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21/06/2023

Francis Ponge, Le Savon

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                           Thème du savon 

Et maintenant, cher lecteur, pour ta toilette intellectuelle, voici un petit morceau de savon. Bien manié, gageons qu’il y suffira. Portons en main cette pierre magique.

                                              *

Il y a quelque chose d’adorable dans la personnalité, le caractère du savon, d’inimitable dans son comportement.

D’abord une réserve, une tenue, une patience sur sa soucoupe aussi  parfaites que celle du galet. Mais en même temps, moins de rugosité, moins de sécheresse. Quelque chose certes de tenace, compact et qui se tient les rênes courtes, mais d’amène aussi, d’avenant, poli, doux, agréable en main. Et parfumé (quoique non sui generis). Plus vulgaire peut-être, mais en compensation plus sociable.

 Francis Ponge, Le Savon, dans Œuvres complètes, II, Pléiade/ Gallimard, 2002, p. 179.

20/06/2023

Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I,

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                                Divagations

 

C’est le titre du principal ouvrage en prose d’une des plus grands poètes français, dont on fête ces jours-ci le centenaire.

C’est aussi le terme employé dans les ordonnances municipales pour désigner le vagabondage des chiens sur la voie publique, leurs déambulations autour des poubelles et des troncs d’arbre, le nez actif ou la patte levée.

Une note récente de la mairie de Roanne vient de rappeler à l’ordre les propriétaires de ces promeneurs affairés, qui risquent désormais le fourrière et la mort sans phrases dans les deux ou trois jours  à dater de leur capture.

Posséder un chien à l’heure actuelle est certes légitime, le nourrir est méritoire : le promener est permis, à condition de le surveiller de près.

Mais posséder deux ou trois chiens est devenu paradoxal ; les nourrir est acrobatique et vaguement suspect ; les laisser divaguer, délictueux et sans excuses.

L’hygiène de notre ville— qui pose d’ailleurs d’autres problèmes plus graves — justifie entièrement la mesure qui vient d’être prise, à laquelle les amis des bêtes eux-mêmes ne peuvent qu’applaudir.

                                                           (vendredi 3 avril 1942)

Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 1159.

19/06/2023

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi

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Pour ne savoir point trop ce qu’est la poésie (nos rapports avec elle ne sont qu’indirects), d’une de ces figues sèches, par contre (tout le monde voit cela), qu’on nous sert, depuis notre enfance, ordinairement aplaties et tassées parmi d’autres hors de quelque boîte, comme je remodèle chacune entre le pouce et l’index machinalement avant de la croquer, l’idée que je m’en fais paraît bientôt bonne à vous être d’urgence quittée.

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres poétiques, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 863.

18/06/2023

Francis Ponge,, Comment une figue de paroles et pourquoi

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La poésie est l’art d’écrire en vers, peut-on lire dans Larousse. Il es évident que cette définition est maintenant (aujourd’hui) dépassée, qu’elle n’est plus juste.

Pour moi la poésie est l’at d’assembler et d’abord de traiter les mots (les paroles) de façon à mordre dans les choses (dans le fond obscur des choses) et de s’en nourrir.

Las poésie est l’art de traiter les paroles de façon à permettre à l’esprit de mordre dans les choses  et de s’en nourrir.

(Il s’agit donc plus que d’une connaissance : d’une assimilation.)

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 788.

15/06/2023

Yves Bonnefoy, Œuvres poétiques : recension

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Yves Bonnefoy, la réalité et les mots

 

Plusieurs écrivains ont vu leur œuvre en cours paraître dans la Pléiade, par exemple Gide en 1939 pour son Journal ou, plus récemment, Philippe Jaccottet pour ses poèmes et ses essais, et Saint-John Perse s’est lui-même occupé d’en préparer l’édition. Yves Bonnefoy, lui, a suivi de près l’élaboration du volume, intervenant pour introduire des textes habituellement vus à côté de la poésie : travail long et minutieux rendu possible par l’amitié qui liait l’écrivain aux responsables de la mise en œuvreet à ceux de l’établissement des textes. Qui connaît la poésie de Bonnefoy suivra avec intérêt le long avant-propos de Lançon et Née qui retrace avec précision son évolution littéraire, puis la préface d’Alain Madeleine-Perdrillat qui retient des livres considérés majeurs et met en valeur des constantes, soit l’unité de l’œuvre.

