08/07/2023
Shakespeare, Soonets et autres poèmes
77
Ton miroir te dira combien tes beautés s’usent,
Tu verras au cadran fuir tes chères minutes,
Les pages blanches seront empreintes de ton esprit,
Et de ce livre tu pourras tirer cette leçon :
Les rides exhibées par ce miroir fidèle
Te feront souvenir de la tombe béante ;
À l’ombre furtive du cadran, tu sauras
Que le temps, ce voleur, va vers l’éternité.
Vois ce que ton souvenir ne peut préserver,
Confie-le à ces pages en friche, et tu verras
Ces enfants bien gardés, issus de ton cerveau,
Prendre de ton esprit connaissance nouvelle.
Ces devoirs, chaque fois que tu t’y emploieras
Te seront profitables, enrichiront ton livre.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes (Œuvres complètes, VIII), Pléiade/Gallimard, 2021, p.401.
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07/07/2023
Shakespeare, Sonnets
54
Pourquoi m’as-tu promis une journée si belle,
Me permettant de voyager sans mon manteau,
Laissant de vils nuages me surprendre en chemin,
Et masquer ta splendeur de vapeurs insalubres ?
Il ne te suffit pas de fendre les nuages,
Et sécher mon visage maltraité par l’orage,
Car il n’est personne pour célébrer un baume
Qui soigne la blessure sans gommer la disgrâce ;
Ta honte, elle non plus, ne peut guérir ma peine ;
Malgré ton repentir, moi, je subis ma perte ;
Le regret du coupable est faible réconfort
À qui porte la croix d’une aussi grave offense.
Ah ! mais ces larmes que verse ton amour sont
Riches perles qui rachètent tous les méfaits.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes,(Œuvres complètes, VIII), Pléiade/Gallimard, 2022, p. 315.
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06/07/2023
James Sacré, Une fin d'après-midi continuée
Comme une couture au temps
Parfois comme si, parce qu’on sait plus
Quoi dire ou comment faire, comme si
N’étaient plus possibles
Que des arrangements de mots, quasi-rien
Cousu au temps qui passe au bruit
De la tourterelle qu’on entend, à l’été.
On n’a que le mot poème
Pour penser à ce qui s’écrit :
Sans qu’on sache si pour finir
Quelque chose a pris.
James Sacré, Une fin d’après-midi continuée,
Tarabuste, 2023, p. 293.
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05/07/2023
James Sacré, Une fin d'après-midi continuée
Le mot rien dans le mot vivant
Quand je serai presque plus rien (déjà
Me voilà pas grand chose),
Quand le corps ni l’esprit n’auront plus désir
De porter (de brandir) en de grands gestes insensés,
Je connaîtrai quelque chose de plus intensément nu :
Le rien de l’amitié. Drôle de pensée.
Évidemment le mot rien dès qu’on le dit
Se heurte à tout ce qui reste vivant,
Ce par quoi justement je touche (avec et sans précaution)
À ta parole à ta main, autant
Qu’à ton silence ou ton retrait.
Le mot rien dans le mot vivant ?
James Sacré, Une fin d’après-midi continuée,
Tarabuste, 2023, p. 237.
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03/07/2023
Antoine Emaz, Erre
délesté
on descend pourtant
c’est bizarre
mais pas en rêve
on a fait ce qu’il fallait
pour rester en surface
prendre part au bruit produire
les paroles et le reste les paroles
tout le nécessaire du jour
on s’en va maintenant comme si
on n’avait plus que son poids de corps
il glisse dans le soir s’enfonce
dans l’ombre de plus en plus sombre
des arbres et du jardin
jusqu’au ciel
on respire
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,
2023, p. 44.
Photo T. H., 2007.
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02/07/2023
Antoine Emaz, Erre
11.09.18
le bilan court d’un jour le soir
ou plus long d’une vie les nuits
c’est assez vain
souvent on avance par une odeur de fleurs
ou de cheveux un sourire un ciel
le bruit d’un arbre une gelée de mûres
le bois d’une table une lettre
un livre du pain frais
tout un courant de détails qui portent
vers plus loin
ou bloquent là où
le savoir des mots l’âge du capitaine
sa prestance à la barre
n’importent pas
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste, 2023, p. 133.
