30/10/2023
K.O.S.H.K.O.NO.N.G, n° 24, Printemps 2023
Charles Bernstein, ouvre cette livraison avec "Albiach" et explique comment il a abordé la traduction de Claude Royet-Journoud et Anne-Marie Albiach. Il s’agissait pour lui de retrouver des équivalents syntaxiques et phoniques en passant d’une langue à une autre ; ainsi Travail vertical et blanc est traduit par « work vertical and blank aux dépens du plus conventionnel vertical and white work ». Ce choix évoque irrésistiblement, dans un tout autre contexte, les pratiques de Louis Wolfson qui, new yorkais, ne pouvait supporter d’entendre la langue anglaise, trouvait instantanément pour les mots honnis un équivalent phonique dans une autre langue (1). Berstein précise qu’il a procédé autrement pour traduire Olivier Cadiot, laissant un peu à l’écart une approche homophonique. Il privilégie toujours une traduction « riche » qui abandonne « les réverbérations sémiotiques et soniques » au profit de « la création d’une valeur poétique compensatoire », la traduction la plus satisfaisante introduisant « des traces de l’intraduisible ». Il faut se réjouir avec Charles Bernstein à l’idée qu’on puisse lire plusieurs traductions d’un texte ; c’est en effet heureux que l’on dispose, par exemple, d’une dizaine de traductions des Élégies de Duino de Rilke et même un peu plus des sonnets de Shakespeare.
Pour prendre un autre exemple, le titre de la comédie de Pope, The Rapt of the Lock a toujours été traduit, aux XVIIIe et XIXe siècles, par Une boucle de cheveux enlevée, reprise écartée par Pierre Vinclair dont le choix conviendrait à Charles Bernstein puisqu’il traduit par Le Rapt de la boucle. Ici, Pierre Vinclair, sous le titre "L’amour du Rhône, 10 [L’Origine du Rhône]" (2), propose d’abord un poème autour d’un tableau ; l’eau y sort d’un rocher et « semble vivante », passe « entre les cuisses pierreuses / De la terre » et « jouit Méditerranée » et le dernier vers porte le nom « G. Courbet ». Ces éléments lient le tableau au devenu célèbre "l’Origine du monde" du même peintre. Un commentaire accompagne le poème, ou plutôt le tableau, « le cadre pointe ce qu’il faut regarder », « un drame du temps » : la pierre résiste au mouvement incessant de l’eau, le bois du moulin pourrit. Seconde étape de l’article, réflexions : l’essentiel n’est sans doute pas le « réalisme » de la scène — « le « réalisme » est un élément rhétorique de discours destinés aux institutions ennemies ». Mais échappe au "drame" de l’opposition éphémère-éternel la liberté du ruisseau, comparée dans un second poème ("Portrait de la Vierge") au geste d’une communarde de 1871 qui chargeait un canon, « Sous un morceau de ciel déserté / Par les faux dieux ». Liberté que les visiteurs, pour la plupart, ne comprennent pas, ne conservant qu’une image avec leur téléphone. Conclusion : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Ce que le regard, le plus souvent, oublie ou ne voit pas dans le tableau, dans le cadre, « C’est le point échappant au temps que l’on rencontre dans le temps, le noyau de nécessité trouvé dans l’abandon à la plus parfaite contingence ». Pour qui le lit, on reconnaît la pratique de Pierre Vinclair, de la lecture d’une œuvre à la construction d’éléments théoriques. Rappelons, en lien avec le commentaire du tableau, qu’il a publié un roman où la Commune de Paris a sa place, La Fosse commune.
On pourrait parler de contingence devant le « poème visuel » de Susan Howe, en quatrième de couverture. Extrait d’un ensemble (Concordance, page 44), il rassemble par collage des fragments disparates, lisibles ou non, en anglais et en français. On notera cependant une relation entre les morceaux assemblés : la première ligne en français donne des noms d’arbres (sycomore, palmier), dans les débris en anglais qui suivent, on lit « tree » (arbre) et « destroy » (détruire) — s’agirait-il de couper des arbres pour la pâte à papier ? — et la dernière trace lisible se rapporte à la fabrication avec du papier… Tout collage donne loisir au lecteur d’inventer son texte.
