façades accablées des maisons ? Qui le saurait... D'ailleurs le cours du temps pourrait reprendre — et de l'existence ordinaire — effaçant cet instant suspendu comme un chiffon l'écriture de la veille sur le tableau du maître. C'est à cet instant pourtant que l'enfant va s'écarter pour la première fois, et s'engager sans le savoir dans le chemin qui finira par devenir el sien.
Au lieu de traverser la rue et de rejoindre l'établissement, il fait en effet demi-tour, son cartable à la main, et part dans le sens opposé.
Yves di Manno, Terre ni ciel, "en lisant en écrivant", éditions Corti, 2014, p. 18-19.
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