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23/02/2024

Gérard Cartier, le Voyage intérieur

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Les amants (Cimetière du Père-Lachaise)

 

Voyez    cette comète à la longue traîne

c’était nous      un feu grégeois dans la nuit

soufre et poix    qui incendiait nos corps

et tout notre être    un même cœur…

     mystérieuse unité en 2 natures

puis une éternelle amitié      en lettres

et en songes nocturnes      qui parfois

plaisir ou jalousie      nous déchiraient encore

et de longs silences traversés de signes

     un prénom     une pierre gravée

2 nuages traçant un instant dans l’éther

des initiales      présence irréelle

jetés enfin dans l’éternel oubli      n’étaient

ces lettres cachées qu’un jour peut-être

un curieux exhumera     nous inventant      

un tombeau plus ferme que la pierre ouvragée

où viendront après nous rêver les amants

séparés

 

              (48°51’33,1’’N – 2°23’30,944E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion,

2023, p. 450.

22/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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La mort de Segalen (Huelgoat)

 

De retour d'Algérie le maître du voyage

sentant la vie le fuir entra dans le chaos

de Huelgoat forêt maléfique aux grands fonds

tourmentés d'un pâle madrépore     avoir

bourlingué à la Chine et à l'Océanie

et mourir de consomption au pied d'un chêne

le talon entaillé par un calame au centre

d'un triangle d'eaux et de roches creuses

seul en compagnie de son double un spectre

     bilieux duller shouldst thou be

than the fat weed écoutant dans le soir

se brouiller les paroles prodigieuses tandis

que le suc maudit coulait dans son oreille

de la jusquiame      il me faudrait un mètre

qui naisse du lieu aussi bien que la mort

et non ce garrot de fortune qui peine

à nouer les mots et retenir au monde

le passant du voyage illimité

 

                  (48°21'50,2"N - 3°43'50,4"O)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 295.

 

21/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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         La triperie (Roussillon)

 

Ayant sillonné la colline     en vain

le petit château sur une motte évanoui

en plein ciel     du comte de Roussillon

revenant en tournoyant sous les falaises

     d'ocre des ruelles     tout-à-coup

                saisissement     une vitrine

frottée au sang-de-boeuf BOUCHERIE CHAIR

CUITERIE     et à jamais tripier

que l'on contemple en rêvant à ses amours

tout a disparu les tombes sous les pas

le château abattu     du plaisir et de la gloire

ne restent que les noms     Guillaume

Sermonde     et cette échoppe aux couteaux

étincelants     qui se souviennent du cœur

mangé par la comtesse de Roussillon

    de son amant     haché en ragoût

avec herbes et épices     et qui sait

si le comte jaloux n'y avait pas mêlé

l'objet de son déplaisir

 

                  (43°54'8,5"N - 5°17'36,8'E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 215.

 

20/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

gérard cartier,le voyage intérieur,le patriarche,paradis

         Le patriarche (Hasparren)

 

Trop enclin aux poètes minimes     Delisle

 

     Coppée Carco     et aux ânes

pour éviter     à l'écart du chemin de Combo

Eihartzea     dernier toit de Francis Jammes

avant la pierre grise à l'ombre d'Ursuïa

et de la grosse croix     au bout du village

une ancienne métairie     don fortuit du ciel

manigancé en douce par les bénédictins

pour loger sa tribu     d'où fuyant en ours

il hantait jusqu'au soir les collines rêches

pêchant et herborisant parmi les chardons

barbe au vent et la rime en conserve

mais qu'a-t-on fait du palais des voyelles

éventré     plâtré     ascensorisé

chassant le patriarche à coups de taloches

     comme Adam du paradis

non moins que nous demain de nos thébaïdes

oubliés de tous malgré nos neuvaines ou minimes 

                          (43°23'19,7"N - 1°18'11,8"O)

 

Gérard Cartrier, Le Voyage intérieur, Flammarion 2023, p. 216

19/02/2024

Gérard Cartier, Lz Voyage intérieur

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        Grotte ornée (Gargas)

 

Exhumer le carnet noir à moleskine

sonnets hâtifs pour Romane aux oiseaux bribes

confuses l’ivresse du chagrin … détachées

de l’accident qui les avait fait naître

et des citations     des dessins à la diable

cherchant le poème griffonné sous l’auvent

     en sortant de la grotte    mais rien

ainsi de tout ce qui nous importait

jusqu’aux amours les plus troublantes     moins

désormais que la main aux phalanges coupées

saignant sur la roche     qui vit encore

     dans le carbone 14     moins

que l’accenteur mouchet à coups de ciseaux

qui loue la création depuis des millénaires

dans la forêt de mélèzes    le voilà

     à peu près     le sens perdu

qui suintait de la roche hérissée de calcite

goutte à goutte dans le silence

             (43°3’21,4N - 0°32’10,5"E)

