18/01/2025
Alexis Pelletier, Là où ça veille
loge 12 et place quatre-vingt 11-et-12
novembre 1980 jeudi
20 les places à 20 francs chacune
écrit sur
les billets conservés dans le programme de
la soirée que je viens de retrouver j’avais
dû faire la queue la nuit du mercredi 5
ou jeudi 6 pour acheter les places les
moins chères qui permettaient encore de voir
la quasi-totalité de la scène sauf
ici le fond de la scène côté jardin
les guichets ouvraient je crois le matin 11 heures
ce devait être en pleines vacances scolaires
le premier café ouvrait autour de 5 heures
il y avait toujours quelque monsieur gentil
qui m’offrait un chocolat et qui volontiers
arait trempé dedans sa queue pour ma bouche ou
mon cul de jeune Tadzio tout blond et bouclé
malgré ou grâce aux boutons d’acné
ingrate
est l’adolescence
mes parents ignoraient tout
du monde des fêlés d’opéras
avant qu’on
vende tout par Internet
je ne laisserais
pas un ado de 16 ans faire de nuit la
queue devant Garnier ou Bastille
autre version
du vierge du vivace et du bel aujourd’hui
ils étaient déjà dépassés par le monde et
tout cela s’est passé juste avant le sida
Alexis Pelletie, Là où ça veille, Tarabuste, 2025, p. 76.
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17/01/2025
Alexis Pelletier, Là où ça veille
nous sommes venus mon père et moi à l’appel
je l’ai vu embrasser le front puis
repartir
encore aujourd’hui je ne sais à quel moment
la douleur le saisit et quel
sens prit la mort
de sa femme je me le demande
aujourd’hui
après beaucoup d’années
il y a un silence
et je
ne sais pas quand j’ai vraiment pris conscience que
c’était fini comme Myriam l’a dit et le
sens des mots reste sans aucune prise dans
la mort de l’autre et dans le deuil qui s’installe et
surtout quand celle-ci vient d’arriver pourquoi
avec la lumière
un souvenir
assez sombre
Alexis Pelletier, Là où ça veille, Tarabuste, 32025, p. 11.
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07/02/2013
Alexis Pelletier, Comment ça s'appelle
Revenir aux oiseaux
Des mois sans oiseaux
je veux dire le mot oiseau
Et d'y revenir c'est comme un grand dépaysement
Je me suis souvent demandé pourquoi les oiseaux
et la question est aussi bête que
pourquoi le bleu ou pourquoi peindre
le même motif et pourtant la question
reste même si la réponse la modifie progressivement
Ce n'est pas vraiment le mot oiseau qui m'arrête
ni l'oiseau en général mais un oiseau particulier
ou un vol d'oiseaux particulier en ville surtout
des étourneaux mais pourquoi pas
en bord de Seine des bernaches cravants
avec les changements irréguliers de leur troupe ou
bruit grondant
Cela fonctionne par glissements
le mot oiseau porte en lui l'appel d'une précision
plus grande et alors de prendre dans
le réservoir percé de la mémoire
Et les souvenirs mobilisent un espace
un corps fluctuant je me souviens très bien
d'un eider observé à la jumelle
en plaine d'Alsace je ne sais sur quel lac
et photographié et de l'immense
bonheur intérieur au télescopage du
canard plongeur et de l'édredon de mon enfance
celui d'un marron foncé et que je n'ai jamais
oser déchirer pour voir comment les plumes à l'intérieur
j'en voyais un enfin ce n'était pas des blagues
l'histoire des plumes
[...]
Alexis Pelletier, Comment ça s'appelle, Tarabuste, 2012, p. 76-77.
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