La poésie de Claude Royet-Journoud est certainement difficile à traduire si l’on n’accepte pas de la lire sans vouloir y trouver une narration, un développement lyrique. C’est une expérience de lecture qui consiste à ne pas, à partir du poème, vouloir retrouver les faits et gestes du quotidien. Certes, quelques séquences semblent rapporter des moments d’une histoire amoureuse, comme celle-ci : « c’est l’endroit où / jambes pendantes frôlant la mer / tout ce que j’écris te désigne », où est donnée la relation essentielle du je-tu — je implique (désigne) tu ; l’on peut relever, si la mémoire est active, des séquences (« portrait d’une étreinte / portrait d’un apprentissage ») et des mots qui pourraient être mis en relation avec cet énoncé "amoureux" (chambre, amour, fente, torse / charnel). Il semble pertinent de prendre chacun de ces énoncés pour un fragment du monde. Fragments du monde qui se succèdent et, en même temps, jeu des mots qui permettent de les constituer : les termes grammaticaux, comme des personnages, construisent eux aussi le poème (voyelle, nom propre, lettres, syllabe, grammaire, etc.) ; les deux niveaux nécessairement indissociables, ce qui est clairement écrit, « au-dessus de la phrase / le corps fut déplacé ».
La dernière livraison de cette revue modeste par sa taille, seulement 28 pages, offre de passionnantes pistes de réflexion sur l’écriture et ses rapports avec la réalité.
- Louis Wolfson, Le Schizo et les langues, préface Gilles Deleuze, Bibliothèque de l’inconscient, Gallimard, 1970.
- "10" renvoie à un livre publié en 2022, L’Éducation géographique
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G., numéro 24, Printemps 2023. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 25 septembre 2023.
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29/10/2023
Jack Spicer, c'est mon vocabulaire qui m'a fait ça
Livre I, chapitre I, Le bureau de la lettre morte
« Vous ne pouvez pas fermer la porte. Elle est dans le futur », dit l’histoire française alors que cela naissait à Charleville. C’était avant la Guerre Civile et je ne pense pas que même James Buchanan était président.
Il y avait un bureau de la lettre morte dans chaque village français ou ville ou cité de la taille de Paris. Il y en a toujours. Rimbaud était né dans le bureau de poste de Charleville. Il était un grand enfant.
Apollinaire avait l’habitude de jouer au golf pendant que d’autres tiraient à la mitrailleuse. De gros papillons essayaient de le libérer des libéraux minesprits. Mais Rimbaud rampait jusqu’à la page qui le démarquait de ses neveux.
Cela était né.
Jack Spicer, Un faux roman sur la vie d’Arthur Rimbaud [posthume], in c’est mon vocabulaire qui m’a fait ça, éditions Le Bleu du Ciel, 2006, p. 216.
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28/10/2023
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné
... Quand donc, quand donc, quand donc y en aura-t-il assez de la plainte et de la parole ? N’y eut-il pas des maîtres
experts dans l’art de lier les mots humains ? Pourquoi donc les nouvelles tentatives ?
Est-ce donc, est-ce donc, est-ce donc que du livre
les hommes ne sont pas là comme d’une cloche qui ne cesse de sonner ?
Et lorsqu’entre deux livres le ciel silencieux t’apparaît : jubile ! – ou aussi bien un coin de simple terre dans le soir...
Plus que les orages, plus que les mers, ils ont
lancé des cris, les humains... Quelles surcharges de silence
doivent habiter le cosmos pour que le chant du grillon
nous soit demeuré audible, à nous, hommes vociférants, et pour que les étoiles
nous semblent silencieuses, dans cet éther que nous invectivons !
