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16/07/2024

Constantin Cavafy, Œuvres poétiques

     

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J’ai tant regardé

 

J’ai tant regardé la beauté

Que mes yeux en sont pleins.

 

Lignes du corps, lèvres rouges, formes sensuelles,

Des cheveux qu’on eût pris pour ceux de sculptures grecques,

Toujours beaux, même ainsi, dans leur désordre,

Quand ils tombent légèrement sur les fronts blancs.

Visages de l’amour, tels que les désirait

Ma poésie… dans les nuits de ma jeunesse,

Dans mes nuits furtivement rencontrés.

 

Constantin Cavafy, Œuvres poétiques, traduction

Socrate C. Zervos et Patricia Portier,

Imprimerie Nationale, 1991, np.

15/07/2024

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

           

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Sonnet posthume

 

Dors : ce lit est le tien… Tu n’iras plus au nôtre.

— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.

Dors : on t’aimera bien. — L’aimé c’est toujours l’Autre…

Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin…

 

Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !

Chevaucheur de rayons ! … quand il fera bien noir ;

Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,

—Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.

 

Museleur de voilette ! un baiser sous le voile

T’attend… on ne sait où : ferme les yeux pour voir.

Ris : les premiers honneurs t’attendent sous le poêle.

 

On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,

Doux fumet !... pour le trogne en fleur, plein de moelle

D'un sacristain très bien, avec son encensoir.

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,

T. C., Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 849.

 

14/07/2024

Émile Verhaeren, Les Heures du soir

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Je noie en tes deux yeux mon âme tout entière

         Et l’élan fou de cette âme éperdue,

Pour que, plongée en leur douceur et leur prière,

Plus claire et plus trempée, elle me soit rendue.

 

         S’unir pour épurer son être

Comme deux vitraux d’or en une même abside

   Croisent leurs feux différemment lucides

           Et se pénètrent !

 

         Je suis parfois si lourd, si las,          

   D’être celui sui ne sait pas

         Être parfait, comme il le veut !

Mon cœur se bat contre ses vœux,

 

Mon cœur dont les plantes mauvaises,

         Entre des rocs d’entêtement,

         Dressent, sournoisement,

         Leurs fleurs d’encre ou de braise ;

Mon cœur si faux, si vrai selon les jours,

         Mon cœur contradictoire,

         Mon cœur exagéré toujours

De joie immense ou de crainte attentatoire.

 

Émile Verhaeren, Les Heures du soir, Mercure de France,1921, p. 39-40.

13/07/2024

Albane Prouvost, renard poirier

 

albane prouvost, renard poirier

renard sans renard entre dans la bonne maison

 

pas un renard pas une maison

 

renard sans couronne de neige entre dans la bonne maison

renard annonce

autre maison autre raison

 

renard sans couronne entre

 

renard sans renard entre dans la bonne maison

attaque la première raison

attaque la première raison de ta maison

 

attaque la première raison

attaque la première raison de ta maison

 

les renards perdront

les poiriers perdront

les renards en forme de neige couronnée

perdront

 

Albane Prouvost, renard poirier, La Dogana, 2023, np.

12/07/2024

Albane Prouvost, meurs ressuscite

 

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dans la maison glacée

où je ne suis pas autorisée

combien de cerisiers

acceptent de revenir

accepte poirier

 

ici je commence ici

les pommiers sont des sorbiers

coincés sous la glace

accepte

 

un pommier accepte-t-il

puis sauvagement il accepte

accepte poirier

 

accepte puisque tu acceptes

les poiriers sont tous bons

ainsi accepte

 

cher compatible tu me manques tu me manques tellement

 

Albane Prouvost, meurs ressuscite, P.O.L, 2015, p. 9-10.

11/07/2024

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades

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à l’évidence il n’y eut pas de discours brillant

ou avec ses pieds sautillant sur l’herbe

ou bien calme sautillant

ou sautillant

 

les bruits sont étranges et immenses

et j’arrive à produire des bruits étranges et

immenses tous les bruits parviennent

 

la vitesse collant on distinguait avec peine les joueurs dans le noir

dans le noir on distinguait à peine les joueurs

dans le noir les joueurs ne se distinguaient plus

 

vivant ou perdant les fleurs

bruyamment les choses inouïes

et bouleversantes

je regarde Leopardi

les claires pluies matinales

et les arbres légers dans la pluie matinale

(…)

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes, 2006, p. 7.

09/07/2024

Paul de Roux, Les intermittences du jour

paul de roux, les intermittences du jour

Avoir porté des œillères qui faisaient partie du harnachement conçu par le vouloir-vivre.

 

La vie est comme un lacet qui se resserre.

 

Aime ne rien attendre. Oui fais-en ton amour — autant que tu le peux.

 

Respirer, voir, entendre, sentir, et pour cela se défaire de toute idée de possession, de toute assurance, est-ce imaginable ? Peut-être pas. Mais c’est une direction.

