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12/09/2023

Tristan Tzara, L'homme approximatif

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  XII 

le temps laisse choir de petits poucets derrière lui

il fauche les fines molécules sur les prairies d’eau

il dompte les poches d’air traverse leur jungle

il coupe le verde la vague et de chaque moitié s’illumine un papillon

dans le volcan il se faufile le long d’une note de violon

il boucle le cours filant du verre dans les fines heures de transparence

là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture de lumière

 

Tristan Tzara, L’homme approximatif, dans Œuvres complètes 2, 1925-1933,

édition Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 131.

11/09/2023

Tristan Tzara, L'arbre des voyageurs

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à tour de rôle vainqueurs nous avons tous vaincus

dits et redits broyés — liseurs d’ombres —

aux enchères d’impossible quel survivant repentir

vous fera revivre l’un pour l’autre

 

ou trancher le nœud malade sans reproche

la perfidie des crimes où l’amère blancheur

se répand sur les seins san reproche

de tes nuits voyageur de dépit

 

nuits voyageuses je n’ai vu que clartés

de fruits charnus dans la chaleur de l’un et de l’autre

qu’une cruauté nouvelle vienne froissée dans l’enveloppe

toujours tu m’entendras venir dans le sang du mauvais signe

 

à l’aube elle se perd

au départ elle se regarde partir

la soir la fatigue

comme ma tête ne sait se reposer

 

Tristan Tzara, L’arbre des voyageurs, dans

Œuvres complètes, 2, 1925-1933, édition

Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 75.

10/09/2023

Tristan Tzara, Premiers poèmes

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Un beau matin aux dents fermées

 

je change le train en plume sonore

le pays n’a qu’un seul insecte

la maison aux narines d’or

est remplie de phrases correctes

 

découpons l’échelle matinale

de l’air et les nerfs de l’air

en différences irisées en cris de mal

pourquoi se regarder dans le blanc de l’air

 

Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I

(1912-1924), édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 217.

09/09/2023

Tristan Tzara, Premiers poèmes

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          La mort de Guillaume Apollinaire

 

                           nous ne savons rien

                  nous ne savions rien de la douleur

la saison amère du froid

                           creuse de longues traces dans nos muscles

il aurait plutôt aimé la joie de la victoire

                           sages sous les tristesses calmes     en cage

                                                            ne pouvoir rien faire

                           si la neige tombait en haut

si le soleil montait chez nous pendant la nuit

                                                            pour nous chauffer

                  et les arbres pendaient avec leur couronne

          • unique pleur —

si les oiseaux étaient parmi nous pour se mirer

dans le lac tranquille au-dessus de nos têtes

                                          ON POURRAIT COMPRENDRE

                           la mort serait un beau voyage

et les vacances illimitées de la chair des structures et des os

 

Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I,

(1912-1924),  édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 209.

08/09/2023

Tristan Tzara, Premiers poèmes

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                            Incertitudes

 

J’ai sorti le vieux rêve de la boîte comme tu sors un chapeau

Quand tu mets la robe aux boutons nombreux

Comme tu sors le lièvre par les oreilles

Quand tu retournes de la chasse

Comme tu choisis la fleur parmi les mauvaises herbes

Et l’ami parmi les courtisans

 

Voici ce qui m’est arrivé

Lorsque vint le soir lentement comme un insecte

Pour beaucoup le remède qu’il leur faut

À l’heure où j’allume en mon âme un feu de branches mortes

Je me suis couché. Le sommeil est un jardin clôturé de doute

On ne sait pas ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas

On pense que c’est un voleur et l’on tire au fusil

Ensuite le bruit court que c’était un soldat

Avec moi ce fut tout à fait pareil

C’est pourquoi je t’ai appelée pour me dire — sans faute

Ce qui est vrai — ce qui ne l’est pas.

 

Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I

(1912-1924),  édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 45.

07/09/2023

Li Bai, Florilège

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Pensée d’une nuit calme

 

La lune luit, claire, devant mon lit,

On jurerait le sol couvert de givre.

Levant les yeux, j’ai la lune qui luit ;

Baissant les yeux, mon pays de revivre.

 

                           *

 

Dans la cité de la Luo, une nuit de printemps, j’entends une flûte

 

Chez qui la flûte en jade au son qui vole noir ?

