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27/11/2023

Louis Aragon, Les Destinées de la poésie

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Le dernier des madrigaux

 

Permettez Madame

C’est grand liberté

Que je le proclame

Vous atteignez à la beauté

Ce n’est pas peu dire

Ce n’est pas pour rire

C’est même exactement

         Pour pleurer

 

Votre manière agaçante

De manier l’éventail

Vos airs de reine ou de servante

Vos dents d’émail

Vos silences pleins d’aveux

Vos jolis petits cheveux

Ce sont des raisons excellentes

Pour pleurer

 

Aragon, Les Destinées de la poésie, dans

Œuvres poétiques complètes, I, éditions dirigée

par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard,

2007, p. 120-121.

26/11/2023

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir

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Avec toi

 

Mon pays ?

Mon pays c’est toi.

 

Mon peuple ?

Mon peuple c’est toi

 

L’exil et la mort

pour moi sont

où tu n’es pas.

 

Et ma vie ?

Dis-moi, ma vie, qu’est-elle, sinon toi ?

 

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir, traduction

Robert Marrast et Aline Schulman,

Gallimard, 1965, p. 145.

24/11/2023

Claude Royet-Journoud, Histoire du reflet

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une forme humaine

sans clarifier son objet

ou la noirceur du lieu

 

retire l’enfant d’une description

 

corps et voyelles ont beau faire

le réel est encore l’ombre

sous la chaise

 

par secousses par saccades se prépare

un cercle de respiration

 

le sol est froid

 

une accumulation d’outils

neutralise la figure

 

Claude Royet-Journoud, Histoire du reflet, dans

K.O.S.K.H.O.N.O.N.G.,n° 25, automne 2023, p. 7.

23/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Je n’oserais pas quitter mon ami,

Au cas où — au cas où il devrait mourir

Pendant mon absence — et que — trop tard —

Je rejoigne le Cœur qui m’attendait —

 

Si je devais décevoir les yeux

Qui ont scruté — tant scruté — pour voir —

Et ne pouvaient se résoudre à se fermer avant

Qu’ils m’aient « aperçue » — ils m’ont aperçue —

 

Si je devais poignarder la foi patiente

Si sûre de ma venue —

Bien sûr je suis venue —

À l’écoute — à l’écoute ­— endormi —

En prononçant mon nom doucement —

 

Mon ©œur souhaiterait se briser avant ça —

Se briserait alors — alors brisé —

Serait aussi inutile que le prochain soleil du matin —

Là où le givre de minuit — s’étendait !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, traduction

François Heusbourg, éditions Unes, 2023, p. 105.

22/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Tu m’aimes — tu en es sûre —

Je n’ai pas à craindre de méprise —

Je ne me réveillerai pas trompée

Par un matin souriant —

Pour trouver l’Aube partie —

Et les Vergers — intouchés —

Et Dollie — envolée !

 

Je ne dois pas tressaillir — tu en es sûre —

Une telle nuit ne se produira jamais —

Quand apeurée — me précipitant chez Toi —

Pour trouver les fenêtres éteintes —

Et plus de Dollie — vraiment —

Plus du tout !

 

Sois sûre d’être sûre — tu sais —

Je le supporterais mieux maintenant —

Si tu me le disais simplement —

Plutôt qu’ensuite — un petit Baumier terne ayant poussé —

Sur cette douleur mienne —

Tu piques — encore !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861, traduction François Heusbourg,

éditions Unes, 2023, p. 89.

 

20/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Marcher pour toujours à Ses côtés —

La plus petite des deux !

Cerveau de Son Cerveau —

Sang de Son Sang —

Deux vies — Un Être — Désormais —

 

Partager Son Sort pour toujours —

En cas de chagrin — abandonner ma part

À ce Cœur bien-aimé —

 

La vie entière — pour connaître l’autre

Que nous ne pouvons jamais apprendre —

Et petit à petit — un Changement —

Appelé Paradis —

Voisinage d’humains en extase —

Découvrant alors — ce qui nous troublait —

Sans le lexique !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861, traduction François Heusbourg,

Editions Unes, 2023, p. 133.

19/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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S’il n’avait pas de crayon

Emprunterait-il le mien —

Usé — là — émoussé — mon cher

De t’écrire tant.

S’il n’avait pas de mot —

Ferait-il la Pâquerette,

Presque aussi grande que je l’étais —

Quand il m’a cueillie ?

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels (poèmes

1860-1861), traduction François Heusbourg,

Editons Unes, 2023, p. 57.