 

Paul de Roux, Les intermittences du jour, Le temps qu’il fait, 1989, p. 109, 112, 126, 143.

08/07/2024

Paul de Roux, Les intermittences du jour

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Ce qui est merveilleux est éphémère (éphémère en nous la possibilité de l’accueillir, l’ouverture). 

 

Au nombre des biens suprêmes : s’étonner.

 

Les petits coquillages ramassés à marée basse, s’ils parviennent jusqu’à nos repaires, ce ne sera que pour s’y empoussiérer. Simplement, nous ne prendrons pas le temps de les regarder.

 

Le manque de confiance en soi fait que l’on reste dans la situation qui concourt à nourrir cette méfiance.

 

Paul de Roux, Les intermittences du jour, Le temps qu’il fait, 1989, p.36, 43, 52-53, 65.

07/07/2024

Paul de Roux, La halte obscure

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Apocalypse dans les feuilles

 

Un jour on s’est dit que l’aventure

était peut-être plus belle ainsi —

tout disparaîtra

— les choucas aussi et la falaise

où ils rentrent le soir avec de petits cris

et l’eau vive et les guerres

intestines où s’use une vie

— cela c’est le vent qui l’inspire

en jouant dans les feuilles

à la fin d’un beau jour

lumineux sur la terre.

 

Paul de Roux, La halte obscure, dans

Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 344.

06/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

                   paul de roux, entrevoir, souffle, réel

Sueur d’agonie, sueur de l’étreinte

une cloison les sépare

ou une année dans la vie d’un homme

à un autre étage de la maison

la moiteur d’un enfant qui dort

avec un souffle égal contre l’oreiller

et voilà trois états physiologiques

analysables et bien répertoriés

et trois fragments du « réel »

qui m’étonnent toujours.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard,

2014, p. 63.

Paul de Roux, Entrevoir

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                   L’enfance

 

La nuit dans les grands arbres on entendait le vent

ou pour ainsi dire rien, et c’était pire ;

comme un bruit de pas trop près des murs

puis escaladant la façade — est-ce possible ?

Les volets sont fermés

la lourde porte verrouillée

mais la peur tombe en piqué sur le cœur

qui bat soudain plus fort que tout.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 143.

05/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

paul de roux, entrevoir, stèle pour un corbeau

Stèle pour un corbeau

 

Lui aussi menait sa vie, ce corbeau

dont je n’ai vu que le cadavre efflanqué

les plumes noires collées à la terre gluante

sous la frondaison des châtaigniers en fleur

— c’était en mai. Ce matin de septembre

parmi les premières bogues chues

je ne retrouve pas une plume.

Mais tandis que je bats les feuilles mortes, soudain

dans le bois de la Montagne de Reims

un croassement s’élève, comme en écho

à ma rêverie mélancolique.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 105.

 

04/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

 

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                   Zone de fracture

 

Et de même qu’un homme arrive à sa fin

soudain une époque est révolue

et ce n’est que longtemps après qu’on s’en aperçoit

une nouvelle génération s’étonne du passé

mais ceux-là qui vécurent au moment fatal

s’ils souffrirent, eux, ne s’en étonnèrent pas

et le charme de la nouveauté était passé :

il avait été pour les aïeuls, le délassement de leur âge mûr

quand ils souriaient à un avenir gracieux, quand pas une tasse

ne manquait encore au service de porcelaine fine.

 

Paul de Roux, Le front contre la vitre, dans Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p.196.

03/07/2024

Michel Leiris, La ruban au cou d'Olympia

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A l’inverse d’Olympia nue, Nana corsetée et juponnée n’a auprès d’elle pour l’honorer ni domestique d’une autre raee ni animal d’une autre espèce mais seulement  montré assis et de profil dans la partie droite du tableau — un bourgeois d’êge moyen à haut de forme ,habit noir et plastron blanc, miché par qui la femme objet semble jaugée tout comme l’œuvre elle-même le sera par l’amateur.

 

Olympia, Nana : nullement femmes fatales mais fabricantes de plaisir comme il y a des gens qui fabriquent des armes et d’autres du chocolat.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 259.

 

02/07/2024

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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Le colza dont le jaune agace les dents et qu’on rangerait du côté du citron plutôt que de celui de l’huile.

 

 Innombrables sont les choses qui ne ressemblent pas à ce qu’elles sont (une feuille, par exemple, que rien ne révèle poumon, un avion qu’on dirait trop lourd pour imiter l’oiseau, un ordinateur que rien n’indique cerveau) et nombreuses celles qui ont un aspect trompeur (l’ours à l’air bonasse, le serpent corde sur le sol, le poisson dont les ouïes ne sont pas des oreilles, la lune disque haut suspendu, l’arbre fantôme, le mort homme endormi)

 

Ne pas brouiller les cartes mais tailler dans le vif, ne pas biaiser mais prendre l’équivoque par les cornes ou la trancher comme un nœud gordien, voilà ce qui est peut-être l’ABC de la poésie.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 121.