Mais c’est à nous qu’ils ont parlé, les très lointains, les anciens, les très anciens pères !
Et nous : écoutons-les enfin ! Nous, les premiers à les écouter.
.Hann wird, wann wird, wann vird es genügen
das Klagen und Sagen ? Waren nicht Meister im Fügen
menschlicher Worte gekommen ? Warum die neuen Versuche ?
Sind nicht, sind nicht, sind nicht vom Buche
die Menschen geschlagen wie von fortwährender Glocke ?
Wenn dir, zwischen zwei Büchern, schweigender Himmel erscheint : frohlocke...,
oder ein Ausschnitt einfacher Erde im Abend.
Meht als die Stürme, mehr als die Meere haben
die Menschen geschrieen... Welche Übergewichte von Stille
müssen im Weltraum wohnen, da uns die Grille
hörbar blieb, uns schreienden Menschen. Da uns die Sterne
schweigende scheinen, im angeschrieenen Äther !
Redeten uns die fernsten, die alten und ältesten Väter !
Und wir : Hörende endlich ! Die ersten hörenden Menschen.
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, Poèmes et fragments, édition bilingue, traduit de l’allemand par Jean-Yves Masson, Verdier, 1990, p. 26-27, et Verdier / poche, 2007.
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27/10/2023
Liliane Giraudon, Divagation des chiens
« À force. À force de rêver d’un autre lecteur, j’en suis arrivée à imaginer une sorte de "manœuvre" pour échapper au rang des poètes qui d’ailleurs n’ont jamais voulu de moi. "Enfantillages", mais c’est vrai. La seule appartenance mythique et impersonnelle que je désirais, c’était celle-là. Je mesure mieux maintenant ces larmes versées à la lecture d’une lettre de Hölderlin où il déclarait simplement "les hommes ont-ils donc réellement honte de moi ?" Parlait-il de lui ou de l’ensemble de ce qu’il avait déjà écrit ? Je sais bien. Il ne faut pas mélanger. Son corps, soi-même, l’écriture (Ah ! l’horrible imbécillité de ceux qui bavent "moderne", estampillent la moindre affichette, la plus petite liste artistique. Comme si le poème avait à s’ordonner à l'art ou à une quelconque idée neuve du beau. Comme si écrire était un jeu. Du savoir-faire avec en prime quoi ? Quel risque ?) Il m’a fallu du temps pour comprendre. Agencer formellement sur du rien à dire, ce néant d’après dans le vacarme d’un monde plus sanglant et stupide que celui des siècles précédents, non. Ce que je voulais, c’était tout simplement la fatalité comme ajustement. Non pas "ma vie sans moi", mais le poème sans moi. J’ai manqué de forces. Je ne pouvais vivre cette évidence. Alors il y eut les exercices spirituels pour ne plus écrire. J’ai cru que j’allais devenir folle. Depuis, sur les bords de l’étang où je fais de longues marches jusqu’à la tombée du jour, j’ai ramassé un chien. Il ne me quitte plus. Nous mangeons strictement la même chose : viande crue.
Je ne bois plus que de l’eau. Je suis devenue chaste. Mes cheveux ont blanchi mais ils sont toujours aussi longs. Ne m’envoie plus rien. C’est vraiment inutile. Je ne veux plus lire. Ni rien savoir. Je t’en prie, n’insiste plus pour les traductions d’Émilie Dickinson. Je les ai toutes détruites cet hiver. Dans le petit poêle. Tu as raison. J’ai trahi, mais "fidèlement". Ce retournement connu de nous seules ne pouvait être que catégorique.
Hölderlin, Celan ou Pessoa deviendront des otages. C’est le Retour. Saison très noire pour ceux qui poursuivent. Ici les premières violettes apparaissent. Il suffit d’écarter doucement les herbes. Chasser de son cœur la mortelle impatience. Commencer vraiment la véritable attente. Celle concernant ceux qui enfin n’attendent plus rien... »
Liliane Giraudon, Divagation des chiens, P.O.L., 1988, p. 14-15.