Le volume contient des traductions — les poèmes de Yeats mais aussi, comme le veut la collection, des notes abondantes en fin de volume apportent d’utiles compléments, suivies d’un choix bibliographique précieux des études critiques (livres, numéros spéciaux de revues, articles), d’un index des noms et d’une table des titres et incipit. On regrettera que les illustrations de L’Arrière-pays soient reproduites en noir et blanc.

 

On relève dans la construction de la personne l’amour dès l’enfance de la lecture, encouragé par les parents, et l’essai d’une pièce — coïncidence ? on se souvient que le premier des cinq ensembles de Du mouvement et de l’immobilité de Douve a pour titre "Théâtre". Bonnefoy a découvert tôt le surréalisme par l’anthologie de Georges Hugnet, a connu Breton qui l’estimait, s’est rapproché du groupe surréaliste sans y être actif, s’en est écarté en 1947 quand l’ésotérisme s’y est imposé, mais il a gardé l’amitié de dissidents du groupe comme Gilbert Lely et Christian Dotremont. Ce passage l’a conduit à réfléchir sur ce qu’est l’image et sur son usage, de là à la relation entre langage et réalité, réflexion qu’il a poursuivie toute sa vie. D’autres rencontres ensuite ont modifié profondément l’orientation de sa vie ; par exemple, grâce à Pierre Leyris il s’est voué à la traduction de Shakespeare — il a traduit une dizaine de pièces, les sonnets et la poésie — et il a publié aussi des sonnets de Yeats. Son appétit de connaissance l’a dirigé, à partir de 1949 avec les cours de Lucien Biton vers l’étude des mythes et des sciences religieuseset, parallèlement, il a suivi des philosophes comme Jean Hyppolite et Jean Wahl, le spécialiste de la gnose Charles-Henri Puech et, par ailleurs, les études d’André Chastel lui ont ouvert le Quattrocento.

 

Tous ces travaux ont nourri son écriture, comme ses rencontres, celle de la poésie de Jouve après son expérience surréaliste : « La réalité qu’avait décomposée l’intellect se rassemblait à nouveau, le regard pouvait sans entraves pressentir en tout l’unité de tout — cette lumière de l’Alpe dans Matière céleste, étincelante, enivrante, au profond de chaque chose mortelle » (L’Écharpe rouge, p. 1189). Bien avant, Bonnefoy avait lu à sa parution en 1943 L’Expérience intérieure de Georges Bataille, qui l’a sans doute aidé à considérer la poésie comme connaissance du temps, de la finitude et de soi ; cette lecture n’est pas sans rapport avec ce qu’il a désigné par « présence » — la réalité concrète, immédiate — en relation avec une autre notion, « l’indéfait » : il s’agit de cette présence, antérieure à toute analyse par la langue à quoi accèderait l’infans (l’enfant qui ne parle pas encore) et que l’art, la poésie auraient pour fonction de retrouver. Lançon et Née insistent sur ce point à propos du personnage de Douve, dans « le premier grand livre de poésie »3  de Bonnefoy : « le vocable « Douve » ne représente personne (à la différence de la « Laure » de Pétrarque ou de la « Délie » de Scève), mais allégorise la quête de l’immédiat du monde, cet en dehors du langage à ressaisir paradoxalement par les mots » (p. XVIII). Madeleine-Perdrillat insiste sur l’absence du "je" dans ce « livre fondateur », son auteur « ne manie jamais que des mots et des images, auxquels quelque chose de la réalité, la douleur et la mort, échappera toujours » (XXXVII).

