11/02/2024
Laurent Fourcaut, Une morceau de ciel
Lundi place Gambetta
Elle a teint ses cheveux d’une laide couleur
couleur de cuivre rouge il a la chevelure
d’un blanc grisâtre tant pis on se farcit leur
conciliabule entre des milliards — qu’en conclure ?
que silence est une extase qu’aucun dealer
ne fourgue à quiconque il le faut sous son galure
comme jalousement comme ultime valeur
archaïque bientôt à l’instar du silure
Les autres toujours plus nombreux polluent l’air
le monde vous a une minois patibulair
e « en avril je fais l’ouverture de la pêche »
fait le loufiat comme si tout continuait
pourquoi pas aller aux champignons ? y’a pas mèche
autant vaudrait croire encore au père Noë
l
Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,
2024, p. 117.
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10/02/2024
Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel
Le mort saisit le vif
La vie est impersonnelle elle va de vous
dans les choses le vent elle s’est imprimée
sur la gravure d’après Raphaël envou
tante est partie ailleurs jamais éliminée
lie le haut et le bas même aucun garde-fou
l’empêche d’investir la mort réanimée
Vous allez disparaître sans qu’un jet de fou
dre le signale au monde indifférent – grimée
en rituel social en décès votre mort
vous sera confisquée alors que vous vous dor
mirez enfin au sein de la pure nature
affranchi de la folie qui lance les vifs
dans la fuite en avant générale que bif
fe le divin trépas souveraine rature
Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel,
Tarabuste, 2024, p. 36.
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09/02/2024
Daniel Fano, Papier pelure 1969-1999
(sans titre)
(passage du Capricorne,
au Saggitaire. L’œil d’ombres — et les
cils, un peu
de mascara noir — le regard prend
du relief. Les pages
publicitaires des magazines :
UN PROCEDE REVOLLUTIONNAIRE
POUR DEVELOPPER LES SEINS
- un inventaire des différentes façons de trouver le sommeil
- la pluie de 18 h 27,
QUELQU’UNE BIS belle comme une Lamborghini
taînée 3000 mètres
par un train
- la radio, MOI NON PLUS.
Daniel Fano, Papier pelure, 1969-1999,
Flammarion / Poésie, 2024, p. 81.
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08/02/2024
Max Jacob, Rivage
Fable
« Je chanterai sur le haut de la maison.
Je chanterai sur le pas de la porte.
Je chanterai le tambour sur le dos.
Je chanterai aux charges de la vie.
Je chanterai avec beaucoup d’argent.
Je chanterai électrique et brillant.
Je chanterai en tirant sur la cloche.
Je chanterai en coupant ma bidoche
et sous les arbres noirs de mon pays.
Je chanterai dans les rues de Paris.
Je chanterai par joie ou par tristesse
honte ou regret par orgueil ou détresse
et mon ombre avec moi chantera par duo. »
Or celui qui chantait a glissé dans la mare
Et nul ne s’est trouvé pour lui tendre une amarre.
Max Jacob, Rivage, dans Œuvres, Quarto/Gallimard,
2012, p. 1455.
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06/02/2024
Max Jacob, Les pénitents en maillots roses
Le pape au couvent
Ô moines !
— du ciel
fidèles
cétoines
— idoines
au miel !
Cilice,
caprice
d’un pape
qui frappe
à l’huis
des trappes.
Bien las
peut-être
qui va
paraître par la
fenêtre !
« Qu’un pape
s’astreigne !
qu’il ceigne
la chape !
— Mon règne
m’échappe !
disette
ici !
couette
au lit !
ne suis
qu’ascète. »
Max Jacob, Les pénitents
en maillots roses, dans Œuvres,
Quarto/Gallimard, 2012, p. 700-701.
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05/02/2024
Max Jacob, Le laboratoire central
Thème de l’illusion et de l’amour
Les chiens d’un certain Actéon
Ne dévoreront pas leur maître ;
Ils le feraient des vagabonds.
Existence paradoxale que la lune fait naître,
Sur les pelouses du château
Non ! ce ne sont pas des joyaux
Sur les chiens et les paillassons
Mais des gouttelettes du jet d’eau.
Le danseur : ) un zeste de citron –
Poursuit Dane au jeu de cache-cache
Les fenêtres qu’on dépassa l’éclairait en grêle malgache.