Grâce au vent de printemps la ville en est emplpie !

J’entends « Coupons un saule ! » au sein des airs du soir ;

Qui donc du vieux jardin ne sent la nostalgie ?

 

Li Bai, Florilège, traduit du chinois, présenté et annoté par

Paul Jacob, Connaissance de l’Orient/Poésie /Gallimard,

2023, p. 165, 166.

06/09/2023

Li Bai, Florilège

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Trois, cinq, sept mots

 

                  Par le vent de l’automne

                  Dont la lune rayonne

         Feuilles, tombant, s’assemblent et s’en vont ;

         Le corbeau froid se perche puis frissonne.

Pour nous aimer et pour nous voir, quel jour ? le connait-on ?

En ce moment, en cette nuit, ce qu’on sent s’emprisonne.

 

                                            *

Sentiment de peine

 

Une beauté lève un store fluide,

S’assoit, et fronce un sourcil papillon.

Si de ses pleurs on voit la trace humide,

À qui son cœur en veut-il ? Le sait-on ?

 

Li Bai, Florilège, traduit du chinois, présenté

et annoté par Paul Jacob, Connaissance de

l’Orient/Poésie /Gallimard, 2023, p. 97 et 99.

05/09/2023

Olivier Domerg, La Verte traVersée

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VERT, la rassérénante vibration !

VERT, l’apaisante ivresse du regard !

VERT, la puissance des commencements ;

Champ des possibles et des rénovations,

Virginité toujours réactivée !

VERT pur de l’herbe pure dans l’air pur :

Fraîcheur. Espace un brin velouté,

Le Cantal aura pour nous cet égard !

La peau du monde est la peau du mont,

Douce, et caressante au toucher, bien sûr !

 

Les sensations sont celles du dehors :

VERT, le vif surgissement de la flore !

Les vagues, nous viennent, plus lumineuses,

VERT, l’émotion de l’émulsion herbeuse !

Aucun mot ne rend grâce à la prairie,

À son assomption, son événement.

C’est une ouverture, une épiphanie ;

N’y cherchez pas l’ombre d’un sentiment :

Elle exprime le besoin nécessaire

Que nous avons du VERT, parfois du VERS.

 

Olivier Domerg, La Verte traVersée,

L’Atelier contemporain, 2022, p. 278-279.

04/09/2023

Olivier Domerg, La Verte traVersée

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Haut-plateau herbu, sitôt quittées les

Zones qui le gangrènent — cancer des

ZI et des ZAC, dépeçant le "PARC" ;

Ce mol foisonnement de la prairie

D’habitude de part en part fleurie,

Et vaguement compartimentée par

Des restes de haies / murets / barbeLAIDS —

Et bientôt relief des monts en pâture,

Cette « douce et odorante vêture »

Occultant l’ancien volcan(TAL ?),

                                                     dessous,

 

Par-ci ou par-là des vaches paissent,

Prés cloisonnés de murets (pierre sèche)

À demi-écroulés et de clôtures.
Gazouillis d’oiseaux malgré la rature

Sonore des camions et des voitures,

Sur la route bientôt paysagère,

Même lorsqu’elle suit une rivière

Qui court, coupant l’épais tapis herbu,

Au fond d’une vallée lovée en « U » :

Trait vif et tortueux que l’eau éclaire !

 

Olivier Domerg, La Verte traVersée,

L’atelier contemporain, 2022, p. 7.

01/08/2023

Jean Tardieu, Une voix sans personne

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                  Le monde immobile

 

Puits de ténèbres fontaine sourde lac sans éclat

Présence épaisse battement faible l’instant est là

Rien ni personne une ombre lourde et qui se tait

J’entends les siècles rien ne résonne rien n’apparaît

Sur ce tombeau l’espace bouge c’est ma pensée

pour nul regard pour nulle oreille la vérité

 

Jean Tardieu, Une voix sans personne, dans Œuvres,

Quarto/Gallimard, 2005, p. 502.

31/07/2023

Jean Tardieu, Histoires obscures

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                 Mémoire morte

 

Près des lambris dorés des bureaux

où les corridors filent dans les miroirs sans fin

chaque porte, chaque pilier

cache un tueur qui s’ennuie et bâille ;

le temps est long et le gage est mince.