Combat certes « désespéré » que l’écriture du poème, comme le souligne encore le préfacier, et c’est pourquoi il ne peut jamais être achevé. Pour Bonnefoy la poésie avait pour tâche de restituer quelque chose du « monde proche », non simplement des réalités vécues mais « de l’horizon derrière elles » (1188), sachant que « c’est seulement l’expérience du temps vécu qui peut rendre vie à la parole » (1187). Cette exigence explique la récurrence de ses thèmes (la vie, la mort, le désir, la nuit, le vent…) et son emploi de mots simples (jour, nuit, aube, froid, feu, eau, etc.) ou fortement suggestifs comme "barque" ou "neige" ; il faudrait que les mots donnent le plein de leur sens, en allant au-delà de la relation arbitraire entre le signe et la chose c’est-à-dire qu’ils permettent de saisir ce qui n’est pas dicible mais que leur emploi dans le poème devrait faire surgir. Contradiction que Bonnefoy connaissait bien et qu’il a souvent énoncée, comme dans L’Écharpe rouge, « D’un côté, le sentiment obscur que la réalité, c’est plus que les mots ; de l’autre quelque aisance à vivre parmi ceux-ci, l’intérêt pour les choses qui naissent de leur emploi » (p. 1126). On pense à la fonction performative, en scène dans Le Théâtre des enfants : « La petite fille dit je suis la reine (…) tu es le roi. En effet, ils étaient la reine et le roi. » On retrouve dans toute l’œuvre la relation aux choses que Bonnefoy disait être celle de son enfance ; dans Le Grand Espace, consacré au Louvre, il écrivait en ouverture « J’aurais voulu entrer enfant dans un lieu comme celui-ci », expliquant : « Ce ne sont pas les mots qui comptent pour lui, mais ce sont les images qu’il aperçoit au-delà » (p. 830).

 On ne réduit évidemment pas l’œuvre complexe d’Yves Bonnefoy à une relation entre mots et réalité, mais cette attention qu’il y porte l’éloigne d’un lyrisme toujours dominant dans les écrits de son époque : il ne célèbre ni l’amour ni la nature. Sa poésie, pour citer encore Madeleine-Perdrillat, « dit avec peu de mots et peu d’images, son peu de pouvoir » (XL). Cependant, ce peu est essentiel, elle est force de vie, « contre « le spectacle de la souffrance et de la mort » (id.). C’est pourquoi la transmission de ce qui s’écrit dans d’autres langues importait tant à Bonnefoy, Lançon et Née rappellent d’ailleurs qu’il voyait dans la circulation des poésies un des fondements de la Communauté européenne.

                                           (…) Écrire une violence

       Mais pour la paix qui a saveur d’eau pure.
                  Que la beauté,
                  Car ce mot a un sens, malgré la mort,
                  Fasse œuvre de rassemblement de nos montagnes

       (Dans le leurre du seuil, p. 416)

 

1 Daniel Lançon et Patrick Née, outre plusieurs études sur l’œuvre de Bonnefoy, ont dirigé le colloque de Cerisy qui lui était consacré, en août 2006, Poésie, recherche et savoirs

2 C’est pourquoi il a dirigé les deux volumes du Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique (Flammarion, 1981)

3 Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, 1953.

 


Yves Bonnefoy, Œuvres poétiques, Édition établie par Odile Bombarde, Patrick Labarde, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme Thélot ; avant-Propos Daniel Lançon et Patrick Née, préface Alain Madeleine-Perdrillat, « Yves Bonnefoy, "Et poésie, si ce mot est dicible" », Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2023, 1808 p., 19 €. Cette recension a éé publiée dans Sitaudis le 4 mai 2023.

 

 

14/06/2023

Robert Desnos, État de veille

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Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.

Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.

Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.

Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n’approche pas de leur bord.

C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,

Un peu vieilli, mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,

Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.

Alors je suis rentré parmi les hommes.

 Robert Desnos, État de veille

 

13/06/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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Sans

     les reins

qu’un soir ondule

     sans votre

plainte

     qui m’étreint

sans votre douleur

et vos crépuscules

mais une nuit bleue

     happe

        votre front

votre haleine se fit

     étang

un jour vos mains

 sont

     broussailles

brûleront le chagrin.

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 76.

12/06/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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J’avais retenu

     de vous

des pauses      une

silhouette      

     qui attend

continue d’être.

Des bouts de rues

     grises

toi encore

qui reste

avec le galet

     blanc

 le temps qui se

retire.

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 65.

