30/10/2024
Jean Tardieu, Les dieux étouffés
Petit matin
Parle un bâillon sur la bouche !
Que la main étrangle le cœur !
Éteins éteins dans la nuit
Le chant des coqs de l’aurore !
Peut-être le ciel est-il vide
l’astre l’éclair enchaînés
la vie et l’amour trahis
peut-être l’Homme est-il mort ?
Il reste une lente horloge.
Jean Tardieu, Les dieux étouffés, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2015, p. 240.
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29/10/2024
Jean Tardieu, Le témoin invisible
Détour
J’entends j’esntends toujours
le marteau du grand jour
qui frappe comme un sourd
enclumes et tambours.
Je vois je vois toujours
fondre aux flammes du jour !
la ligne et le contour,
j’entends j’entends toujours
je vois je vois toujours !
Mais l’espoir est toujours
aveugle à tant de jours,
mais l’espoir est trop lourd
pour d’aussi vains parcours.
Il se cache du jour,
il sait plus d’un détour,
il refuse toujours
cette voix dans la cour,
ce rayon sur la tour,
la ville et ses faubourgs,
le bois et les labours.
Il ne veut nul séjour
que l’éternel amour.
Jean Tardieu, Le témoin invisible, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2015, p. 158.
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28/10/2024
Jean Tardieu, Accents
Les dangers de la mémoire
Ils s’assemblent souvent pour lutter
Contre des souvenirs très tenaces.
Chacun dans un fauteuil prend place
Et ils se mettent à raconter.
Les accidents paraissent les premiers,
Puis l’amour, puis les sordides regrets,
Enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
Au mur entre les fleurs du papier.
Ils pensnet aussi s’habituer
Au poison que leur mémoire transporte.
Mais cependant derrière la porte
Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.
Jean Tardieu, Accents, dans Œuvres, Gallimard /
Quarto, 2005, p. 89-90.
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27/10/2024
Jean Tardieu, Le témoin invisible
Ombre
Frange d’invisible,
tremblant de secrets,
l’absent qui te prie
et qui t’a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour
lié au silence
à toutes les feuilles,
à toutes les pierres
et à tous les temps,
n’est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t’es perdu ?
Jean Tardieu, Le témoin invisible,
dans Œuvres, Gallimard /
Quarto, 2005, p. 143.
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24/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Mélancolie
L’âme bleue s’est refermée muette,
Par la fenêtre ouverte descend la forêt brune,
Le calme des bêtes sombres ; dans le vallon moud
Le moulin, près de la passerelle reposent les nuages déversés,
Les étrangers d’or. Une troupe de chevaux
Surgit rouge dans le village. Brun et froid dans le jardin,
L’aster tremble, contre la clôture délicatement peint
L’or du tournesol a déjà presque coulé.
Les voix des filles ; la rosée s’est déversée
Dans l’herbe dure, et blanches et froides les étoiles,
Dans l’ombre chère vois la mort peinte,
Plein de larmes ton visage, et refermé.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit et
J-C. Schneider, Gallimard, 198, p. 203.
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23/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
La nuit des pauvres
Il fait sombre
Et sourde ô martèle
La nuit à notre porte.
Un enfant chuchote : comme vous tremblez,
Si fort !
Mais plus bas nous nous inclinons,
Pauvres, et nous taisons
Et nous taisons, comme si nous n‘étions plus !
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 318.
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22/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Un soir
Le ciel au soir était voilé,
Et dans les bois emplis de silence et de deuil
Passait un frisson d’or sombre,
Des cloches du soir au loin se perdaient.
La terre a bu une eau glacée,
A l’orée de la forêt mourait un feu,
Le vent chantait doucement avec des voix d’ange
Et je tombai à genoux, frissonnant.
Dans la bruyère, dans le cresson amer,
Dehors, au loin, nageaient dans des flaques d’argent
Des nuages, des veilles d’amour abandonnées.
La lande était solitaire et immense.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 330.
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21/10/2024
Georg Trakt, Œuvres complètes
Les rats
La lune automnale brille blanche dans la cour.,
Du bord du toit tombent des ombres fantastiques,
Un mutisme habite les fenêtres vides ;
Alors montent sans bruit les rats
Qui courent furtivement de-ci de-là en sifflant,
Et les suivent avec leur odeur horrible
Les exhalaisons des latrines
Où tremble, fantomatique, le clair de lune,
Et ils couinent de désir comme affolés
Et envahissent maisons et granges
Pleines de grains et de fruits.
Des vents glacés gagnent dans l’obscurité.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 54.
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20/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Déclin
Au-dessus de l’étang blanc
Les oiseaux sauvages ont émigré.