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01/07/2023
Antoine Emaz, Erre
29.08.18
le temps va le corps
suit son cours peine un peu à poursuivre
mais c’est le même refus posé
on reprend seulement une poignée de sable
dans les mots
toujours rien à céder
sur ce terrain d’être vieux
pour la misère ou pour le désir
au bout peut-être on n’aura pas bougé grand-chose
plutôt la vie s’est chargée de changer
la lumière et les angles les êtres les lieux un peu
sans bruit on rassemble
un peu de joie sèche
pour aller à demain
qui demande autre chose
Antoine Emaz, Errz, Tarabuste, 2023, p. 111.
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30/06/2023
James Sacré, Une fin d'après-midi continuée
Nom prénom comme (n’importe qui, personne)
Des visages sont aussi près de mon peu d’existence
Que les feuillages sans forme de la nuit ;
Leur sourire où je disparais m’emporte
En un mouvement de noir et d’étoiles.
Dans ces poèmes qui sont pour quelqu’un avec un nom précis je voudrais
Que ce soit les mêmes feuillages nocturnes
Dans le volume respirant de ce nom, le parfum de quelques autres
Je veux m’en aller dans la nuit.
James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains », postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p. 69.
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29/06/2023
James Sacré, Une fin d'après-midi continuée
Tu n’es jamais venu en Vendée
Dans une matinée tranquille de ce pays vendéen
Mon père me promène parmi les arbres qu’il a greffés
Surtout des cerisiers, avec déjà des fruits qui ont de la couleur
On peut penser à des miniatures amoureuses dans des livres de langue arabe
La fraîcheur d’un mélange d’herbe et de terre avive
Le rouge des castilles, et la lumière,
Est-ce que passer par les mots pourra transporter
Dans l’eau courante et la poussière d’un été marocain
La finesse et les fruits de ce jardin ? Sans doute ;
On pourrait lire de poème dans une maison qui a des couleurs de ciel et de cerise écrasée sur ses murs chaulés,
On vient de rafraîchir le sol avec de l’eau jetée, les sentiments
Sont beaucoup d’agréable silence, autant de patience et de politesse que dans un jardin.
James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains » , postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p.23.
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28/06/2023
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Il y a des gens qui croient que tout ce qui se dit avec un visage sérieux est raisonnable.
La plupart des hommes ont rarement dans la tête plus de lumière qu’il n’en faut pour qu’on s’aperçoive qu’elle est précisément complètement vide.
Pour décrire avec sensibilité, il faut plus que des larmes et un clair de lune.
Mettre la dernière main à son œuvre, c’est la brûler.
Si tout à coup n ne pouvait plus reconnaître les sexes aux vêtements et qu’on soit obligé de deviner même les sexes, un nouveau monde de l’amour naîtrait. Ceci mériterait d’être traité dans le roman avec sagesse et connaissance du monde.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 138, 153, 158, 165.
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27/06/2023
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Il n’y a pas sur le corps une seule poche qui retienne l’argent.
Comme tout est insipide sans toi ; le monde m’a tout l’air d’une pièce froide et vide et les choses les plus neuves sont comme si je les avais déjà vues trois fois.
Le singe le plus parfait ne peut pas dessiner un singe, seul l’homme le peut, mais il n’y a que l’homme également qui tienne cela pour un privilège.
Il a été répandu beaucoup de sang anonyme.
Une préface pourrait s’intituler chasse-mouche et une dédicace : bourse à quêter.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 109, 114, 118, 121, 124.