10/06/2023

Carla Lonzi, Nous crachons sur Hegel : recension

Carla Lonzi, nous crachons sur Hegel

Un peu d’histoire : les six textes traduits ici ont été rédigés par Carla Lonzi (1931-1982) entre le printemps 1970 et début 1972, portant les idées du groupe « Rivolta Femminile » qu’elle avait fondé avec quelques femmes, ainsi que la maison d’édition Scritti di Rivolta Femminile. Il faut saluer le travail des traductrices, le texte semblant avoir été écrit directement en français ; elles insistent sur le contenu du féminisme de Carla Lonzi, hérité des États-Unis où elle avait séjourné : « féminisme de la parole et de l’écoute, attentif aux relations de pouvoir qui traversent toutes les dimensions de l’existence, jusqu’aux plus intimes. » Le dernier chapitre s’ouvre par une affirmation qui donne le ton de l’ensemble : « La femme appartient à l’espèce vaincue : vaincue par le mythe de l’homme. » Ce mythe est analysé et un autre statut de la femme proposé.

Commençons par quelques propositions de Rivolta Femminile, qui prennent à la racine ce qui, dans toutes les civilisations, a placé les femmes sous la domination des hommes :

 

                       L’image de la féminité avec laquelle l’homme a interprété la femme n’était que son invention.

 

                  La femme est l’autre par rapport à l’homme. L’homme est l’autre par rapport à la femme. L’égalité n’est qu’une tentative idéologique d’asservissement de la femme à un niveau supérieur.

 

Cette infériorité est de très longue date le fait de l’Église, mais ajoute Carla Lonzi, « la psychanalyse nous a trahies, le marxisme nous a vendues à la révolution hypothétique. » Freud, tout comme Reich, est rejeté et il faut lire les analyses précises qui mettent au jour les fondements idéologiques sur lesquels reposent les concepts de la psychanalyse ; l’homme, d’ailleurs, ne se cachait pas pour dire l’infériorité de la femme, pensée claire dans une lettre à sa fiancée citée ici : « Cher trésor, pendant que tu te réjouis des tâches domestiques, je suis tout au plaisir de résoudre l’énigme de la structure du cerveau ». Carla Lonzi oppose à tout discours de hiérarchie entre l’homme et la femme une évidence : « Le sexe féminin est le clitoris, le sexe masculin est le pénis ». C’est la culture patriarcale pour la reproduction de l’espèce qui a primé. Mutilation culturelle de la sexualité féminine, qui dépend du clitoris : « Le plaisir vaginal a été valorisé par toute une culture masculine, orientale et occidentale, et il a trouvé dans les théories freudiennes et reichiennes l’étayage pour prolonger sa gloire pendant un millénaire encore. ».

Très longtemps il a été difficile pour une femme de se mettre à l’écart de ce modèle et d’avoir son plaisir par l’auto-érotisme. Dès le XVIIIe siècle, pour des raisons économiques — la crainte, non justifiée, de la dénatalité — des médecins ont condamné l’onanisme ; pour les femmes, il s’agissait selon le docteur Tissot d’un « monstre qui renaît chaque jour et auquel les filles s'adonnent avec d'autant plus de confiance qu'il n'en résulte pas de fécondité et que […] l'on n'a pas à recourir à l'avortement »*. Le modèle masculin prédominant accepté par les femmes a contribué à les écarter de la recherche de leur plaisir, ne serait-ce que par « peur panique de se découvrir comme être humain en dehors du destin du couple ». Carla Lonzi retrace toute l’histoire de la femme à partir du moment où elle sort du milieu parental ; tout la conduit dans la société à se convaincre « qu’elle est avec un homme à la hauteur de la haute idée qu’elle se fait de l’homme ». Pour Rivolta Femminile, la question de l’égalité ne se pose pas ; garantie par la loi, elle implique en effet qu’il faut supprimer la différence entre homme et femme dans la société : certes, mais l’égalité est une notion qui concerne l’État et la place des citoyens en son sein, imaginer qu’il est essentiel d’obtenir cette égalité, ce serait accepter l’intégration des femmes dans la société patriarcale. La revendication n’est pas négligeable si n’est pas laissé de côté le plus important, l’altérité qui sépare de toute manière la femme de l’homme.

La séparation posée a des conséquences dans divers domaines. La femme ne refuse pas la procréation, par exemple, mais il ne s’agit pas pour elle de penser à garantir la continuation de l’espèce, « Nous ne donnons des enfants à personne, ni à l’homme ni à l’État. Nous les donnons à eux-mêmes et nous nous restituons à nous-mêmes. » L’altérité est aussi à vivre dans le domaine de l’art et Carla Lonzi préconise de garder une distance vis-à-vis des œuvres masculines : les célébrer, ce serait « céder au racolage historique au service de notre domination ».