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 203

18/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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 Le mystère des origines (Font-de-Gaume, Les Eyzies)

 

Comment Racine.    Un trouble s’éleva

dans mon âme éperdue      naquit-il de la plainte

d’un Mars scarifié courtisant sur la Beune

     une Vénus prognathe     comment

de 2 silex frappés le bourdon entêtant

de l’alexandrin     troublante énigme

     mais la  société de linguistique interdit

article 2    tout essai sur les origines

du langage humain    ce ne fut peut-être

     au printemps des âges     imitée

des oiseaux     qu’un effusion de voyelles

les herbes frémissent     un martellement sourd

monte de la rive et soudain    Quel mot

     inné devant les chevaux pommelés

qui courent échevelés en roulant de shanches

suel cri pour louer plus éloquent à peine

que le silence     la langue dans sa prison d’os

se tord en tous sens et frappant au hasard

invente le monde

               (44°56’13,3"N - 1°1’35,6"E)

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 340.

17/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

gérard cartier, le voyage intérieur, campagne, silence

                      La campagne (Ceyzérieu)

 

Fourgon au cimetière la Faucheuse en visite on s’esbigne

lilas plantes odorantes premier coucou de l’année

botanisant de l’œil et de la langue album de 100 fleurs

prairies de marais derniers vestiges du grand lac de Chautagne

tout paysage est palimpseste tout regard recréation

au géographe aussi prodigue qu’un marchand de tourbe

une trompe rauque au loin motrice en manœuvre en gare de Culoz

on était à la fin du Würm on n’avait pas quitté le siècle

3 ânes gris au pas cassé un baudet du Poitou dans un fossé

nous mangeons nous aussi la corde qui nous tient au piquet

vivre sans art autant qu’on le peut sans philosophie

murets coiffés de lichen petit pont voûté sur le Séran

l’eau passée commence l’Holocène

                         (45°49’56,9"N - 5°44’38,2"E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 71.

16/02/2024

Claude Chambard, Cet être devant soi

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Le crayon est le chemin par lequel je peux parcourir le monde. Il me faut y arriver vivant. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai toujours pensé que, dans le livre, le monde ne pouvait être vu qu’à hauteur d’enfance. L’écriture commence & prend fin dans une classe du cours préparatoire, pour  toute la vie & pour tous les livres, dans toutes les bibliothèques. De même la lecture. Manipulations, transgressions, interprétations, variations — archaïques. Encre violette & papier réglé à grandes marges, encrier en porcelaine, plumes Sergent Major, buvards publicitaires… Apprendre à dessiner — les caractères ­ apprendre à dessiner - les traits portraits &c - lisibilité, blanc, équilibre, approche, classe, ce qu’on ne voit pas permet ce que l’on perçoit - comme on oublie la ponctuation lorsqu’elle est juste, lorsqu’elle va de soi la lecture va de soi — l’écriture jamais. Ton corps est dans le livre, personne ne le voit, même pas moi, mais je le reconnais, aussi les oiseaux dans le ciel & le corps des écrivains dans leur écriture.

 

Claude Chambard, Cet être devant soi, Æncrages, 2012, np.

14/02/2024

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel

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                            Chute libre

 

Petite pluie molle et morne presque marron

L’air dans les rues du bled c’est pas gai la province

le seul bistro du coin il faudrait qu’on fût rond

pour lui trouver du charme éviter que ça grince

 

il s’en faut de très peu qu’on  ne se sente prompt

à s’abolir dans le port — est-ce qu’on en pince

pour l’eau froide et le noir néant qui corrom

pent jusques aux os de fond en comble vous rincent ?

 

Les lumières du bar se reflètent dehors

s’incrustent sur la nuit en occultant le port

ainsi face au réel un cordon sanitaire

 

est tendu par l’humanité pusillani

me or le réel fair retour façon tsunami

voilà ce que c’est que d’avoir pas su se taire

 

Laurend Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,

2024, p. 141.

