03/02/2024
Ghérasim Luca, La paupière philosophale
L’opale
Avec les pôles d’une pile
on pèle à la poupe
les palpes du poulpe
L’eau palpe le poulpe
mais le hâle le pèle
Comme devant la trop pâle
logique du crépuscule
un paléologue du faubourg
pâlit sur le palier de la peur
L’aile du poulpe étale
sur la peau qui palpite
un appât à pas de loup
Ghérasim Luca, La. Paupière philosophale,
éditions Corti, 2016, p. 17 à 20.
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01/09/2020
Ghérasim Luca, La paupière philosophale
Un lynx en X
Cet X en linge onirique
n’est qu’un singe
il n’est que le xylène
d’une nymphe unique
qui fixe le ton au xylophone
et qui irrite le X du son
avec un style aphone et unique
Son anagramme est la noix
On rame à pic
dans la voix noire des noix
avec une once de rixe qui nous noie
et avec un gramme de drame
à son poids d’opopanaxe
Ghérasim Luca, La paupière philosophale,
éditions Corti, 2016, np.
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01/08/2019
Ghérasim Luca, Paralipomènes
Les cris vains
Personne à qui pouvoir dire
que nous n’avons rien à dire
et que le rien que nous nous disons
continuellement
nous nous le disons
comme si nous ne disions rien
comme si personne ne nous disait
même pas nous
que nous n’avons rien à dire
personne à qui pouvoir le dire
même pas à nous
Personne à qui pouvoir dire
que nous n’avons rien à faire
et que nous ne faisons rien d’autre
continuellement
ce qui est une façon de dire
que nous ne faisons rien une façon de ne rien faire
et de dire ce que nous faisons
Personne à qui pouvoir dire
que nous ne faisons rien
que nous ne faisons
que ce que nous disons
c’est-à-dire rien
Ghérasim Luca, Paralipomènes, dans Héros-
Limite suivi de…, Poésie / Gallimard, 2001,
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- 212-213.
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06/06/2019
Ghérasim Luca, La paupière philosophale
L’émeraude
Elle est comme la mère d’une robe
Elle a l’air de rogner ses coudes amers
comme une rondelle
mais elle n’aime pas son rôle de laine
Elle est roche des odes
et rotules des ondes
Émergée de la mer de tulle
d’un thème rose
elle rode dans le lemme d’air
d’un ver
comme l’arôme ronde de l’aronde
qui ronge une rondelle d’hirondelles
à l’aube sur la roche de l’arroche
Lorsque d’un gant extrêmement arrogant
la rose arrose l’arobe des robes
de l’autre côté du tréma de son unité
elle gêne tout autrement
la gerbe à traîne ardente
de ses trente dents à la ronde
Ghérasim Luca, La paupière philosophale, Corti,
2016, p. 71-74.
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23/04/2018
Ghérasim Luca, Je m'oralise : recension
Les éditions Corti ont mis sur leur site Je m’oralise, sous le titre "Ghérasim Luca par lui même" et avec la mention "Lichtenstein 1968 ; Introduction à un récital"; c’est, en effet, un texte de présentation de sa manière d’écrire, si dense qu’il est à lire en se reportant à son œuvre. Mais pourquoi l’éditer alors qu’il est connu et, même, commenté ? Parce que c’est la reproduction du manuscrit qui est proposée, accompagnée pour chaque séquence reproduite de dessins de Ghérasim Luca, dessins étranges, abstraits, composés de petits points, qui miment peut-être la mise en pièces des mots, mais aussi des "mouvements" de la voix, le « monde de vibrations » dans lequel l’auditeur baigne lors d’une écoute. À la suite de l’ensemble (qui avait été « écrit et dessiné en deux exemplaires »), le texte est transcrit en caractères romains. Ajoutons que le livre est un petit écrin de format à l’italienne (15cm x 10,5cm).
Relisons Ghérasim Luca.