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26/10/2023
Danielle Collobert, Dire II
Corps là
noué
noué aux mots
l’étranglement du souffle
perte du sol
pendu
balancement à l’intérieur des mots – trouées –
vide
approche de la folie
peur continuelle de la fuite verticale
les mots en spirale fuyante – aspirée
sans prise
sans arrêt
tremblement
un cri
peur continuelle – absence de mots – gouffre
ouvert – descente – descente
mains accrochées au visage
toucher
corps là
résistance –
entendre encore le souffle – quelque part
à l’instant savoir – souffle là
à l’écoute du bruit
affolement
tendu pour entendre
tendu pour résister
jusqu’à la limite – l’immobilité
sursaut
cassure
encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin
– ou fatigue – désespoir
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.
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25/10/2023
Danielle Collobert, Dire II
la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’quivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien
être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement
sans doute – une certaine confusion –auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.
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24/10/2023
Étienne Faure, Vol en V
L’interférence des yeux sous le porche
où nous nous sommes abrités à cause
de l’eau qui fait rage, bel orage, électrise
l’arcade, commence à nous envouter au point
de non-retour à nos destinées respectives, désirs
qu’il pleuve, qu’il pleuve, bergère urbaine
sous la voûte en abîme que la vie reflète,
inverse,
U
l’air est connu, mais on se fait reprendre
aux yeux de lac artificiel au bord de l’hydro-
électrique décharge entre deux averses — arcane,
c’est un peu moi qui suis là-bas dans ses yeux
quand elle regarde en long et en large où aller,
pressentant l’impossible retrait en arrière-
saison, chez soi, faux domicile, à présent plongée
en son for intérieur, enfance avec,
et tout ce qui s’y verse — la pluie redouble —
si proche et fluide est la vision d’autrui,
soudain clairvoyance.
sous le porche
Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 49.
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23/10/2023
Étienne Faure, Et puis prendre l'air
L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues : un nuage effilé par le vent, le passage de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin en lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vite avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.
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- Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p.103.
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22/10/2023
Étienne Faure, La vie bon train.
La nuit quand le train va si vite
qu’on ne voit rien
rouler perd tout son sens
— il n’est plus sûr alors qu’une gare attende,
à l’autre bout fasse un trajet qui relie les deux lieux
ordonnancés un départ une arrivée,
car nul retour, aucun aller n’est visible,
à regarder par la vitre envahie de noir :
miroir vide où suis-je ?
Voici l’hiver aux jours réduits, qui emporte le corps
engendré vite autrefois, le moral au noir fixe,
dans un état pour une éternité transitoire
d’aucune utilité car jamais abouti
(et donc de ton sperme personne ne sera né)
maillon sans chaîne, wagon désormais sans attache
ni ascendance, ni hoirs, ni rien d’approchant.
voici l’hiver
Étienne Faure, La vie bon train (proses de gare),
Champ Vallon, 2013, p. 119.
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21/10/2023
Étienne Faure, Horizons du sol
Longtemps condamné au lit comme à l’internement,
il scrutait fixement dans les papiers peints
des motifs d’évasion, lignes de fuite,
des baies en auréole où s’embarquer
pour l’infini l’espace d’une heure,
les yeux ronds d’étonnement que la vie s’y cache,
tapissée au gré des saisons de nymphes
aux blancheurs de gel
— les corps aussitôt peints devenant des nus —
ou bien des fleurs insistantes,
exhalant quoique fanées depuis longtemps
un même enfermement dans la torpeur
spectrale — non pas sommeil —
à flotter en surface aux côtés de son propre corps,
dépouille, non, remuement que le soir
dément.
trouble du soir
Étienne Faure, Horizon du sol,
Champ Vallon, 2011, p. 44.