 

13/02/2024

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel

 

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                             À la fontaine

 

 

Un temps mou presque tiède c’est débilitant

fin novembre la pluie n’a pas de caractère

paraît sale lépreuse pas la pluie des Gitans

qui les suit sur les vieilles routes de la terre

 

Belle lurette qu’on a passé la mi-temps

on se retrouve de plus en plus solitaire

dans les rues livrées à la nuit sans excitant

que le pouls qui se bat contre les délétères

 

effondrements mondiaux sous le poids de l’argent

dans tous les coups d’Etat trace de ses agents

le triste globe en est devenu invivable

 

les signes sont partout qui vous crèvent les yeux

même Œdipe a trouvé pire que ses aïeux

le tout anesthésié par le pouvoir des fables

 

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,

2024, p.105.

11/02/2024

Laurent Fourcaut, Une morceau de ciel

 

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Lundi place Gambetta

 

Elle a teint ses cheveux d’une laide couleur

couleur de cuivre rouge il a la chevelure

d’un blanc grisâtre tant pis on se farcit leur  

conciliabule entre des milliards — qu’en conclure ?

 

que silence est une extase qu’aucun dealer

ne fourgue à quiconque il le faut sous son galure

comme jalousement comme ultime valeur

archaïque bientôt  à l’instar du silure

 

Les autres toujours plus nombreux polluent l’air

le monde vous a une minois patibulair

e « en avril je fais l’ouverture de la pêche »

 

fait le loufiat comme si tout continuait

pourquoi pas aller aux champignons ? y’a pas mèche

autant vaudrait croire encore au père Noë

l

 Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,

2024, p. 117.

10/02/2024

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel

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             Le mort saisit le vif

 

La vie est impersonnelle elle va de vous

dans les choses le vent elle s’est imprimée

sur la gravure d’après Raphaël envou

tante est partie ailleurs jamais éliminée

 

lie le haut et le bas même aucun garde-fou

l’empêche d’investir la  mort réanimée

Vous allez disparaître sans qu’un jet de fou

dre le signale au monde indifférent – grimée

 

en rituel  social en décès votre mort

vous sera confisquée alors que vous vous dor

mirez enfin au sein de la pure nature

 

affranchi de la folie qui lance les vifs

dans la fuite en avant générale que bif

fe le divin trépas souveraine rature

 

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel,

Tarabuste, 2024, p. 36.

09/02/2024

Daniel Fano, Papier pelure 1969-1999

 

daniel fano, papier pelure, publicité

(sans titre)

(passage du Capricorne,

au Saggitaire. L’œil d’ombres — et les

cils, un peu

de mascara noir — le regard prend

du relief. Les pages

publicitaires des magazines :

UN PROCEDE REVOLLUTIONNAIRE

POUR DEVELOPPER LES SEINS

- un inventaire des différentes façons de trouver le sommeil

- la pluie de 18 h 27,

QUELQU’UNE BIS belle comme une Lamborghini

taînée 3000 mètres

par un train

- la radio, MOI NON PLUS.

 

Daniel Fano, Papier pelure, 1969-1999,

Flammarion / Poésie, 2024, p. 81.

08/02/2024

Max Jacob, Rivage

 

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                   Fable

« Je chanterai sur le haut de la maison.

Je chanterai sur le pas de la porte.

Je chanterai le tambour sur le dos.

Je chanterai aux charges de la vie.

Je chanterai avec beaucoup d’argent.

Je chanterai électrique et brillant.

Je chanterai en tirant sur la cloche.

Je chanterai en coupant ma bidoche

et sous les arbres noirs de mon pays.

Je chanterai dans les rues de Paris.

Je chanterai par joie ou par tristesse

honte ou regret par orgueil ou détresse

et mon ombre avec moi chantera par duo. »

 

Or celui qui chantait a glissé dans la mare

Et nul ne s’est trouvé pour lui tendre une amarre.

 

Max Jacob, Rivage, dans Œuvres, Quarto/Gallimard,

2012, p. 1455.

06/02/2024

Max Jacob, Les pénitents en maillots roses

max jacob, les pénitents en maillots roses, strophe vers dissyllabique

Le pape au couvent

 

Ô moines !

— du ciel

fidèles

cétoines

— idoines

au miel !

 

Cilice,

caprice

d’un pape

qui frappe

à l’huis

des trappes.

 

Bien las

peut-être

qui va

paraître par la

fenêtre !

 

« Qu’un pape

s’astreigne !

qu’il ceigne

la chape !

— Mon règne

m’échappe !

 

disette

ici !

couette

au lit !

ne suis

qu’ascète. »

 

Max Jacob, Les pénitents

en maillots roses, dans Œuvres,

Quarto/Gallimard, 2012, p. 700-701.