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15/03/2023

Oswald Egger, Rien qui soit

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Jour et nuit font deux ans

 

Je ne suis pas un vagabond, n’ai dieu merci rien d’autre

à faire. Maintenant j’ai avancé me suis assis sur l’heure

héliocentré, comme fonte des prés des taches claires, debout (à

ce moment), écoutai épiant des clins d’instants (éventails

de champs). Je veux teindre des tons (ils appellent). Alors j’ai vu

plus belles larves de plis (fleurs de gorges, avec textures

d’incises fusionnaires) émaillées sur quenouilles.

Leur jeu aussi est mimant (remarquable), au jour elles s’ef

feuillent, se scindent roulent leurs roues solaires, et finalement

ne reste qu’une glume membraneuse, une translucide

robe de points (fleurs ?) sur rosettes pressées en nid velu

et les jeunes pousses y folâtrant dominos (calendage avec

aigrettes. Maintenant se tiennent en lignes (inclinent têtes

et commencent un ton plaintif loquetant en lilas trilles leur

 

pariade chantée. (…)

  

Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction René-René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 16.

 

14/03/2023

Oswald Egger, Rien, qui soit

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Au milieu de la vie je me retrouvai comme dans une forêt (sans chemin). Je marchais entre les ronces qui à gauche, à droite, à gauche rougeoyaient. Les arbres gris cendre se dressaient, lisses et droits, flamboyant comme des colonnes écorcées ou des fumées s’élevant sans vent, leurs pousses distantes entre eux de trois quatre pas formaient rempart de bois, aux surfaces bombées ou planes, rocs et sapins, ondulations sans tige ni hampe, pendulations dans une forêt de paille, coupé du sentier, ou étais-je ? étais-je ?  encore piétinai monte-pente, ne sachant si le chemin ressurgirait, en raidillon qui toujours s’engendre lui-même, arbre après arbre, quand la forêt elle-aussi se rangea et agrandit le champ de la vision devant elle, vers l’ouvert.

 

Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction Jean René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 89.

 

12/03/2023

Yves di Manno, Lavis

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(l’estampe)     (exergue)

 

longtemps j’ai cherché dans

le poème l’ombre

d’une mémoire plus vaste`

que la mienne

 

aujourd’hui sans oser

écrire j’attends — l’encre l’estampe ?

lz forme vers laquelle

me conduit la strophe

 

inscrire la — poésie peinte ?

au revers d’une

vie nouvelle — toile mentale

 

inaugurale ? — augurant d’un

temps sans dessein — abolissant

essence & sens — signes destins ?

 

Yves di Manno, Lavis, Flammarion,

2023, p.9.

11/03/2023

Yves di Manno; Lavis

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une vue

cheminant vers

 

quel paysage effacé

 

enfermant la vison

 

dans les plis

du papier

 

        *

 

une mue ?

 

s’acheminant

vers un corps sans

 

passé ni lendemain

 

une peinture sans paysage

 

un poème

hors du langage

 

Yves di Manno, Lavis,

Flammarion, 2023, p. 106-107.

10/03/2023

Elisabeth Browning, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue du sonnet anglais

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Si tu dois m’aimer, que cela soit pour rien

Que l’amour même. Ne dis pas : « Je l’aime pour

Son regard... son sourire... ou les doux discours

Qu’elle peut formuler ... ou parce qu’elle tient

Le même tour que moi de pensée, qui fut bien

Source d’agréments importants, tel ou tel jour »,

Car ces choses, Aimé, peuvent changer toujours,

En soi, ou bien pour toi — et l’amour, ainsi teint,

Peut être aussi déteint. Ne va non plus m’aimer

Du fait que ta pitié sèche mes joues — car celle

Que tu réconfortais, oubliant de pleurer,

Perdrait aussi ton affection conditionnelle !

Aime-moi pour l’amour de l’amour : qu’à jamais

Tu continues d’aimer dans l’amour éternel.

 

Elisabeth Browning, dans Le Chaos dans 14 vers,

anthologie bilingue du sonnet anglais composée et

traduite par Pierre Vinclair, lurlure, 2023, p. 197.

