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24/12/2023

Roger Gilbert-Lecomte, Poésie

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              Haïkaïs

 

Tous ces verts marronniers pansus

Se moquent entre eux du noyer

Qui n’a pas encore de feuilles

 

Sur l’Avril de vert feuillu

         Bruine et ciel sale

                     — Triste…

 

Dans le ciel de cendre

Comme un dernier tison

La petite étoile

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres

complètes, II, Poésie, Gallimard,

1977, p. 132.

23/12/2023

Arno Schmidt, Scènes de la vie d'un faune

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Je ris tout seul, un instant, m’imaginant que je suis un mort célèbre et que Berta, ma veuve, guide les visiteurs dans les salles du « Musée Düring » de Fallingshotel. On y voit dans les vitrines mes manuscrits (pa exemple, l’avertissement à Fintels, le sommant pour la dernière fois de venir apposer ses empreintes digitales sur sa carte d’identité — « Sa dernière lettre, oui » — à côté de la grande biographie inédite de Fouqué). Au mur, mon portrait par Oskar Kokoschka, avec une seule oreille et un teint d’un incarnat fort peu catholique.

 

Arno Schmidt, Scènes de la vie d’un faune, traduction Jean-Claude Hémery, Christian Bourgois, 1981, p. 151.

21/12/2023

Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus

 

6.4311. La mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut être vécue.

 

Si l’on entend pas éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui)là  vit éternellement qui est dans le présent.

 

Notre vie est tout autant sans fin que notre champ de vision est sans limite.

 

Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus, traduction Pierre Klossowski, préface Bertrand Russel, Gallimard, 1961, p. 104.

20/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

 

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Si ce n’est vivre, hormis cette pensée

Que je dois taire, inapaisée,

Beau fruit d’un ange révolu,

 

Qu’elle ravisse, d’arbre en arbre,

Et de plus loin qu’il me souvienne

(et je consente à cette nuit

De quatre pieds d’ombelles sous le vent,

Une dernière fois,

L’espace d’un visage inhabité

Comme un chemin, la mer)

Cette étoile, ce cri, sur la mer :

 

Si ce n’est vivre, outre les sables

Et les silences de ce temps.

 

Roger Giroux, L’arbre le temps,

Mercure de France, 1979, p. 62.

19/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

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          Legs

              I

La source est le chemin.

Le désir est la source

 

Et le désir se tait

Au milieu du chemin.

 

             II

Le silence est la source.

La parole est le chemin.

 

La parole est la source

Et le silence du chemin.

 

Roger Giroux, L’arbre le temps,

Mercure de France, 1979, p. 65.

18/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

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Au désir, elle prête silence,
Un feu d’écume pour le cœur, des îles nues
Au gré de la rumeur soyeuse de l’hiver.

Si loin venu, fidèle à sa parole 
Désunie.

Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric

Pesty éditeur, 2014, p. 76.

17/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

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Que bâtirais-je avec ma langue ?

Quel palais fou de désespoir

Hanté d’absences immobiles ?

Quelle ville, vouée, dès jadis

Aux purs silences de l’oubli ?

 

Arbre, amour, solitude, poussière…

 

Et c’est comme si je n’existais pas

Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,

Dans l’intouchable de ce lieu

Frémissant, monstrueux…

 

Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,

2014, p. 41.

16/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

 

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Elle dit : cette ombre, ce parfum,

Cette mort grandissante…

Je parle pour exister.

 

Elle, dans son trop vaste sépulcre de craie,

Moi, tous ceux que j’ai conviés là

Dans l’espoir que peut-être…

 

Elle. La pente très douce de son visage.

Moi, friable empreinte d’une bouche, aux confins.

  

Roger Giroux, L’arbre le remps, Éric Pesty

éditeur, 2014, p. 58.

15/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

         roger Giroux, l'arbre le temps, visage

(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?

Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?

Il consume les mots qui donneraient la vie,

Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)

 

Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,

2014, p. 44.

14/12/2023

Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores

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Le livre de la mort

 

I

Je dis la mort au cœur de la vie

 la lune fondue au cœur du soleil

 

ta vie, étoile morte au centre

de mon cœur.

 

II

tes fleurs mortes sur ton lit défait,

l’horizon écrasé à ta fenêtre,

 

et toi, fantôme glissant ta mort

humide dans le sang de mes yeux.

 

III

Tu es ange mort

étalé dans mon corps

 

boue revenue à la boue,

pluie d’hiver installée dans mes os.

 

pourriture du navire

oublié par la mer

 

soleil éteint vomi par

la bouche d’un enfant

 

Tu es ange muet

Étalé dans mon corps

 

Etel Adnan, Je suis un volcan

Criblé de météores, Poésie/Gallimard,

2023, p. 43-44.

13/12/2023

Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores

etel adnan, je suis un volcan criblé de météores

De A à Z un poème

 

A

serait-ce

serait-ce

serait-ce

que tu préfères

la vache et le corbeau

à moi

c’est-à-dire

le langage

et

le nuage

 

B

Avril est le mois le plus cruel

et Décembre

le plus sombre

Disparus sont

l’East River

et le ciel qui l’accompagne

Manhattan

se lève

au lieu du SOLEIL

 

C

Les grandes fleurs

 tombent juste après la pluie

Samuel Beckett

boit lentement

son thé

au coin

de Wooster

et Spring

 

D

Tempête

un

et

deux

le maire est mort

de l’East End

au West End

les trains

sont délabrés

comme Marylin Monroe

l’était

 

Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de

 météores, Poésie/Gallimard, 2023, p. 171-172.

12/12/2023

Francis jammes, Clairières dans le ciel

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Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.

Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste

de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.

Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,

et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie

l’unique passion que l’on donne à un seul.

Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,

et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,

je me suis étonné de voir, ô mes amis,

des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.

 

Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/Gallimard,

1980, p. 35.

11/12/2023

Francis Jammes, Clairières dans le ciel

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Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut

que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,

la désillusion aux désillusions ;

et, si je dois encore, par ma sombre folie,

chercher dans la douceur du vent et de la pluie

les seules vaines voix qui m’aient en passion,

je ne sais si je guérirai, ô mon amie…

 

Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/

Gallimard, 1980, p. 40.

10/12/2023

Paul Verlaine, Jadis et Naguère

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                Langueur

 

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,

Qui regarde passer les grands Barbares blancs

En composant des acrostiches indolents

D’un style d’or où la langueur du soleil danse.

 

L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense.

Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.

Ô n’y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,

Ô n’y vouloir fleurir un peu cette existence !

 

Ô n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu !

Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?

Ah ! tout est bu, tout est mangé ! plus rien à dire !

 

Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,

Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,

Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

 

Paul Verlaine, Jadis et Naguère, dans Œuvres poétiques

complètes, Pléiade/Gallimard, 1962, p. 570-571.

08/12/2023

Paul Verlaine, Parallèlement

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                        Sappho

 

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sappho, que la langueur de son désir irrite,

Comme une louve court le longe des  grèves froides,

 

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,

Arrache ses cheveux immenses par poignées ;

 

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantés en vers que la mémoire

De l’âme va redire aux vierges endormies :

 

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —

Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,

La pâle Séléné qui venge les Amies.

 

Paul Verlaine, Parallèlement, dans Œuvres poétiques complètes,

Pléiade / Gallimard, 1962, p. 489.