Ilote ! oh ! maigre lot ! les pompes du soleil !
Pour donner aux oiseaux le signal de l’hiver
Voici la lune ! sors donc en ouvrant ton ombrelle
De ce muscat, raisin en clocher de chapelle.
Le masque de Basile était un masque nègre
Blanc, le côté d’amour ! l’autre côté vinaigre.
Max Jacob, Le laboratoire central, dans Œuvres,
Quarto/Gallimard, 2012 ; p. 594.
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04/02/2024
Max Jacob, Le cornet à dés
Le facteur de l’avenue de l’Opéra a, dans sa boîte, un oiseau gros comme les perles qui ornent le velours noir de la boîte. Il lui donne à boire à la terrasse des cafés.
Mille bouquets de bosquets, mille bosquets de bouquets et mille camomilles. Si tu veux, ma gentille, tu mettras ta mantille. La mare a, dans la nuit, des vertèbres aussi profondément vertes que les mousses de mes pistils.
Le mystère est dans cette vie, la réalité dans l’autre ; si vous m’aimez, si vous m’aimez, je vous ferai voir la réalité.
Quand on donne aux magiciens un morceau de vêtement, ils connaissent celui qui le porte, moi, quand je mets ma chemise, je sais ce que je pensais la veille.
Max Jacob, Le cornet à dés, dans Œuvres, Quarto/Gallimard, 2012, p. 370, 371, 371, 373.
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03/02/2024
Ghérasim Luca, La paupière philosophale
L’opale
Avec les pôles d’une pile
on pèle à la poupe
les palpes du poulpe
L’eau palpe le poulpe
mais le hâle le pèle
Comme devant la trop pâle
logique du crépuscule
un paléologue du faubourg
pâlit sur le palier de la peur
L’aile du poulpe étale
sur la peau qui palpite
un appât à pas de loup
Ghérasim Luca, La. Paupière philosophale,
éditions Corti, 2016, p. 17 à 20.
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02/02/2024
Jean-Claude Pirotte, Revermont
rien de ce que je crois
posséder ne m’appartient
novembre touche à sa fin
longues nuits jours étroits
même les douleurs du corps
viennent d’ailleurs vont ailleurs
se déplacent avec les heures
pas de théâtre sans décor
la brume ainsi passe au loin
où sont d’étranges lueurs
comme des signaux de peur
dont personne n’est témoin
Jean-Claude Pirotte, Revermont,
Le temps qu’il fait, 2008, p. 73.
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01/02/2024
Jean-Claude Pirotte, Récits incertains
Je ne tiens pas à cadencer cette voix sourde
et citadine qui habite
le clair-obscur de la soupente
je mets au clou le métronome usé
des prosodies je n’en tirerai pas
un flèche et la rime usuraire
se coulera comme un vieux gant perdu
dans la sciure et les torchons
des brasseries où la piétaille expie
le quotidien grevé d’agios
je porterai le chômage des jours
comme un baume, et cet homme
accroupi rue des Grandes Arcades
entre la Haute Montée de la Mésange et la
place Gutenberg, cet homme jeune avec son
chien malade et sa pancarte où il est écrit
Sans argent
sans travail sans logement sans âme
cet homme aura ma menue monnaie d’âme
invendable puisque mon nom déjà
je l’ai donné sous ces mêmes arcades
à un autre clochard loquace et titubant
(…)
Jean-Claude Pirotte, Récits incertains,
Le temps qu’il fait, 1992, p. 43.
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30/01/2024
Henri Pichette, Odes à chacun
L’Ode à chacun
Soleil, ouvre grandes les Portes :
Ce monde est parsemé d’œuvres douces et fortes.
Éclaire-moi, qui me veux illuminateur
Tel un fou, tel un sage, oui, tel un créateur.
Que paroles du cœur vient le jour sur mes lèvres !
Si j’ai, d’interminables nuits, tremblé
De perdre la flamme tandis que je suais la fièvre,
Jamais les champs ne m’ont apparu noirs de blé.
J’ai vu la petite Aube sourire à l’Océan.
Je ne suis plus l’animal seul
À se lamenter entre deux néants,
Ni l’insane qui songe à déserter le sol.
Parmi les hommes à la peine
Je m’instruirai. Touché, je haïrai la haine.
Je participerai plein de cœur aux efforts
De la verte forêt toutes feuilles dehors.