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26/06/2023
Marie de Quatrebarbes, Vanités : recension
« Plutôt que de prendre racine, nous passons »
Le pluriel Vanités renvoie à une période de l’histoire de la peinture, la première partie du XVIIe siècle, pour l’essentiel à des natures mortes évoquant le caractère éphémère de la vie, parfois avec la présence d’un crâne : on rencontre aussi dans le livre cet objet — « Ce crâne, regardez-le, né de la roche et son greffon de lierre, entremêlé aux bois du cerf » —, mais le thème de la brièveté de l’existence n’a ici rien de religieux : le contexte associe le minéral, le végétal et l’animal. Pas de prière, de méditation pour se préparer à mourir, seulement savoir que le temps défait tout ce qui est et le projet est clair, « nous nous en tiendrons au matérialisme le plus tendre ». Ce qui est immédiatement lisible : la mort est la condition de la vie et s’il est une éternité elle est dans le fait que tout recommence sans cesse.
Le livre s’ouvre avec la reprise du texte en frontispice d’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton, présentant Démocrite occupé à disséquer des cadavres pour reconnaître le siège de la mélancolie ; l’annonce en regard se présente comme en relation avec cette activité, mais avec un objet plus large : « Ceci est un livre d’histoire naturelle, décrivant les formes élémentaires par lesquelles commence la nature ». On verra comment se développe ce projet a priori fort ambitieux. Ces deux pages ne sont pas paginées, pas plus que l’ensemble des poèmes qui suivent, numérotés de 1 à 36, toujours de strophes de quatre vers, puis 361/2 pour le dernier de deux vers. On note que d’emblée un récit est annoncé et les premiers poèmes mettent en scène Épicure, « un mathématicien épris de gymnastique » (Thalès de Milet), Platon : l’Antiquité et ses savants inscrivent le livre dans l’histoire longue mais sont laissés au profit « à présent de l’avenir ».
L’avenir, et le présent, ce sont les multiples transformations des êtres vivants, et en particulier de la fleur, métamorphoses (qui lient d’ailleurs le livre à l’Antiquité) dont l’abondance font de Vanités un étrange kaléidoscope dans lequel on verrait les êtres et les choses se défaire et se reconstruire dans un mouvement incessant. S’il est une éternité, ce n’est pas du côté de la religion qu’il faut la chercher : c’est celle du recommencement — même si des mots semblent sortis d’un traité de l’époque classique, « squelette vivant, nudité et ordure ». La vie naît et se développe à partir de la mort, « le genêt pousse dans la ruine », « les corps se dissolvent (…) puis tout recommence », « le tombeau [de la fleur] est le berceau de l’arbre », etc. — on recopierait une partie du livre si l’on relevait toutes les occurrences de ce mouvement. La métamorphose se produit à tous les niveaux, les formes s’emboîtent, vouées à la disparition et, de là, apparaissent d’autres formes ; la fleur devient fruit, puis graines qui se séparent de la plante, se dispersent et d’autres fleurs trouvent leur place. Métamorphose généralisée qui emporte tout, « de toutes parts un mouvement léger fait pirouetter les masses ». La distinction entre l’inerte et le vivant n’est elle-même plus de mise, au moins pour le regard qui confond le minéral et le vivant, on voit « les scarabées pierres mobiles », ailleurs « les rochers pourrissent » et le végétal semble prendre des caractères du vivant mobile (« les yeux tuméfiés du mimosa ») (1).
