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30/06/2021

Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...

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C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.

 

Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.

29/06/2021

Jean Genet, L'étrange mot d'...

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   Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.

   Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.

 

Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.

28/06/2021

Kafka, Journaux

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Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.

27/06/2021

Kafka, Journaux

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Il est certain que le dimanche ne me sera jamais plus utile qu’un jour de semaine, car la disposition particulière des heures renverse et brouille toutes mes habitudes et j’ai besoin de temps libre en excédent pour m’organiser un tant soit peu dans ce jour particulier.

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 257.

26/06/2021

Georges Perros, Une vie ordinaire

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Il faut beaucoup d’indifférence

ou d’amour c’est selon les goûts

pour résister à ce que l’on trouve

aimable un jour un autre non

et que revient comme rengaine

ce même amour mêlé de haine

Mais l’amour a  le dernier mot

pourvu qu’on fasse acte d’absence

quoique présent Ainsi les choses

arbres ciel mer pavés des rues

se foutent de nous comme peu

d’êtres sont capables de faire

et si vous vous mettez dessus

le nez en état touristique

elles font le paon

                            J’aimerais

vivre ici dit la jouvencelle

Quand la retraite aura sonné

aux flambeaux de nos deux pantoufles

lui répond son urbain mari

qui a d’autres chats à fouetter

que ceux qu’on rencontre la nuit

faisant l’amour dans la nature

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,

Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.

25/06/2021

Georges Perros, Huit poèmes, dans Œuvres

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      Huit poèmes, III

 

Si mon discours vous paraît triste

Ou dérisoire ou rien du tout

— On dit que je suis pessimiste

Mais non, cherchez un autre clou —

 

Descendez un peu sur la grève

La mouette y jette son cri

Puis reprend l’envol de son rêve

Immobile. Je suis ainsi.

 

On a beau me faire morsure

Profonde, terrible à subir

Je vais chercher de la sciure

 

Boucher de mon propre soupir,

La sème, afin qu’à nouveau luise

L’aube prochaine, et sa surprise.

 

Georges Perros, Œuvres, édition Thierry

Gillybœuf, Quarto/Gallimard, 2017, p . 1082.

24/06/2021

Cole Swensen, Poèmes à pied

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(Thoreau)

(...)

 

Ainsi les arbres vivent pour toujours

                                                                 un ami de quiconque

est aussi un ami à tes côtés

                                                               un arbre révèle

au long de ses marches quotidiennes

                                                            de plus âpres voyages

                                                                       comme la présence

a toujours été

                        plus intrusive que le sens

et ainsi

               un paysage en sa persévérance

est un déploiement sans mesure, permettant

un assaut de lumière renouvelée

par un après-midi qui mène à un autre

et que celui-ci quelque part achève

 

Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain

Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.

23/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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que la ville au soleil s’éveille ou se rendorme

on entend sur les seuils les ombres des défunts

timides murmurer que la beauté des mortes

comme la dentelle est dans la graine du lin

 

nous ne saurons jamais de quels cris étouffés

nous naissons à la mort dans nos rêves de lymphes

ou de quels souvenirs nos lendemains sont faits

ni de quels crimes nos mains nues gardent l’empreinte

 

et saurons-nous jamais quel souffle nous emporte

ou quel trouble désir de futures étreintes

mènent nos jours éteints vers des nuits où les mortes

infidèles sans fin vivent leurs amours feintes

 

                                            (lisant joubert)

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,

La Table ronde, 2012, p. 773 .

22/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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le mal des anges

 

un jour je suis parti

pour ne plus revenir

les gendarmes  m’ont pris

et je suis revenu

 

une autre jour encore

plus tard un vingt octobre

j’ai descendu la Meuse

le vieux fleuve impassible

 

et j’ai quitté ses rives

pour les rives du Rhin

et le bac du passeur

qui n’avait pas de chien

 

car ce n’était pas l’heure

de la dernière obole

mais celle d’un ailleurs

magique et sans école

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,

La Table ronde, 2012, p. 293.

 

21/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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                     Paysages, 2

 

le pays que j’habite est un pays perdu

comme tous les pays que le siècle déserte

avec les vieux clochers les murs qui se délabrent

et les pommiers tordus redevenus sauvages

l’horloge s’est arrêtée les chemins ne vont plus

aux granges que l’oubli dans le silence étreint

cependant nous marchions (dis-tu) dans le matin

quand au. bord des étangs rêvaient les fiancées

mais cela n’eut pas lieu qui nous était promis

ce bonheur ces baisers la tiédeur des fruits mûrs

et le grand ciel flambant des étés revenus

voici nos souvenirs au pied des arbres nus

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique, La Table ronde, 2009, p. 701.