18/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes 1860-1861

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Elle est morte en jouant —

Tournoyant tout le long

De son bail aux heures inachevées

Puis elle a glissé aussi gaiement qu’un Turc

Sue un Coussin de fleurs

 

Son fantôme flottait doucement sur la colline

Hier, et aujourd’hui —

Son vêtement une toison d’argent —

Son visage — un embrun —

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861,traduction François Heusbourg,

éditions Unes, 2023, p. 19.

17/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

étienne paulin,poèmes pour enfants seuls,soleil,enfant

mais où s’égare le soleil

où part-il s’égayer

 

place de la Fraternité

sur de curieux bancs de très grands enfants jouent

ici le temps redouble

il fait nuit brune

j’ignore où commence

la rue que je recherche

 

oh le terrible

bruit de mon cœur

là dans la fosse de mon corps

incarcéré mais clair comme une gigue

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 136.

16/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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Il y aura partout

 

dans le spectaculaire ennui

dans ton visage à claire- voie

des brins dans la forêt

 

tu ne seras pas sourd, grand corps affamé d’ombre

tu prendras quelque chose

 

un peu de mer vidée

des cendres qui s’attroupent

 

tous les désordres simples à confondre

à redire

 

c’est comme un minerai la mort

une caresse des extrêmes

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 44.

15/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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tu te le rappelles

le petit sentie

perdu dans la Ruhr 

laid pour tout le monde ?

je l’ai emprunté

dans un rêve entier

il était crayeux

 

petit chagrin sans âge

je voudrais savoir

à qui je m’adresse

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants

seuls, Gallimard, 2023, p. 31.

14/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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Dernière offre

 

la poésie

que l’on surprend au fond de la boutique

derrière la réserve

par-dessus l’extincteur et sous les vies vécues

les destins politiques les drames romancés

 

horizons cornés

ciels à la va-vite

— comme si vous y étiez : venez voir

on ne paie qu’en sortant

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 82.

13/11/2023

Étienne Paulin, Là

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        Novembre

 

j’aime les bruits qu’on entend

très haut dans le ville

si loin qu’on se demande

 

on ne sait pas ce qu’ils racontent

un fracas de grues

de chaînes enragées

 

ils finissent par nous aimer

 

parfois plus lointains

quelques-uns s’apostrophent

puis repartent

 

et je devine le ciel au-dessus d’eux

marbré solide

vainqueur

 

Étienne Paulin, Là,

Gallimard, 2018, p. 46.

12/11/2023

Jules Supervielle, La Fable du monde

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Celui qui chante dans ses vers,

Celui qui cherche dans ses mots,

Celui qui dit ombres sur blanc

Et blancheurs comme sur la mer

Noirceurs sur tout le continent,

Celui qui murmure et se tait

Pour mieux entendre la confuse

Dont la voix peu à peu s’éclaire

De ce que seule elle a connu,

Celui qui sombre sans regret

Toujours trompé par son secret

Qui s’approche un peu et s’éloigne

Bien plus qu’il ne s’est approché,

Celui qui sait et ne dit pas

Ce qui pèse au bout de ses lèvres

Et, se taisant, ne le dira

Qu’au fond d’une blafarde fièvre

Au pays des murs sans oreilles,

Celui qui n’a rien dans les bras

Sinon une grande tendresse,

Ô maîtresse sans précédent,

Sans regard, sans cœur, sans caresses,

Celui-là vous savez qui c’est

Ce n’est pas lui qui le dira.

 

Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes,

Pléiade/Gallimard, 1999, p. 385-386.

Jules Supervielle, La Fable du monde

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Celui qui chante dans ses vers,

Celui qui cherche dans ses mots,

Celui qui dit ombres sur blanc

Et blancheurs comme sur la mer

Noirceurs sur tout le continent,

Celui qui murmure et se tait

Pour mieux entendre la confuse

Dont la voix peu à peu s’éclaire

De ce que seule elle a connu,

Celui qui sombre sans regret

Toujours trompé par son secret

Qui s’approche un peu et s’éloigne

Bien plus qu’il ne s’est approché,

Celui qui sait et ne dit pas

Ce qui pèse au bout de ses lèvres

Et, se taisant, ne le dira

Qu’au fond d’une blafarde fièvre

Au pays des murs sans oreilles,

Celui qui n’a rien dans les bras

Sinon une grande tendresse,

Ô maîtresse sans précédent,

Sans regard, sans cœur, sans caresses,

Celui-là vous savez qui c’est

Ce n’est pas lui qui le dira.

 

Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes,

Pléiade/Gallimard, 1999, p. 385-386.