Mais comment rendre compte de ce qui, presque toujours, échappe au regard ? Marie de Quatrebarbes choisit notamment l’énumération de noms pour restituer le foisonnement des éléments sujets à la métamorphose ; parmi d’autres :
On aperçoit au sol des miniatures, aiguilles, chatons de pins usés, minés, foudroyés, mollusques & huîtres, limaçons gélatineux, élastiques, hannetons, lentilles, moules, mouches du rosier, trente-six fragments de feuilles et demi
Comment également introduire un semblant d’unité dans ce qui est donné pour échapper à tout ordre ? Dans une partie importante du livre, reviennent dans chaque poème l’adjectif « petit », un de ses dérivés ou un mot connotant la petitesse : « petit », le mieux représenté, seul ou non (« son tombeau était petit » opposé à « esprit large », « petites morsures »), « brève histoire », « insecte », « petitesse, « miniature », « imperceptibles », « microscopes ». Une figure insolite, celle de l’enfant, fréquente dans les livres de Marie de Quatrebarbes, est introduite avant le premier poème numéroté, entrant dans la série des contraires par son jeu : « L’enfant éteint la lumière, il l’allume » ; Il apparaît ensuite régulièrement, lié à la nature (« l’enfant se contemple dans le miroir de la nature »), se transformant (« l’insecte-enfant ») avant d’entrer dans le mouvement du recommencement à la fin du livre : « Parfois s’animent dans le visage du mourant les traits du nouveau-né & réciproquement ». Certains procédés rhétoriques s’ajoutent, comme la répétition de mots, pour unifier les contenus, avec aussi des jeux d’assonances (or dans une strophe : morsure, mort, ornée, sorte) et d’allitérations, ainsi avec la reprise d’un titre de livre de Paul Éluard, « le dur désir de durer ».
Il suffirait peut-être de dire que Vanités est un livre original sur l’idée de recommencement dans la nature. Le livre, cependant, apparaît plus complexe. La citation donnée supra s’achève par « trente-six fragments de feuilles et demi » : comment ne pas y reconnaître le numéro de la dernière page ? Si l’on s’attarde à quelques allusions dispersées, comme « reprendre la phrase encore » et, dans le dernier poème, « La page ne dit pas où elle va », à des allusions littéraires (par exemple à Louis Zukofsky), on relit aussi l’ensemble comme une métaphore de ce qu’est l’écriture et tout peut s’organiser alors autrement, qu’il s’agisse du thème du recommencement, de la répétition, de la mort et de la naissance, du passé et de l’avenir, etc. La fin de l’avant-dernière strophe et celle de la dernière confirment la possibilité de cette lecture, « On n’y voit rien, suivez mon regard » et « il n’est jamais trop tard pour détourner sa fin ». Ajoutons qu’il est d’autres lectures qui ne contredisent pas celles proposées ; ainsi, Vanités est, peut-être, dans le fil de Voguer un livre autour de la mémoire.
- On sait que l’on emploie "œil" pour désigner le bourgeon.
Marie de Quatrebarbes, Vanités, Eric Pesty éditeur, 2023, 38 p., 10 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis en mai 2023.
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25/06/2023
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Notre mode actuelle : tenir l’écriture pour tout et le reste pour presque rien ; pourrait devenir l’objet d’une bonne satire. On pourrait y introduire d’une manière ou d’une autre l’essai sur les jardins.
Roméo et Juliette par un singe et un caniche.
Une fois qu’ils seront mieux élevés, ils commenceront à devenir pires.
Doute de tout au moins une fois, fût-ce de la loi du deux et deux font quatre.
Comment les hommes sont-ils arrivés à la conception de la liberté ? C’était une grande idée.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, Denoël, 1985, p. 84-85, 86, 91, 104, 104.
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24/06/2023
Georg Christoph Lichtenberg,Aphorismes
Les sabliers ne servent pas seulement à nous rappeler la fuite du temps, ils évoquent également la poussière que nous de viendrons un jour.
Une discussion sur l’honnêteté parmi des prisonniers dans la charrette.
L’homme a fait de lui-même un animal domestique, c’est pourquoi il est si corrompu que…
À tout instant comment cela peut-il être amélioré ?
Se métamorphoser en bœuf, ce n’est pas encore se suicider.
Ceorg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, Denoël, 1985, p. 65, 72, 74, 77, 80.
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23/06/2023
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Sa prononciation rappelait celle de Démosthène quand il avait la bouche pleine de cailloux.
Il connaissait toutes les nuances de déclinaison et d’inclinaison du chapeau.
Sur la question de savoir si on peut accepter les morts comme membres des académies.
Une préface pourrait être intitulée : paratonnerre.
L’art, si bien cultivé aujourd’hui, de rendre les gens mécontente de leur sort.
Georg Christophe Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 33, 35, 37, 39.
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