 

Cependant au dehors dans l’ombre des immeubles

plus d’un portail abrite de la pluie

une femme debout brillante comme une vitrine

qui regarde avec des yeux vides.

 

— Allô ? — Oui c’est moi ! ... — Il est temps

— Écoutez... Où êtes-vous ?... Où êtes-vous ?

— Qui  parle ? ... qui est là ?... Je n’entendds pas !

 

La mer a annulé ses avenues :

demain le sable sous le pas des caravanes.

Alors l’archéologie dans les roches

confondra nos siècles et nos jours

et la conque d’un téléphone rouillé

ne livrera aucun secret

sur le bourdonnement de nos paroles.

 

Jean Tardieu, Histoires obscures, dans

Œuvres, Quarto/Gallimard, 2005, p. 884

 

30/07/2023

Jean Tardieu, Le Témoin invisible

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              Feintes nécessaires

 

J’appuie et creuse en pensant aux ombres

,je passe et rêve en pensant au roc.

 

Fidèle au bord des eaux volages

j’aime oublier sur un sol éternel.

 

Je suis changeant sous les fixes étoiles

mais sous les jours multiples je suis un.

 

Ce que je tiens me vient de la flamme

ce qui me fuit se fait pierre et silence.

 

Je dors pour endormir le jour. Je veille

la nuit, comme un feu sous la cendre.

 

Ma différence est ma nécessité !

Qui que tu sois, terre ou ciel, je m’oppose,

 

car je pourchasse un ennemi rebelle

ruse pour ruse et feinte pour feinte !

 

Ô châtiment de tant de combats,

Ô seul abîme ouvert à ma prudence :

 

Vais-je mourir sans avoir tué l’Autre

qui règne et se tait dans ses profondeurs.

 

Jean Tardieu, Le Témoin invisible, dans Œuvres,

Quarto/Gallimard, 2005, p. 142-143.

29/07/2023

Jean Tardieu, Accents

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      Les dangers de la mémoire

 

Ils s’assemblent souvent pour lutter

Contre des souvenirs très tenaces

Chacun dans un fauteuil prend place

Et ils se mettent à raconter

 

Les accidents paraissent les premiers

Puis l’amour, puis les sordides regrets,

Enfin les espérances mal éteintes.

Toutes ces images sont peintes

Au mur entre les fleurs du papier.

 

Ils pensent ainsi s’habituer

Aux poisons que leur mémoire transporte.

Moi cependant, derrière la porte,

Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.

 

Jean Tardieu, Accents, dans Œuvres, Quarto/

Gallimard, 2005, p. 89-90.

28/07/2023

Jean Tardieu, Le Témoin invisible

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Ombre

 

Frange d’invisible,

tremblant de secrets,

l’absent qui te prie

et qui t’a porté

baigné dans son ombre

à travers le jour,

lié en silence

à toutes les feuilles,

à travers les pierres

et à tous les temps

n’est-ce pas toujours

ce vaste Toi-même

où tu t‘es perdu ?

 

Jean Tardieu, Le Témoin

 Invisible dans Œuvres, Quarto/

Gallimard, 2005, pp. 143.

25/07/2023

Christina Rossetti, Monna innominata

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Temps file, espoir fléchit, vie bat de l’aile lasse ;

Mort suit vie de très près — leur écart se resserre ;

Foi court avec tous, dresse un visage ardent, passe

Le reste, rend tout léger, repousse la terre

Mais trouve encore du souffle pour prier, chanter

Lors qu’amour lève une ode, devant, demandant

La grâce et pour la grâce encore remerciant,

Content de ce que jour donne et nuit va donner.

Vie faiblit ; lorsqu’amour replie l’aile au-dessus

D’espoir las, que nous sentons moins son pouls sensible,

Allons nous en dormir, mon cher ami, paisibles :

Encore un peu, douleur, vieillesse ont disparu ;

Encore un peu, la vie ressuscitée dissout

Deuil, décadence et mort — et amour devient tout. 

Christina Rossetti, « Monna innominata » (1881), dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue du sonnet anglais, choix et traduction Pierre Vinclair, éditions Lurlure, 2023, p.