20/06/2021

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres

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L’été, fenêtre ouverte, nous voyageons avec les avions

qui s’en vont, quittant le territoire en vrombissant

comme soulevés d’un destin trop lourd — deux août,

même chaleur anniversaire qui jour pour jour

avait saisi les aïeux de fureur

dans la mobilisation des corps soudain

suspendus à des déclarations d’amour, non, de guerre,

peaux empourprées aux moindres caresses,

une dernière fois sous le soleil posant

la tête sur la patrie qu’est la poitrine

à susurrer ça va vous coûter cher., l’amant, autant dire

la vie, moissons défaites, toutes faux passées

et des poèmes écrits à la dernière minute

dans la poussière de l’été, cette saison

à jamais révolue, enfermée dans le passé

d’un mot qui ce jour-là aura

été, à Paris maintenant démobilisé

 

énième deux août à Paris

 

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres, dans

Contre-Allées, N° 43, printemps 2021, p. 8

19/06/2021

Isabelle Lévesque, en découdre

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                     Demain départ

 

Demain, terre où les graines avivent les sons. Toute ordonnance sillonne et attache l’écorce brune que nous soulevons. Un arbre de plus, et la route.

 

Demain je quitterai le point fixe de la branche, mon heure aura proscrit l »immobile. Nous ferons corps des nuages. Le chant vers l’ascension. Rien contre ? Tu ne peux retenir les sons, leur écho dissout le temps. Inévitablement.

 

Sans qu’une faille présume du sort.

 

Isabelle Lévesque, en découdre, L’herbe qui tremble, 2021, p. 25.

18/06/2021

Jean de La Fontaine, Le vieux Chat et la jeune Souris

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     Le vieux Chat et la jeune Souris

 

Une jeune Souris de peu d’expérience

Crut fléchir un vieux Chat implorant sa clémence,

Et payant de raison le Raminogrobis :

         Laissez-moi vivre : une Souris    

De ma taille et de ma dépense

Est-elle à charge en ce logis ?

Affamerais-je, à votre avis,

L’Hôte et l’Hôtesse, et tout leur monde ?

D’un grain de blé je me nourris ;

Une noix me rend toute ronde.

À présent je suis maigre ; attendez quelque temps

Réservez ce repas à Messieurs vos Enfants.

Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.

 

         L’autre lui dit ; Tu t’es trompée.

Est-ce à moi que l’on tient de semblables discours ?

Tu gagnerais autant de parler à des sourds.

Chat et vieux pardonner ? cela n’arrive guères.

         Selon ces lois, descends là-bas,

         Meurs, et va-t’en tout de ce pas

         Haranguer les sœurs Filandières.

Mes Enfants trouveront assez d’autres repas.

         Il tint parole ; et pour ma fable,

Voici le sens moral qui peut y convenir :

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir.

         La vieillesse est impitoyable.

 

La Fontaine, Fables, 12, V, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 771.

17/06/2021

Au bord de l'Atlantique

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Photos Chantal Tanet

16/06/2021

Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits

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             La peau des dieux

 

Le temps est un puits profond profond

Où l’on se jette corps et âme l’eau noir

Ressemble à la nuit ô ciels nocturnes

L’onde est sans espoir mais il faut toujours

Vivre je dérive en barque comme sur une mer

Azurée les vagues des gloires passées rafraîchissent

Mon torse mes membres mon visage je plonge nu

Et savoure la nage l’embrun qui m’enrobe sont

La peau des dieux je m’étends sous un soleil

Aux rayons capiteux je m’étire je prends des teintes

Chaudes d’or fondu j’ouvre en grand ma bouche

Je me frotte à l’infini ah l’infini vieille lune

Paumée qui me rire avec ses guenilles

D’étoiles j’attends des fontaines d’eau fraîche

Des pains dorés des pousses de blé vert

Des oranges des citrons mûrs des olives

J’attends le jour qui éponge la sueur glacée

De mon front pour lui sussurer un avenir

Radieux où le corps respire le soleil

 

Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits, Gallimard,

2021, p. 48.