17/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Le poirier a tiré sur moi, le merisier,
De leur force friable, sans jamais me rater.
Les rappes et les étoiles, les étoiles et le feuillage,
Dans quelle floraison le vrai ? quel est ce pouvoir en partage ?
Que ce soit aile ou fleur — blancheur d’air, cela frappe
Contre l’air, assommé par la massue des grappes.
Et de ce parfum double la farouche suavité
Bataille, se prolonge, mélangée, fragmentée.
4 mai 1937, Voronèje
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 140.
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16/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
On s’assiéra dans la cuisine tous les deux,
La lampe à pétrole sentira un peu.
Un couteau affûté, une miche de pain…
Gonfle à bloc le primus, si tu veux bien,
Ou ramasse encore de la ficelle pour
Mieux fermer le cabas avant le jour,
Lorsque nous voudrons aller à la gare,
Là où l’on peut échapper aux regards.
Janvier 1931, Leningrad
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 86.
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15/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Ce soir-là, l’ogivale forêt de l’orgue se taisait.
On nous chantait Schubert — notre berceau natal.
Le moulin murmurait, et dans les chants en rafales
L’ivresse aux yeux bleus de la musique riait.
C’était le monde du vieux lied, brun et vert,
Mais simplement jeune éternellement,
Où le roi des aulnes secoue dans sa folle colère
Des tilleuls rossignols les feuillages grondants.
Et la force effrayante du retour de nuit,
Et cette chanson sauvage comme un vin noir,
C’était ce double, ce fantôme vide,
Son regard de fou derrière la vitre froide !
1917
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 38.
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14/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Il est vain de rien dire,
Il est vain d’enseigner personne :
Elle est assez triste et bonne,
L’âme animale, obscure.
Elle ne veut pas enseigner,
Ne sait en dire davantage,
C’est un jeune dauphin qui nage
Sur les abîmes argentés.
1909
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 13.
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13/04/2024
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
Il n’y a pas de grenouilles
dans ce vaste ciel
pas de messages
Il n’y a pas de ciel dans ce cerveau
pas de mots
Il n’y a pas de cerveau
dans ce corps
pas de lien.
Les collines sont sèches
l’or ne fait pas pousser
l’herbe
lions et éléphants
sont morts
Y a-t-il déjà longtemps
que ma mémoire
est terre brûlée ?
La sècheresse
est dans l’esprit
et sur le sol
(…)
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores,
Traduction de l’anglais, Poésie/Gallimard,
2023, p. 323.
12/04/2024
Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être
Tous ceux que je porte
au fond de moi,
leurs visages immuables,
immuablement vivants,
et leurs voix,
leurs mots —
Ce sont leurs yeux avec les miens
qui se jettent
sur les toits pour les
degrés d’angle et de chute
jusqu’à l’eau bleue du soir :
un fil ténu, vibrant comme la corde d’un violon,
dont le murmure obstinément,
demeure suspendu
comme toujours
à l’arche allègre de mon sang
vif.
Monique Laederach, Mots sur le bord d’être, dans
La revue de belles-lettres, 2023, 2, p. 51.
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11/04/2024
Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être
Quand parlerai-je encore avec amour
alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée
entre la peau et la veille ?
Langue à moitié de musée, striée de rêves obsolètes —
et c’est vrai son piédestal même
n’était qu’erreur et poudre
aux yeux !
Ah ! Laisse ! Oublie !
L’ancien amour non plus
ne réchaufferait mes poignets.
Et maintenant je ferme les yeux
sur son nom,
j’attends seulement
la douceur d’une peau,
d’un souffle,
d’un appel tiède
sur ma nuit.
Et mon noyau resserré
ferait fleur à la bouche
qui me l’offre.
Monique Laederach, Mots sur le bord de l’être, dans
La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.
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10/04/2024
Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole
Est-ce que j’aime encore ?
Je bouge à peine dans les fils ténus
de ma propre mante,
rongée par les dents de l’oubli,
mensongère assurément — mais qui, encore,
pourrait m’en assigner, qui m’offrirait davantage ?
On disparaît. On n’est plus femme,
juste ce fantôme aux cartes de crédit,
celle qui occupe, ne devrait pas,
un siège dans l’autobus.
Et cette image dedans
de la jeune femme qu’on est encore.
Monique Laederach, Cette absolue liberté de paroles,
dans La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 19.
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08/04/2024
Denis Roche, Les idées centésimales de Miss Elanize
« faute de paroles l’intruse est levée »
Je ne vous conseille pas d’y souscrire, à
La différence près d’un mot, « d’y croire »,
C’était elle, c’était son style... est la voix
De l’unique du simple du monde, le sien
Enfumé
Et le bête exclusif de toute sa vie
Comme si sur elle les yeux grands ouverts il
Tenait,... il s’était littéralement joué de
Toute son âme sur elle
Denis Roche, Les idées centésimales de Miss
Elanize, Seuil, 1964, p. 101.
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06/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
je dois taire
ce que je n’ai pas
compris.
Même
devant toi
tendrement.
Ma vie
n’est plus
entre tes échantillons.
Merle bleu
parle en nous
du malheur
ancien.
Quand nous
en étions à
Babel.
Jean Daive, Monoritmica,
Flammarion, 2023, p. 249.
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05/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
Au jardin comme en ville
elle porte un tailleur gris
et un diamant au doigt
elle engloutit les débris
dans son sac
pour cacher les soupirs et
le souci perdu
elle tourmente la naissance
des plantes
car chaque feuille est
une respiration.
Jean Daive, Monoritmica,
Flammarion/Poésie,
2022, p. 245
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04/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
Advient toujours
la question enfantine
qui double le monde sans doute
des intensités
et des dessous
d’une affirmation contraire
j’étreins l’illusion
sans démasquer le mythe
détresse de la condition d’infini
elle se retire, elle se défait
dans une répétition
jusqu’à nos jours
Jean Daive, Monoritmica, Flammarion/
Poésie, 2022, p. 33.
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03/04/2024
Anne Calas, Une pente si douce
Une femme est une énonciation illimitée
le ton « Je sais » par exemple
une femme est une énonciation illimitée
est incompatible avec
« Qui suis-je ? »
il y a une gorge profonde
que je caresse aussi avec une planche à laver
si douce au toucher
que j’en atteins
l’enfance
un son
générique si particulier comme
animal
Anne Calas, Une pente si douce,
Flammarion, 2024, p. 201.
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01/04/2024
Anne Calas, Une pente très douce
quelques maisons à colombages
renversées dans le cours
d’une eau poissonneuse
au trou dans le feuillage et
les balles de foin au loin
la plaine presque
ici comme
une clarière inhabitée
un chemin dans l’épaisseur
des souvenirs
un océan de feuillages
une crique de
soleil innocent
et joyeux
Anne Calas, Une pente très douce,
Flammarion, 2024, p. 60.
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31/03/2024
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf
Le règne du dehors et avec lui, et grâce à lui, l’empire de ses images sur nous : le corps essaie d’en absorber les chocs, d’en recueillir les forces autant que de les détourner. Le plus souvent toutefois, à l’approche des images, le corps ne s’y retrouve pas et ne fait que les détruire, faisant un désastre de leur rencontre. L’image ne frayant plus comme voie d’accès à la rugueuse irruption des corps.
Par bonheur, il n’en est pas toujours ainsi, la chair sachant adoucir son moyen d’action en bricolant ses paysages, en modifiant l’aspect des choses en sorte qu’elles puissent éteindre les images, en adorer la fièvre, et même aboutir à l’exception du désir.
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 133.
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