15/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?
Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?
Il consume les mots qui donneraient la vie,
Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)
Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 44.
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14/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
Le livre de la mort
I
Je dis la mort au cœur de la vie
la lune fondue au cœur du soleil
ta vie, étoile morte au centre
de mon cœur.
II
tes fleurs mortes sur ton lit défait,
l’horizon écrasé à ta fenêtre,
et toi, fantôme glissant ta mort
humide dans le sang de mes yeux.
III
Tu es ange mort
étalé dans mon corps
boue revenue à la boue,
pluie d’hiver installée dans mes os.
pourriture du navire
oublié par la mer
soleil éteint vomi par
la bouche d’un enfant
Tu es ange muet
Étalé dans mon corps
Etel Adnan, Je suis un volcan
Criblé de météores, Poésie/Gallimard,
2023, p. 43-44.
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13/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
De A à Z un poème
A
serait-ce
serait-ce
serait-ce
que tu préfères
la vache et le corbeau
à moi
c’est-à-dire
le langage
et
le nuage
B
Avril est le mois le plus cruel
et Décembre
le plus sombre
Disparus sont
l’East River
et le ciel qui l’accompagne
Manhattan
se lève
au lieu du SOLEIL
C
Les grandes fleurs
tombent juste après la pluie
Samuel Beckett
boit lentement
son thé
au coin
de Wooster
et Spring
D
Tempête
un
et
deux
le maire est mort
de l’East End
au West End
les trains
sont délabrés
comme Marylin Monroe
l’était
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de
météores, Poésie/Gallimard, 2023, p. 171-172.
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12/12/2023
Francis jammes, Clairières dans le ciel
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/Gallimard,
1980, p. 35.
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11/12/2023
Francis Jammes, Clairières dans le ciel
Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut
que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,
la désillusion aux désillusions ;
et, si je dois encore, par ma sombre folie,
chercher dans la douceur du vent et de la pluie
les seules vaines voix qui m’aient en passion,
je ne sais si je guérirai, ô mon amie…
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/
Gallimard, 1980, p. 40.
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10/12/2023
Paul Verlaine, Jadis et Naguère
Langueur
Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.
L’âme seulette a mal au cœur d’un ennui dense.
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
Ô n’y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,
Ô n’y vouloir fleurir un peu cette existence !
Ô n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu !
Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! plus rien à dire !
Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !
Paul Verlaine, Jadis et Naguère, dans Œuvres poétiques
complètes, Pléiade/Gallimard, 1962, p. 570-571.
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08/12/2023
Paul Verlaine, Parallèlement
Sappho
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le longe des grèves froides,
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées ;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies :
Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.
Paul Verlaine, Parallèlement, dans Œuvres poétiques complètes,
Pléiade / Gallimard, 1962, p. 489.
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06/12/2023
Paul Celan, Grille de parole
Retour
Chute de neige, de plus en plus dense,
couleur colombe, comme hier,
chute de neige, comme si tu dormais toujours.
Du blanc à perte de vue :
Dessus, à l’infini,
la trace du traîneau du perdu.
Dessous, à l’abri,
se hausse
ce qui fait si mal aux yeux,
de colline en colline,
invisible.
Sur chacune,
rapatrié dans son aujourd’hui,
un Je échappé dans le mutisme ;
de bois, un pieu.
Là-bas : un sentiment
qu’entraîne ici le vent de glace.
Il arrime l’étoffe couleur
colombe, neige, son drapeau.
Paul Celan, Grille de parole, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois, 1991, p. 23.
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05/12/2023
Paul Celan, Enclos du temps
Je fais le fou avec ma nuit
nous capturons
tout ce qui, ici, s’arracha,
toi charge-moi aussi
ta ténèbre sur les yeux, moitiés d’yeux,
errants,
elle aussi, elle doit l’entendre
de partout,
l’écho irréfutable
de toute ombre gagnant.
Paul Celan, Enclos du temps, traduction
Martine Broda, Clivages, 1985, np.
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04/12/2023
Jacques Roubaud, strophes reverdie
I Poèmes, quelques
16
Sans masque
Cette comédie
Ce drame
Dans la salle
En coulisses
Et le rôle ?
II Les roses, toi
49
Qui ne veut plus savoir ce qui se passe
Arrête ta mémoire
Personne ne viendra
Conclure cette histoire
Ni du cœur ni du bras
Tu ne tireras gloire
Jacques Roubaud, strophes reverdie,
l’usage, 2019, p. 14 et 45.
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03/12/2023
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, n’importe quoi
est quelque part, en quelque façon.
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à mon corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 38.
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01/12/2023
Louis Aragon, Le Roman inachevé
Les mots qui ne sont pas d’amour
Il est inutile de geindre
Si l’on acquiert comme il convient
Le sentiment de n(‘être rien
Mais j’ai mis longtemps pour l’atteindre
On se refuse longuement
De n’être rien pour qui l’on aime
Pour autrui rien rien par soi-même
Ça vous prend on ne sait comment
On se met à mieux voir le monde
Et peu à peu ça monte en vous
Il fallait bien qu’on se l’avoue
Ne serait-ce qu’une seconde
Une seconde et pour la vie
Pour tout le temps qui vous demeure
Plus n’importe qu’on vive ou meure
Si vivre et mourir n’ont servi
Soudain la vapeur se renverse
Toi qui croyais faire la loi
Tout existe et bouge sans toi
Tes beaux nuages se dispersent
Louis Aragon, Le Roman inachevé, dans
Œuvres poétiques complètes, II, édition dirigée par
Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 181-182.
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30/11/2023
Louis Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même
Marguerite
Ici repose un cœur en tout pareil au temps
Qui meurt à chaque instant de l’instant qui commence
Et qui se consumant de sa propre romance
Ne se tait que pour mieux entendre qu’il attend
Rien n’a pu l’apaiser jamais ce cœur battant
Qui n’a connu du ciel qu’une longue apparence
Et qui n’aura vécu sur la terre de France
Que juste assez pour croire au retour du printemps
Avait-elle épuisé l’eau pure des souffrances
Sommeil ou retrouvé des rêves de vingt ans
Qu’elle s’est endormie avec indifférence
Qu’elle ne m’attend plus et non plus ne m’entend
Lui murmurer les mots secrets de l’espérance
Ici repose enfin celle que j’aimais tant
Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même, dans
Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par
Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 891.
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29/11/2023
Louis Aragon, La Grande Gaîté
Art poétique
On me demande avec insistance
Pourquoi de temps en temps je vais à
La ligne
C’est pour une raison
Véritablement indigne
D’être cou
Chée par écrit
Aragon, La Grande Gaîté, dans
Œuvres poétiques complètes, I, édition
dirigée par Olivier Barbarant,
Pléiade/Gallimard, 2007, p. 406.
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28/11/2023
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
Je ne veux plus me retenir des erreurs de mes doigts, des erreurs de mes yeux. Je sais maintenant qu’elles ne sont pas que des pièges grossiers, mais de curieux chemins vers un but que rien ne peut me révéler qu’elles. À toute erreur des sens correspondent d’étranges fleurs de la raison. Admirables jardins des croyances absurdes, des pressentiments, des obsessions et des délires. Là prennent figure des dieux inconnus et changeants. Je contemplerai ces visages de plomb, ces chènevis de l’imagination. Dans ces châteaux de sable, que vous êtes belles, colonnes de fumées ! Des mythes nouveaux naissent sous chacun de nos pas. Là où l’homme a vécu commence la légende, là où il vit.
Aragon, Le Paysan de Paris, dans Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 149.
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