Ce qu’il expose, c’est le changement radical de la lecture / de l’écoute à quoi oblige sa pratique. Il n’est plus question de « désigner des objets » avec les mots, mais de travailler la forme qu’on leur connaît pour inventer de nouvelles relations et mettre au jour « des secrets endormis ». Ce refus du sens donné évoque une pratique différente qui vise le même objectif, celle de Jean Tardieu qui, dans Un mot pour un autre, fait surgir d’autres sens que ceux attendus. Pour Ghérasim Luca, la « transmutation du réel » est le but à atteindre. Le sens reconnaissable semble s’évanouir et des associations nouvelles se créent, avant elles-mêmes d’être le point de départ d’autres relations ; ainsi dans ce bref passage tiré de Héros-Limite, où du premier mot sortent un quasi homophone puis un second mot par une anagramme, etc. :
C’est avec une flûte
c’est avec le flux fluet de la flûte
que le fou oui c’est avec le fouet mou
que le fou foule et affole la mort de
Le poème est donc, littéralement, selon les mots de Ghérasim Luca, un « lieu d’opération » ; il faut poursuivre la métaphore et comprendre que la langue, considérée comme une « matière », est ouverte, démembrée, recomposée dans un mouvement continu. On pourrait dire que cette violence faite à "l’instrument de communication" commun, insupportable pour beaucoup, est une réponse à la violence des jours, celle qu’implique aussi l’instrument de communication, que Ghérasim Luca a connues, que chacun d’une certaine manière peut connaître. Il fait allusion à une tradition poétique et l’on peut penser aux tentatives, après la Première Guerre mondiale, de Tzara de défaire le sens de la langue.
La violence, ici comme hier, refuse la référentialité ; la répétition et le bégaiement, par exemple, empêchent à la référence de se constituer, la syntaxe et la morphologie sont saccagées par l’inventaire de ce que contient un son (un mot) :
le crime entre le cri et la rime
ou
mou comme « mourir » ou comme
les poux qui grouillent dans « pouvoir »
Dans certains textes, l’attente d’un ensemble reconnaissable n’est pas satisfaite dans la mesure où le cheminement pour parvenir au mot est trop long. On suit ce parcours « inadmissible » dans maints poèmes, comme avec "Passionnément" dans Le Chant de la carpe :
pas pas paspaspas pas
pasppas ppas pas paspas
le pas pas le faux pas le pas
paspaspas le pas le mau
le mauve le mauvais pas
pasppas pas le pas le papa
le mauvais papa le mauve le pas
[etc.]
On comprend que Ghérasim Luca préfère le néologisme « ontophonie » à « poésie » pour parler de ce qu’il écrit / lit — le mot apparaît d’ailleurs dans un de ses titres, Sept slogans ontophoniques *. Le mot valise « créaction » définit assez bien de quoi il s’agit— création par action sur les mots, la matière ; par la répétition et le bégaiement, l’énoncé perd sa structure linéaire et l’auditeur ou le lecteur, eux, perdent leurs repères. De même, le simple déplacement des lettres (« Je m’oralise) aboutit à superposer deux significations, comme si une autre langue vivait dans celle que l’on pratique habituellement ; parmi tous les exemples, je retiens la lecture des voyelles dans Paralipomènes ; il n’y est plus question de couleurs comme dans le sonnet de Rimbaud :
O vide en exil A mer suave
I mage E toile renversée U topique
Ghérasim Luca, avec une force loin de tout consensus, fait comprendre qu’il n’y a pas de représentable, de mimésis en poésie, en littérature. Ne cessons pas de le répéter.
* Tous les textes de Ghérasim Luca sont disponibles aux éditions Corti. Héros-Limite, Le Chant de la carpe et Paralipomènes ont été repris ensemble dans la collection Poésie de Gallimard.
Ghérasim Luca, Je moralise, Corti, 2018, np;, 13 €. Cerre recension a été publiée sur Sitaudis le 26 mars 2018.
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