L’espoir, voici l’espoir, le grave espoir lucide
Qui veut qu’âme, ombre et chair on se décide.
Ô prometteuses fleurs ! possibles fruits heureux !
Que le sang vénéré provigne, généreux.
Ô le travail de la contemplative prière,
Une rosée en larmes de lumière.
Henri Pichette, Odes à chacun, Gallimard, 1988, p. 9-10.
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29/01/2024
Henri Pichette, Odes à chacun
Ode aux trois règnes
et à l’ami Gaston Miron
C’est la beauté simple exposée
Par la bonté simple reçue,
Le pré fin perlé de rosée,
La virginale fleur conçue.
Ô roideur du lis
Impeccable !
Jaune ciment de propolis !
Manne d’érable vénérable !
Beau grain sous la pierre meulière !
Bon germe en terre hospitalière !
C’est un poussin du jour sur le fumier pailleux.
C’est par le trou d’un mur vieux
Une musaraigne sui fait gille.
C’est le manège, la coquetterie
D’une pigeonne courtisée à flanc de tuile.
C’est quelque archipel, quelque théorie
De nénuphars blancs sur une onde coite.
C’est la couche d’herbe moite
Où sommeille en rond un serpent de verre
(…)
Henri Pichette, Odes à chacun, Gallimard,
1988, p. 76-77.
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28/01/2024
Patrick Kéchichian, L'écrivain comme personne : recension
« Un récit ? Non, pas de récit, plus jamais », ce refus de Maurice Blanchot, dans La Folie du jour, est un des quatre textes mis en épigraphe et repris dans l’un des trente chapitres de quelques pages du livre. Au cours de la lecture, on relève encore « on ne réécrit pas l’histoire, et pas davantage sa propre histoire ». De quoi donc s’agit-il ? non d’une autobiographie — on y reviendra — mais du parcours complexe qui aboutit à cet "Autre" qu’est l’écrivain. Pour autant que l’on puisse se dire « écrivain » : dans sa préface, Didier Cahen souligne l’ambiguïté du titre, comme si Patrick Kéchichian « jouait des mots pour dire deux choses en une ».
Le livre, l’écrit sont vécus comme fondateurs depuis l’enfance, comme si pour Patrick Kéchichian les premiers contacts avec l’extérieur étaient passés, d’abord, par les mots, ceux reçus, entendus et lus, tout autant ceux écrits pour essayer de transcrire — non de décrire quelque chose de ce qui s’éprouvait et, de cette manière, « découvrant le monde en se découvrant lui-même au bout de son crayon ». Expérience particulière de construction du "Je", cette certitude, ou illusion, que l’écriture, les mots ont faculté d’atteindre le vrai des choses, de soi. Ce qui conduit pendant un long temps à accumuler les pages, cahiers, feuilles volantes et, sans doute dès les premiers essais, à multiplier les énumérations pour cerner au plus près ce qui (sa propre vie, le monde) resterait sinon opaque, obscur. Tout ce qui fait les jours devrait donc être noté, les mots sur la page conférant aux instants les plus divers du vécu un supplément de réalité. Une citation, amputée de son début et de sa fin, éclaire sur la diversité des « fragments d’existence » que conservait Patrick Kéchichian :
(…) souvenirs dépareillés, rêves éveillés, ensommeillement et/ou insomnies, obsession du recensement de soi, drames et anecdotes, additions minutieuses ou multiplication de vétilles, inventaires dûment consignés des nostalgies et des regrets, troubles de l’esprit encourageant ceux du comportement, deuil prolongé, rires couverts de pleurs et inversement (…)
Cette liste partielle fait comprendre le caractère anarchique de ce qui est retenu et l’impossible approche du livre désiré, dont les mots auraient un peu restitué des « images de l’invisible et [des] figures, même approximatives, de l’existence ». Livre qui donnerait à lire la vie de quelqu’un, mais « étoffée et dramatisée par l’auguste geste d’écrire ». Feuilletant les nombreux "récits de vie", journaux, carnets édités ces dernières années, le lecteur sait bien qu’ils relèvent d’une imposture — Jude Stéfan avait très justement publié des bribes d’un journal (plus ou moins inventées) sous le titre Faux journal. C’est cette imposture qui arrête Patrick Kéchichian, « tout ce qui pouvait être narré, (…) rapporté, encensé, pensé, analysé, catalogué, comptabilisé trouvait, en marge du livre à venir (…) une possible expression ». "Livre à venir"1 donc, qui ne peut être écrit qu’en sortant de l’imposture, du désordre pour lui « opposer l’idée, la volonté, le projet, la recherche d’un ordre. »