Au soir souffle de nos étoiles un vent glacial ;
Au-dessus de nos tombes
Se courbe le front brisé de la nuit,
Sous des chênes nous berce une barque d’argent.
Toujours sonnent les murs blancs de la ville,
Sous des voûtes de ronces.
Ô mon frère nous gravissons, aiguilles aveugles, vers le minuit.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit et
J-C. Shneider, Gallimard, 1980, p. 111.
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19/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Métamorphose
Au long des jardins, automnaux, roussi :
Ici se montre en silence une vie experte,
Les mains de l’homme portent des sarments bruns,
Tandis que la souffrance douce s’abaisse dans le regard.
Au soir : des pas vont à travers la campagne noire,
Plus visible dans le mutisme des hêtres rouges.
Une bête bleue veut s’incliner devant la mort
Et un vêtement vide tombe, sinistre, en loques.
Un enfant calme joue devant l’auberge,
Un visage enivré s’est affaissé dans l’herbe.
Fruits de sureau, flûtes molles et ivres,
Odeur de réséda, qui baigne une présence féminine.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit et
J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 43.
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17/10/2024
Max Ernst, Écritures
Le fugitif
Il a mieux aimé se noyer que de signer. Ils l’ont tous abandonné — leur confort, leur passé, leur bonheur, l’espoir. La corde qu’il emporte ne tient pas ses habituelles remorques. Sa poitrine lui servira d’oreiller, l’extrême douceur de son abandon l’éveillera. Le calme qu’il amasse se dépouille de mille brins de mousseline brûlée et des feuilles flottantes d’une plante gourmande. Les saluts des navires font éclore ses ornements naturels pour de futures combinaisons.
Toujours des points de vue et le minimum de moyens.
Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1976, p. 113
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16/10/2024
Sanda Voïca, L'ère de santé
« Élaboration des poèmes » : je lis et j’entends :
labourer — la terre des mots,
des planches irrégulières de mon potager
ou des mottes de terre :
la même chose.
Mais qui laboure encore aujourd’hui ?
Et si oui — la Terre est vaste ! —
Quelle terre ?
Que labourer autre que la terre et les propos ?
Gros sillon
l’autre jour
que ma joie
voire la jouissance
a infligé/induit au monde
— à l’intermondes — !
Sillon large, charnel,
chair jaune et lumineuse,
palpitante,
plaie rendue d’un plaisir reçu.
Sillon où glisser,
avancer ou pas.
Marcher
dans mon extase.
(sans date)
Sanda Voïca, L’ère de santé,
Atelier rue du soleil, 2024, p. 35.
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15/10/2024
Sanda Voïca, L'ère de santé
S’auto-prier
L’index
appuyé sur mes lèvres
humides vibrantes
est sans pourquoi :
sous l’explosion de joie
il s’en-chair-e
encore plus.
Frotter le corps,
frotter la tombe
avec le même tissu
— rideau en dentelle —
jusqu’au blanc.
Une couleur
en profondeur
en hauteur
jusqu’au trou blanc :
l’harmonie a été dite.
Dimanche, le 1 mai 2022
Sanda Voïca, L’ère de santé, Atelier rue
du soleil, 2024, p. 1.
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13/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tant que vous avez un futur, ne vivez pas trop dans la contemplation de votre passé : à moins que vous n’aimiez marcher à reculons, le miroir est un piètre guide.
La vie est une petite tache de lumière. Nous entrons, serrons une ou deux mains, et retournons chacun de notre côté dans les ténèbres. Le mystère est infiniment pathétique et pittoresque.
La mort est la seule prospérité que nous ne désirons pas pour nous-même et qui ne nous est pas contraire chez autrui.
Dans l’enfance, nous attendons, dans la jeunesse nous exigeons, à ‘âge adulte nous espérons et dans la vieillesse nous implorons.
Si les femmes se connaissaient, le fait que les hommes ne les connaissent pas les flatteraient moins et les contenteraient davantage.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, Alia, 2014, p. 53, 53, 55, 61, 61.
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12/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tout le monde est fou, mais celui qui sait analyser son illusion est appelé philosophe.
Le bonheur est perdu quand on le critique ; le chagrin, quand on l’accepte.
La vieillesse, avec ses yeux derrière la tête, pense que la sagesse, c’est de voir les marécages dans lesquels elle a pataugé.
Celui dont les mensonges ne trompent plus a perdu le droit de dire la vérité.
La langue d’un imbécile n’est pas si bruyante que le sage ne puisse entendre son oreille l’exhorter de se taire.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 44, 47, 49, 50, 51.
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