On ne peut nier que les femmes aient été considérées comme inférieures dans les sociétés occidentales. Le code Napoléon (1804) leur donnait le même statut qu’à l’enfant mineur et il faut toujours rappeler que le droit de vote leur a été « accordé » (!) en octobre1944, et ce n’est que depuis le 13 juillet 1965 qu’elles peuvent ouvrir un compte en banque sans l’autorisation du mari. Que les analyses de Carla Lonzi ne soient pas recevables aujourd’hui — cinquante ans après leur publication — ne peut étonner et il faudra sans doute encore quelques générations pour qu’elles aient des conséquences pratiques. On ne détruit pas l’idéologie d’une société patriarcale seulement en en montrant les caractères nocifs.

 Carl Lonzi, Nous crachons sur Hegel, traduction de l’italien Patrizia Atzei et Muriel Combes, ’’Écrits féministes’’, éditions NOUS, 2023, 176 p., 15 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 26 mars.2023/

 

* Tissot, L’Onanisme, ou dissertation physique sur les maladies produites par la masturbation

 

 

 

 

09/06/2023

Esther Tellermann, Ciel dans prise

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Tout à coup

s’était figé

     l’oubli

nous écartions

les persiennes pour

deviner

     un monde

qui palpite un reste de floraison

     des rumeurs

     un nulle part

qui gonfle votre

     force

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 41.

08/06/2023

Esther Tellermann, Ciel sans prise

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Puis soudain

je vous perds

et me fige

reste aux portes

car rien n’avait

prêté serment

peut-être un

secret que le

corps porte

et soudain

      irradie

la brûlure

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023.

07/06/2023

Paul Celan, Renverse du souffle

paul celan, renverse du souffle, écrit, parlé, nulle part

L’Écrit se creuse, le

Parlé, vert marin,

brûle dans les haies,

 

dans les noms

liquéfiés

les marsouins fusent,

 

dans le Nulle part éternisé, ici,

dans la mémoire des cloches

trop bruyantes à — mais où donc ?,

qui,

dans ce

rectangle d’ombres,

s’ébroue, qui

sous lui

scintille un peu, scintille, scintille ?

 

Paul Celan, Renverse du souffle, traduction

Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2011, p. 83.

06/06/2023

Paul Celan, Renverse du souffle

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Sous la peau de mes mains cousu :

ton nom consolé

avec des mains.

 

Quand je pétris la motte

d’air, notre nourriture, 

la lueur de lettres passée par le

pore

ouvert-délirant la

surit.

 

Paul Celan, Renverse du souffle,

traduction Jean-Pierre Lefebvre,

Seuil, 2003, p. 49.

05/06/2023

Paul Celan, La rose de personne

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                           Mandorle

 

Dans l’amande — qu’est-ce qui se tient dans l’amande ?

Le Rien.

Le Rien se tient dans l’amande.

Il s’y tient, s’y tient.

 

Dans le Rien — qui se tient là ? Le Roi.

Là se tient le Roi, le Roi.

Il s’y tient, s’y tient.

 

   Boucle de juif, tu ne feras pas de gris.

 

Et ton œil — vers quoi se tient ton œil ?

Ton œil se tient face à l’amande,

Ton œil face au Rien se tient,

Soutient le Roi,

Ainsi il se tient, se tient.

 

     Boucle d’homme, tu ne feras pas de gris.

     Amande vide, bleu roi.

 

Paul Celan, La rose de personne, traduction Martine

Broda, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 71.

03/06/2023

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride

          andré du bouchet,une lampe dans la lumière aride

car toujours la poésie mène en dehors d’elle — à une pensée qu’on peut trouver sans elle — mais devant laquelle ordinairement on ne s’arrête pas — parce qu’elle donne la stupeur — en poésie, c’est l’ordinaire devant quoi on est contraint de s’arrêter.

 

je connais l’angoisse de ne pouvoir écrire continûment, de rechercher ce que je veux dire de façon concertée — j’attends que cela vienne — par bribes ; aussi, je peux écrire indéfiniment.

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le bruit du temps, 2011, p. 197, 206.