09/03/2023

John Donne, Le Chaos dans 14 vers

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C’est la scène finale de ma pièce ; ici

Les choix fixent l’ultime borne du chemin ;

Ma course, oisive mais brève, a ses dernier pas,

Dernier pouce à mon empan, dernières secondes ;

La mort gloutonne va tout de suite disjoindre

Mon âme de mon corps, je vais dormir un temps ;

Mais ma part éveillée pourra voir ce visage

Dont la peur déjà secoue toutes mes jointures.

Puis, mon âme au ciel, son premier siège, s’envole,

Et mon corps, né de terre en la terre retourne ;

Que tombent mes péchés, tous obtenant leur dû,

Où ils sont nés et m’auraient pressé : en enfer.

Faisant de moi un juste, ainsi purgé du mal :

Car je quitte ce monde, la chair, le démon.

 

John Donne, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue

du sonnet anglais composée et traduite par Pierre Vinclair,

lurlure, 2023, p. 61.

08/03/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

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Tous les blés flambent

et la brève alouette

est un fragment ascendant de ce feu.

Elle ne gravit tous les paliers de l’air

que parce que le sol est trop brûlant.

 

Il est une beauté que les yeux et les mains touchent

et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.

Mais l’autre et dérobe et il faut s’élever plus haut

jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,

la belle cible et le chasseur tenace

confondus dans la jubilation de la lumière.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 30.

07/03/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

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En écoutant Claudio Monteverdi

 

On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre

qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt

et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :

c’est par urgence que sa voix prend feu.

 

Alors , à sa lumière d’incendie, on aperçoit :

une pré nocturne, humide, et par-delà

où il avait surpris cette ombre tendre,

ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :

 

Il n’y a plus que chênes et violette maintenant.

 

La voix qui a illuminé la distance retombe. 

 

Je ne sais pas s’il a franchi le pré.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 9.

05/03/2023

Franco Fortini, Feuille de route

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                Sagesse

 Il n’y a qu’une femme que j’ai aimée  

Comme dans les rêves on s’aime soi-même

Et de bien et de mal je l’ai comblée

Comme font les hommes avec eux-mêmes.

 

C’était elle que j’avais choisie

Pour être appelé par mon nom :

Et elle le disait lorsque je l’ai perdue.

Mais peut-être n’était-ce pas mon nom.

 

 Et je vais par d’autres saisons et pensées

Cherchant autre chose par-delà son visage ;

Mais plus je me fatigue par de nouveaux sentiers

Plus nettement je connais son visage.

 

Peut-être est-ce vrai, et les plus sages l’ont écrit :

Au-delà de l’amour il y a encore l’amour.

La fleur se perd et puis se voit le fruit :

Nous nous perdons et c’est l’amour qu’on voit.

 

Franco Fortini, Feuille de route, édition bilingue,

traduction de l’italien Giulia Camin et Benoît Casas,

préface Martin Rueff, NOUS, 2002, p. 53.

04/03/2023

Bernard Noël, Monlogue du nous

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Nous avons perdu nos illusions et chacun de nous se croit fortifié par cette perte. Fortifié dans as relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. Nous oublions ce gain de lucidité dans son exercice même. Nous n’en avons pas moins de mal à mettre plus de raison que de sentiment dans notre action. Nous aurions dû depuis longtemps donner toute sa place au durable, mais la séduction s’est toujours révélée plus immédiatement efficace.

 

Bernad Noël, Monologue du nous, P. O. L, 2015, p. 7-8.

03/03/2023

Hans Morgenthaler; « Moi-même », suivi de huit poèmes

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La taupe II

 

A travers l’obscurité j’écoute

S’il ne m’arriverait pas un son, quelque écho

De la taupe ma bien aimée

Creusant dans la même nuit

En quête de sa propre lumière.

S’il ne m’arriverait pas un salut, un signe

D’un compagnon qui me ressemble...

Je fouille seul et me hisse en vain

Pour devenir humain...