Photo Chantal Tanet, 2011
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20/10/2023
Étienne Faure, Vues prenables
À chaque alliance, premier lit, remariage,
la peau des murs avait changé,
ici offrant l’illusion du feuillage
d’une toile de Jouy inspirée des fêtes
à la campagne où le motif s’organise
en chemins, en rivières,
où court une tige fleurie sur un fond picoté
que les fabricants avaient reproduit maintes fois,
au bout du siècle effeuillé près du lit.
Parmi les vases, cassolettes, chandeliers, lampes,
on vivait volets tirés dans la pénombre
pour ne pas abîmer les tentures
et que les papiers peints ne passassent
trop vite
il y avait bien cachés dans les ramures
des souvenirs au matin réveillés, tête lourde,
en lés répétés où dormait le pavot
et les vies imprimées là, sans raccords.
la peau des murs
Étienne Faure, Vues prenables,
Champ Vallon, 2009, p. 83.
Photo T.H., 2012
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19/10/2023
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Où est l’exil
en sueur, en train jadis accompli
si le avions, presque
à la vitesse du mensonge, nous déposent
en des lieux prémédités de loin,
transmis par la parole, des papiers
traduits ou rédigés dans la langue des mères,
où est l’exil, un écart temporel
réduit à rien — espace crânien
où l’on revient sur ses pas pour retrouver
l’idée perdue en route —
heure de seconde main aujourd’hui effacée
devant l’entrée des morts, ou le seuil,
par politesse ultime de la mémoire
ici trahie, en creux, quand l’avion atterrit
qui ne comblera donc rien, jamais
l’amplitude intime de la perte.
il revient les mains vides
Étienne Faure, Légèrement frôlée,
Champ Vallon, 2007, p. 90.
photo Chantal Tanet, 2011
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18/10/2023
Paul Verlaine, Chair
Les méfaits de la lune
Sur mon front, mille fois solitaire,
Puisque je dois dormir loin de toi,
La lune, déjà maligne en soi
Ce soir jette un regard délétère.
Il fit ce regard — pût-il se taire !
Mais il prétend ne pas rester coi,
Qu’il n’est pas sans toi de paix pour moi ;
Je le sais bien, pourquoi ce mystère,
Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ?
Qu’ont de commun la lune et la terre ?
Ha, reviens vite, assez de mystère i
Toi, c’est le soleil, luis clair sur moi !
Paul Verlaine, Chair, dans Poésies complètes,
Bouquins/Robet Laffont, 2011, p. 840.
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17/10/2023
Paul Verlaine, Parallèlement
La dernière fête galante
Pour ne bonne fois séparons-nous,
Très chers messieurs et si belles mesdames.
Assez comme cela d’épithalames,
Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
Nul remords, nul regret vrai, nul désastre !
C’est effrayant ce que nous nous sentons
D’affinités avecque les moutons
Enrubannés du pire poétastre.
Nous fûmes trop ridicules un peu
Avec nos airs de n’y toucher qu’à peine.
Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine ,
Il a raison ! Et c’est un jeune dieu
Séparons-nous, je vous le dis encore.
Ô que nos cœurs qui furent trop bêlants
Dès ce jourd’hui réclament trop hurlants,
L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
Paul Verlaine, Parallèlement, dans Poésies complètes,
Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 446-447.
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16/10/2023
Paul Verlaine, Jadis et naguère
Paysage
Vers Saint-Denis c’est bête et sale la campagne,
C’est pourtant là qu’un jour j’emmenai ma compagne,
Nous étions de mauvaise humeur et querellions.
Un plat soleil d’été tartinait ses rayons
Sur la plaine séchée ainsi qu’une rôtie.
C’était pas trop après le Siège : une partie
Des « maisons de campagne » était à terre encor.
D’autres se relevaient comme on bisse un décor,
Et des obus tout neufs encastrés au pilastre
Portaient écrit : SOUVENIR DES DÉSASTRES.
Paul Verlaine, Jadis et naguère, dans Poésies complètes,
Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 299-300.
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