Abandonner les facilités des notes d’un journal, "intime" ou non, ne peut se décider qu’après une prise de conscience de « l’ampleur de [son] ignorance, de la hauteur et de la profondeur de [son] désarroi » ; la conscience est la « porte du discernement », ce qui donne la possibilité d’une certaine cohérence à « des fragments, des bribes, des lambeaux de cette histoire invisible » qu’est une vie. Non pour écrire sa vie comme exemplaire, mais l’écrire « hors de tout titre de propriété » — et devenir écrivain. En sachant alors qu’écrire n’est pas « une fonction, un métier, un statut, sauf à accepter de porter sa vie durant un masque (…). L’être de l’écrivain est vide, disponible (…) » et « Ce vide, cette absence (…) sont habités par l’acte présent d’écrire ». L’une des lectures du titre du livre est en relation avec cette affirmation et est explicitée dans ce parcours à propos de ce qu’est écrire, « Je suis quelqu’un pour la seule raison que je ne suis personne ». C’est cela qui autorise Patrick Kéchichian à projeter un « livre de vie et de vérité, de nudité et de lumière », qui l’a guidé également dans son activité de critique : il lui fallait toujours, écoutant « la voix de l’autre », non pas disparaître, effacer ce qu’il était, mais « la restituer à elle-même, (…) lui faire écho » ; c’est bien le même qui écrit un « essai de fiction » et à propos d’un livre.
On reconnaît dans cette méditation sur « l’étrangeté de la parole littéraire »2), sur la difficulté à en rendre compte, au-delà d’une certaine proximité avec Maurice Blanchot, les traces d’un lent cheminement, d’une volonté de comprendre. Comme si Patrick Kéchichian avait eu à cœur d’éclaircir ce qui était resté très longtemps obscur, « Il y avait en moi, depuis l’enfance, sans que j’en prisse l’exacte conscience, encore moins la mesure, une attente, une mystérieuse alerte, une gestation secrète du cœur ».
Patrick Kéchichian, L'écrivain comme personne, éditions Claire Paulhan, 2023, 160 p., 18 €. Cette recension a étépubliée par Sitaudis le
1 Le livre à venir est le titre d’un livre de Maurice Blanchot, repris à nouveau au début de l’avant dernier chapitre de L’écrivain comme personne.
2 Maurice Blanchot, op. cité, p. 39.
Patrick Kéchichian, L'écrivain comme personne, éditions Claire Paulhan, 2023, 160 p., 18 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le
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27/01/2024
Henri Pichette, Apoèmes
Polichinelle, épelle-moi le monde.
L(Océan, l’Arbre et la Pierre
Sont d’inertes patries :
Où meurt l’arbre qui dort,
L’oiseau ne se décide
A rien, il est de pierre.
Femmes, ciguë, lys et
Serpents, votre heure sonne.
Vierges, l’amour appelle
Votre chair estimée.
Chassons la guerre ensemble.
Plus jamais d’hallali !
Plus de sang sur les plumes !
Plus d’hosties dans les pièges !
Garenne, tu es libre.
Si rien ne va, du moins
La mort va à l’encontre.
La pensée ;.. pourquoi elle
Plutôt que le butoir.
Henri Pichette, Apoèmes, Granit, 1979, p.23.
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26/01/2024
Monique Laederach, Mots sur le bord d'être
Quand parlerai-je encore avec amour
alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée
entre la peau et la veille ?
Langue à moitié de musée,
striée de rêves obsolètes —
et c’est vrai : son piédestal même
n’était qu’erreur et poudre
aux yeux !
Ah ! Laisse ! Oublie !
L’ancien amour non plus
ne réchauffait mes poignets.
Et maintenant je ferme les yeux
sur son nom,
j’attends seulement
la douceur d’une peau,
d’un souffle,
d’un appel tiède
sur ma nuit.
Et mon noyau resserré
ferait fleur à la bouche
qui me l’offre.
Monique Laederach, Mots sur lebord d’être, dans
La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.
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