Pas un mot, pas un son, pas un écho

De sympathie ne frappe mes oreilles.

 

Seulement au milieu des champs vides

Balancé par la tempête

Dans un crépuscule pâle et oblique

Portant l’habit gris de l’ermite

Forcé de rejoindre la mort

Pendu à une barre ployée en arc,

Le cadavre d’un pauvre frère taupe !

 

Hans Morgenthaler, « Moi-même », suivi de

huit poèmes, traduction de l’allemand

Renata Weber, La Revue de Belles-Lettres,

2022, II, p.37.

01/03/2023

Pascal Quignard, Les Paradisiaques

 

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                      La voix paradisiaque

 

Si la préférence pour la voix féminine maternelle précède en nous le premier jour, cette perte se répète tragiquement à l’adolescence chez les garçons. Ils quittent l’aigu pour le grave. L’activité de la voix maternelle externe chez les mâles à partir de la puberté devient perpétuellement initiale. Cette perte définit le tragique. Les anciens Grecs nommaient tragôdiale dédoublement vocal de la mue masculine, faisant passer le petit humain de la néoténie à la puberté.

La voix de jadis est la voix soprano.

La voix maternelle externe a un impact rythmique dans le comportement de succion du nouveau-né.

Il y a des anorexies natales dues à des défauts de voix.

Anorexies « tragiques »

Faims affamées dues au non-rappel de la voix interne.

 

Pascal Quignard , Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 273.

28/02/2023

Pascal Quignard, Les Paradisiaques

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Souffrance indicible qu’on ressent devant les parents très âgés, ou sortant d’une anesthésie générale, ou frappés par la maladie d’Alzheimer, ou revenant d’un coma.

Soit ils ne nous reconnaissent plus du tout. Soit ils se méprennent en voyant en nous d’autres vivants. Soit ils nous confondent avec des morts que nous avons peu ou pas connus parce qu’ils sont décédés depuis tant de temps.

Alors nous éprouvons la certitude, plus encore qu’à d’autres moments de notre vie, que nous avons tous déjà vécu une existence antérieure.

Pour les humains le désir de rentrer se confond au désir de mourir.

Il est difficile de distinguer entre espoir de reconnaître , désir de rentrer à la maison, envie empressée de  n’être plus.

 

Pascal Quignard, Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 80.

27/02/2023

Pascal Quignard, Abîmes

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Curieusement je n’avais jamais regretté un monde. Je n’ai jamais ressenti le désir de vivre dans une époque qui fût ancienne. Je ne puis me désancrer des possibilités actuelles d’inventaire, de disponibilité livresque, d’idéal fracassé, de la sédimentation de l’horreur, de cruauté érudite, de recherche, de science, de lucidité, de clarté.

Jamais le spectacle de la nature sur la terre, étant devenu rare, n’a été si poignant.

Jamais les langues naturelles ne furent à ce point dévoilées à elles-mêmes, dans leur substance involontaire.

Jamais le passé n’a été auss grand et la lumière plus profonde, plus glaçante.  Jamais le relief ne fut plus accusé.

 Pascal Quignard, Abîmes Folio/Gallimard, 2004, p. 115.

26/02/2023

Pascal Quignard, La barque silencieuse

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La parenté est linguistique en ce sens qu’elle n’est que rétroactive. Chaque généalogie est le fruit du récit qui la fonde plutôt qu’il l’explique. Le nom que l’on porte narre une histoire que des êtres plus anciens ont rapportée en l’arrangeant. C’est une légende qui se pose sur un petit animal a-parlant et vivant.

Les ascendants nomment tout naissant par un mort et ils le baptisent dans une vieille histoire mensongère ou du moins profondément améliorée.

Ne pas nommer, c’est ne pas faire naître, c’est rompre la chaîne, c’est interdire l’accès au statut d’ancêtre dans le rapport du nom comme c’est interdire l’accès au revenant dans le baptême où son nom entendait revenir.

 

Pascal Quignard, La barque silencieuse, Folio/Gallimard, 2009, p. 175.